Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie appelle des réflexions essentielles, qui touchent chacun d'entre nous au plus profond de notre être.
De ce fait, un tel sujet ne peut pas être traité dans le cadre d'une simple question d'actualité, comme certains s'y sont pourtant essayé jeudi dernier. À mon sens, la formule des questions orales avec débat, qui permet d'aborder ce type de problèmes avec sérénité, est plus adaptée. À cet égard, je remercie notre collègue Jean-Pierre Godefroy de nous offrir l'occasion d'en discuter.
Un tel débat, qui est légitime et difficile, doit être posé avec d'autant plus d'égards et de gravité que le sujet revêt des enjeux fondamentaux pour notre société.
Quels choix une société à l'héritage judéo-chrétien, qui a également connu le siècle des Lumières et l'avènement des droits de l'homme, peut-elle effectuer ? Quelles évolutions peut-elle suivre ?
Sensibles et intimes, les certitudes et les croyances des uns et des autres sont respectables. Elles méritent l'attention.
Lorsque nous sommes confrontés à des questions éthiques, nous avons tous notre part de vécu et nos expériences personnelles. Pour autant, notre rôle de législateur est de faire des choix en conscience, certes, mais également en responsabilité.
Comme cela a été rappelé, voilà trois ans, le 12 avril 2005, un tel débat, que nous entendions mener avec respect et sérénité, nous a été confisqué : le texte adopté par l'Assemblée nationale était intouchable puisqu'il était, paraît-il, parfait !
Comment ne pas penser que certaines souffrances auraient pu être évitées ou apaisées et que certaines situations dramatiques auraient pu être épargnées si l'on avait bien voulu, à ce moment-là, laisser notre assemblée s'exprimer et adopter des améliorations sur lesquelles chacun s'accordait, au lieu de précipiter l'adoption d'un texte dont on connaissait déjà les limites ? En effet, à l'époque, on avait déjà présagé les problématiques qui sont aujourd'hui soulevées.
Le simple fait d'accepter l'évaluation de la loi aurait constitué une mesure élémentaire pour en suivre l'application et la faire connaître. À ce titre, permettez-moi d'émettre un doute quant au bien-fondé de la récente décision gouvernementale de confier le soin d'une telle évaluation à l'auteur du dispositif, quelles que soient ses compétences par ailleurs.
Au bout de trois ans, où en sommes-nous ?
Si l'on veut bien y songer, on s'aperçoit que la situation est étrangement similaire. L'opinion publique est marquée par le drame vécu par une femme et relayé par les médias. Les élites et les partisans des différentes options s'animent. La justice et les pouvoirs publics sont interpellés.
Et un triple constat s'impose : celui, encore une fois, de notre impuissance face à la volonté ultime d'un être humain ! Celui, encore une fois, de notre silence face à un combat contre la douleur ! Celui, encore une fois, d'un geste condamné à la solitude ou à l'exil, alors que la France entière était pourtant « à l'écoute » ! Cette femme est morte dans l'isolement et la clandestinité. Faute d'avoir été entendue, et acculée à accomplir elle-même ce qu'elle ne voulait pourtant pas faire, elle s'est suicidée.
Si la loi Leonetti a pu constituer une étape dans la réflexion sur la fin de vie, en parvenant à un certain consensus autour du « laisser mourir », c'est parce qu'elle a confirmé un certain nombre d'évolutions. Elle a réaffirmé le refus de l'acharnement thérapeutique et légalisé la pratique du « double effet », qu'une décision de justice venait de reconnaître.
Cependant, si le « laisser mourir » peut constituer une solution pour les malades en fin de vie, il apporte seulement une perspective de longue agonie à celui qui n'est pas en phase terminale.
Ainsi que nous l'avions dénoncé à l'époque, c'est cette situation qui attendait Vincent Humbert s'il acceptait le dispositif. C'est également ce qu'a vécu le jeune homme dont Michel Dreyfus-Schmidt a rappelé tout à l'heure la triste fin et dont le témoignage des parents a bouleversé la France.
Tout le monde semble à présent étrangement s'y accorder, l'application de la loi Leonetti pose un certain nombre de problèmes.
Tout d'abord, cette législation est peu appliquée parce que, paraît-il, elle n'est pas suffisamment connue. Ensuite, et c'est peut-être pire, elle est mal appliquée, en raison d'un manque de formation médicale à l'accompagnement de la fin de vie et de développement des soins palliatifs sur notre territoire. Enfin, la loi présente des insuffisances ou, du moins, une inadaptation face à certaines situations.
Il est certain que les soins palliatifs doivent être développés. À cet égard, on ne peut que déplorer le fossé entre le principe posé par la loi, c'est-à-dire l'égal accès à ces soins et au soulagement de la douleur, et la réalité.
D'ailleurs, s'il est vrai que 95 % des demandes d'euthanasies sont automatiquement abandonnées lors d'un transfert du patient dans une unité de soins palliatifs, cela signifie qu'elles sont maintenues dans 5 % des cas.
Dès lors, si l'accompagnement et les différents dispositifs existants ne permettent pas véritablement de soulager la douleur de la personne, que faut-il faire ? Est-il inacceptable de se demander s'il ne faut pas aller plus loin ? Est-il inacceptable de répondre par l'affirmative ?
Voilà trois ans, en proposant le principe d'une aide médicalisée pour mourir, le groupe socialiste avait fait le choix d'une voix médiane qui devait permettre à la « compassion et la sollicitude » de s'exprimer au travers d'un geste humanitaire : la délivrance de la souffrance.
En offrant la possibilité à certains malades de choisir cet accompagnement ultime dans certaines conditions et dans certaines circonstances exceptionnelles - j'insiste bien sur cet adjectif -, notre intention était non pas de dépénaliser l'euthanasie, contrairement à ce que certains orateurs ont affirmé, mais bien d'ajouter un cinquième cas d'exonération des médecins de poursuites pénales dans le code de la santé publique.
Le médecin a pour mission de soigner, pas de tuer, nous diront certains... Cela signifie-t-il que, parce qu'il se trouve impuissant à continuer de remplir sa mission, son rôle social doit nécessairement s'arrêter là ? Aller plus loin, c'est transgresser l'interdit, c'est s'exposer à l'anathème, rétorquent d'autres...
À ce point de mon propos, permettez-moi de l'illustrer d'un extrait du témoignage de Chantal Chanel, lu récemment dans la presse : « Il est anormal de laisser cours à tant de souffrance. On est allé au tribunal pour ce qu'on a fait, mais parfois on pourrait plutôt y aller pour ce qu'on ne fait pas. Est-il normal de voir des médecins prescrire des antidépresseurs à quelques heures de la mort et d'autres débrancher tout et fermer la porte ? Au nom du non-acharnement thérapeutique, on peut débrancher un respirateur, des sondes pour alimenter... Et le malade meurt d'étouffement, de faim, en toute légalité certes, mais dans quelles souffrances ? Nous, pour une dose de potassium, illégale mais sans souffrance, nous nous sommes retrouvés aux assises comme des criminels. C'est anormal ».
De toute évidence, le débat doit de nouveau être ouvert, car il ne semble plus possible de se satisfaire du laisser-mourir et d'accepter la clandestinité ; parce qu'on ne peut plus se réfugier derrière l'hypocrisie.
L'effroyable hypocrisie, dans le cas de Chantal Sébire, était de s'entendre dire : « Mais si elle veut mourir, elle n'a qu'à se suicider ! »
Qu'il accepte le laisser-mourir ou qu'il agisse seul et, s'il est dans l'incapacité de le faire lui-même, qu'un autre le fasse à sa place, à ses risques et périls ! Est-ce là l'unique alternative proposée par notre société à celui qui ose demander d'être délivré d'une vie devenue inhumaine ?
Selon un archevêque qui s'est exprimé largement et publiquement dernièrement, « la société n'aurait pas vocation à organiser la mort, [...] ni celle du grand malade en phase terminale, ni celle de vieillards en fin de vie ».
Est-ce à dire que la société qui organise le vivre-ensemble autour de valeurs communes comme la justice, l'égalité, la solidarité devrait abandonner l'homme au « finir de sa destinée » ?
Améliorer les conditions de cette fin quand elle survient, préparer au mieux cette issue inéluctable, n'est-ce pas aussi le devoir d'une société ? Pour ma part, je le crois.
Le respect de la volonté d'une personne, cette dernière liberté, ce choix intime, ne doit plus être nié. Ne pas refermer la porte, ne pas accepter la fatalité de la douleur, du « mourir à petit feu », assumer la transgression au nom de la responsabilité, comme mesure exceptionnelle liée à un état de nécessité - souffrance absolue - et fondée sur la volonté du malade : voilà ce que nous devons avoir le courage d'affronter aujourd'hui.
Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur ma vie personnelle ; je ne comptais par le faire, mais le débat d'aujourd'hui m'y conduit. Voilà plus de treize ans, j'ai accompagné une personne qui partageait ma vie, atteinte d'une maladie incurable. Cette personne jeune, mais frappée dans sa chair, me suppliait tous les jours de mettre fin à ses souffrances. Croyez-moi, madame la ministre, je n'ai pas eu le courage de le faire à cette époque et, tous les jours, cette situation me hante : j'ai été lâche et je le regrette.