Intervention de André Lardeux

Réunion du 8 avril 2008 à 16h00
Aide aux malades en fin de vie — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de André LardeuxAndré Lardeux :

Ce n'est pas en franchissant l'interdit majeur du « tu ne tueras point » que l'on résoudra le problème. Faire tomber la barrière qui signifie que, pour chacun d'entre nous, la vie, même diminuée, a une valeur inestimable nous entraînera vers des impasses.

Tout d'abord, c'est une impasse pour les médecins et les soignants, dont il faut rappeler qu'ils ne doivent pas nuire aux patients : le médecin n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort.

C'est imposer aux médecins une responsabilité impossible à supporter. De nombreuses situations peuvent les confronter à la demande de mort : maladies incurables, démence sénile, maladie d'Alzheimer, handicaps profonds, congénitaux ou non, etc.

Donner la mort à quelqu'un, même s'il la demande, ne dédouane pas de sa responsabilité morale l'auteur de l'acte.

Ensuite, c'est une impasse pour les malades, dans notre société de la honte - en l'occurrence, la honte de montrer que des gens souffrent : nombre d'entre eux, sous l'effet d'un sentiment de culpabilité, pourraient souhaiter la mort pour ne pas déranger. Et ce sentiment pourrait s'étendre aux personnes qui se sentent socialement inutiles, un poids pour leur entourage ainsi que pour la collectivité.

Il ne peut être question de les sommer de quitter la vie. Ce ne serait pas respecter leur dignité et ce serait créer une nouvelle forme d'exclusion.

Enfin, c'est une impasse pour la société, pour la collectivité, pour nous tous. Cela signerait la fin de la solidarité, qui n'a déjà que trop régressé. Comment vivrons-nous dans une société du chacun pour soi, dans un monde où la solidarité et la compassion consisteront à donner la mort alors que l'interdit du meurtre est une valeur fondamentale, comme le reconnaît le Comité consultatif national d'éthique dans son avis du mois de mars 2000 ?

On ne peut pas livrer la fin de la vie à des spécialistes de l'extinction des feux. On n'ose imaginer un moderne comité des trois Parques !

Pour aller vers l'euthanasie, on affirme que la loi Leonetti n'est pas appliquée, voire qu'elle est mal appliquée. Il faudra, bien sûr, en évaluer les éventuels bienfaits et méfaits, et pour cela il faut du recul.

Quoi qu'il en soit, la réponse, même si la loi n'est pas bien appliquée, n'est pas de donner la mort. Il nous appartient d'analyser le vrai désir des personnes, qui demandent avant tout quatre choses : ne pas souffrir, ne pas être soumises à une obstination inutile, ne pas être exclues des décisions médicales les concernant, ne pas être abandonnées et mourir seules. C'est lorsque ces quatre demandes légitimes ne sont pas respectées qu'il y a souvent un désir d'euthanasie.

Alors que faire ? Il nous faut agir sur les leviers de la vie et donner le courage de vivre. Cela ne passe pas par une loi, qui ne peut répondre à chaque situation particulière et, s'il faut éviter l'acharnement thérapeutique déraisonnable, on ne peut demander à quelqu'un d'abréger la vie d'autrui, car cela demeurera toujours un homicide volontaire.

Il faut axer nos efforts sur les soins palliatifs. Les progrès réalisés dans ce domaine montrent que la question de l'euthanasie est dépassée. On a désormais, pour peu qu'on le veuille, les moyens de soulager la souffrance et d'aider les malades à rester en relation avec les autres, notamment avec les leurs. La dépénalisation de l'euthanasie remettrait en cause les efforts de ceux qui se mobilisent dans cette voie.

Les bonnes pratiques de fin de vie doivent être diffusées par la formation et l'information des médecins comme des professionnels de santé. Il faut poursuivre leur développement dans les établissements de santé. La circulaire que vous avez adressée, madame la ministre, va tout à fait dans ce sens.

Les soins palliatifs doivent également être développés dans l'accompagnement à domicile ou sur le lieu de vie habituel. Il faut aider les équipes qui réalisent ces missions.

Enfin, tout le corps social doit être sensibilisé et informé : tout est à faire en ce domaine, pour que chacun soit en mesure d'accueillir l'impuissance partagée.

Cela doit permettre d'anticiper le plus possible les situations qui peuvent devenir dramatiques, les situations de blocage, pour ne pas être tenté de supprimer la maladie en supprimant le malade, afin de rester toujours dans une posture d'humanité : soulager la douleur au risque de provoquer la mort ne relève pas de la même intention que pratiquer une euthanasie.

Certes, on pourra toujours mettre l'accent sur des cas difficiles, mais en réalité les gens souffrent surtout du regard que la société, c'est-à-dire nous, porte sur eux en leur donnant le sentiment qu'ils n'ont plus leur place parmi nous. Ce sentiment est souvent partagé par les proches.

Notre devoir est de protéger les plus faibles, non de les éliminer. On peut d'ailleurs citer des cas où le désir de vivre dignement est manifeste - je pense à Jean-Dominique Bauby et à son livre le Scaphandre et le papillon, mais aussi au très beau livre de Christiane Singer. Si la souffrance n'a pas de sens, la manière dont nous la prenons en compte est porteuse de sens.

En un mot, essayons de construire un monde où l'on manifeste plus de considération, plus d'amour envers ceux qui souffrent, un monde où la chaleur de la vie et le goût de la vie l'emportent sur le désir de mort, ce qui met en jeu notre sens de l'humain, car si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie, et cela peut nous éviter de tomber dans la désespérance !

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