Si l'on doit compassion et respect aux personnes concernées et à leur entourage, nous devons nous garder de réagir seulement à l'émotion et éviter de nous laisser emporter dans le maelström médiatique, d'autant que celui-ci ne donne généralement la parole qu'aux militants les plus résolus de l'euthanasie. La dernière affaire en date l'illustre de façon caricaturale.
En effet, radios et télévisions utilisant à fond l'émotion de façon irresponsable n'ont relayé que la parole des partisans du prétendu « droit à mourir dans la dignité », jouant sur les mots sans guère de respect pour la plus élémentaire honnêteté intellectuelle, masquant la réalité derrière la multiplication d'euphémismes et laissant croire de façon choquante que la dégradation physique du corps prive la personne de sa dignité humaine ; tout cela sans donner la parole à ceux qui pensent qu'il y a des solutions alternatives permettant de respecter la personne autrement qu'en la tuant.
On ne peut que penser qu'il y a volonté de manipuler l'opinion par le diktat de l'affectif pour l'empêcher de réfléchir un tant soit peu de façon calme et mesurée à tout ce qu'implique la fin de vie.
Pour ma part, je pense qu'il faut réfléchir longuement avant de toucher à ce qu'il est convenu d'appeler la loi Leonetti, qui, je le crains, nous engage dans un engrenage mortifère.
On ne peut qu'être inquiet quand on lit ce qui a été écrit il y a une vingtaine d'années : « L'allongement de la durée de la vie n'est plus un objectif souhaité par la logique du pouvoir... Dès qu'il dépasse 60-65 ans, l'homme vit plus longtemps qu'il ne produit et il coûte alors cher à la société ; il est bien préférable que la machine humaine s'arrête brutalement, plutôt qu'elle ne se détériore progressivement. On pourrait accepter l'idée d'allongement de l'espérance de vie à condition de rendre les vieux solvables et de créer ainsi un marché. Je suis pour ma part en tant que socialiste contre l'allongement de la vie. L'euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures. »
J'espère que l'auteur à qui l'on attribue ce texte le désavouera, sinon le pire est à craindre.
Il faut dire « non » à l'euthanasie et « oui » à une médecine à visage humain, « oui » à une société à visage humain prenant pleinement en compte la dignité de la personne humaine.
En effet, avec Jean-François Mattei, je pense que c'est la dignité qui fait l'humain. On ne peut ni la donner ni l'enlever. On ne peut pas, à la fois, disposer de la dignité et décider qu'on l'a, qu'on l'a plus ou moins ou qu'on ne l'a plus. La dignité ne s'éteint pas progressivement au fil de la vieillesse ou de la maladie. Elle n'est pas biodégradable.
La qualité d'humain ne se décrète pas en fonction de la seule liberté du décideur, elle n'est pas subjective. S'engager dans ce sens serait extrêmement dangereux - le passé l'a amplement montré - car cela créerait une humanité à géométrie variable qui porterait atteinte à notre humanité intrinsèque. L'homme peut revendiquer des libertés, mais pas celle de choisir son humanité.
On naît humain et on vit humain, et rien ne peut en décider autrement. Aussi, en fin de vie, si l'acharnement thérapeutique est assurément déraisonnable, l'accompagnement des mourants obéit au principe d'humanité et au respect de la dignité de celui qui s'en va, pas l'euthanasie.
Nier la dignité de l'homme souffrant n'est-il pas indigne de l'homme qui se prétend non souffrant ? Opposer dignité et souffrance ne paraît pas digne de l'homme. C'est bien l'avenir et la dignité de l'humanité qui sont en jeu en la circonstance.
La fausse compassion nous expose à nombre de dangers. Parmi eux, le vote de textes qui ne répondent pas au problème posé.
Le précédent de la dépénalisation de l'avortement est emblématique. Devant des situations dramatiques indubitables, on a voté une loi sur l'IVG en espérant éviter sa banalisation. Pourtant, il n'y a jamais eu en France autant d'avortements qu'aujourd'hui. J'ai du mal à penser qu'il y ait chaque année 220 000 femmes en situation de détresse du fait d'une grossesse.
La question qui se pose est notre rapport à la vie. Notre société face à ce qu'elle considère comme n'entrant pas dans la norme répond très souvent par la mort. Pourtant, la collectivité est là pour protéger les citoyens, pas pour les tuer.
On ne peut pas, à partir d'un cas singulier, tirer des conclusions générales. Faire croire que la seule manière de respecter le désir de quelqu'un qui n'en peut plus est de lui donner la mort est une tromperie. Croire que l'euthanasie légalisée réglera la question de la souffrance et de la mort relève de l'illusion.
L'exception d'euthanasie ne tient pas la route : soit l'euthanasie est dépénalisée, soit elle ne l'est pas ! Il n'y a pas de situation intermédiaire.
Les risques de dérives sont considérables. Là où elle est légalisée, elle s'étend. L'exemple de la Belgique le fait craindre. On y pratique deux à trois euthanasies par jour, et le total annuel ne cesse d'augmenter.