D'une part, si nous légiférions, mes chers collègues, nous ne pourrions légiférer sur la mort à la troisième personne, celle qui est le destin commun de tout ce qui vit et respire.
Nous ne pourrions légiférer non plus sur la mort à la première personne, celle dont je ne peux parler puisque c'est ma mort.
Nous sommes donc appelés à légiférer non pas à la troisième personne ou à la première personne, parce que c'est impossible, mais sur la mort à la deuxième personne, celle de l'autre.
En d'autres termes, nous nous trouvons amenés à prendre au sérieux la parole d'un « je » et à croire que son consentement suffit à légitimer toutes sortes de conduites, sans nous rendre compte que, parfois, le sujet vit ses choix dans la souffrance et n'est donc pas forcément tout à fait en conformité avec son moi.
Autrement dit, nous sommes confrontés à notre propre impuissance, obligés de composer avec quelque chose d'insupportable et d'inacceptable, le coeur de l'inacceptable tenant au fait que c'est comme si l'on se renvoyait l'un à l'autre, en ricochet, la peur de la fin, la perte du sens et l'entrebâillement de l'espérance.
Or, comme le dit très bien Jankélévitch, « l'homme est fait pour connaître l'entrouverture, car sa vie est toujours entrebâillée par l'espérance, ce qui fait qu'il n'est jamais nécessaire de mourir ». C'est d'ailleurs, mes chers collègues, cette espérance qui est refusée au condamné à mort ; cela est contre nature, inhumain, c'est un temps monstrueux.
Or, en légiférant, on demande à la loi, par définition générale, qu'un autre - un homme singulier - vienne fermer cette ouverture, claquer cet entrebâillement, cette capacité à s'indigner et à dire « je veux vivre ».