Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Réunion du 8 avril 2008 à 16h00
Aide aux malades en fin de vie — Discussion d'une question orale avec débat

Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative :

Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je salue la très grande dignité de ce débat, profond, souvent émouvant tant il est baigné des parcours individuels, des souffrances et de la mort de ceux que nous avons aimés.

Le tendre et pudique témoignage de Sylvie Desmarescaux ou celui plein de remords de Roger Madec nous obligent au sérieux, à cette gravité que Pascal opposait au faux sérieux, qui nous divertit, nous détourne de l'idée de la mort.

La question posée par Jean-Pierre Godefroy appelle, en ce sens, une réponse responsable, une vraie réponse, une réponse qui intègre, sans faux-semblants, la complexité de la question.

Oui, Jean-Pierre Michel, oui Marie-Thérèse Hermange, le débat est bien philosophique !

Je voudrais rappeler d'emblée en quel sens le souci qui nous anime et qui m'anime est un souci éthique. Ma démarche s'inscrira résolument dans une morale laïque et républicaine.

Cette éthique est celle qui nous enjoint d'être attentifs et sensibles à la souffrance de notre prochain, de lui porter secours, de répondre à sa détresse par des gestes de vie. Ces gestes de vie, ce sont les gestes que doivent prodiguer, auprès des malades, les personnels soignants.

Cette éthique est celle qui nous commande de traiter avec dignité chaque être humain, de respecter, de comprendre l'irréductible singularité qui fait l'humanité de chacun.

Cette éthique, depuis l'origine de la médecine, irrigue la pratique médicale.

Hippocrate, cité à propos par Gérard Dériot, prétendait déjà mettre davantage de médecine dans la philosophie et de philosophie dans la médecine, nous invitant ainsi, par avance, à éviter les pièges de l'abstraction qui condamne à la spéculation vaine, nous invitant également à ne jamais oublier ni trahir la vocation éthique du geste soignant.

Cette vocation structure, en effet, la manière d'être de tous ceux qui se sont engagés à soigner leurs semblables, à soulager leur douleur, à sauver des vies.

C'est sous le patronage d'Hippocrate que je voudrais répondre à la question posée par Jean-Pierre Godefroy.

Vous avez bien voulu, monsieur le sénateur, évoquer, pour commencer, les récentes évolutions du droit qui ont permis, dans notre pays, de rappeler très précisément les principes régissant le soin au stade terminal ou avancé d'une affection grave et incurable.

Le droit des malades au respect de la liberté de leurs choix est reconnu. La souveraineté de leurs décisions est un droit fondamental de la personne humaine. Ainsi, l'entrée dans une phase avancée d'une maladie incurable oblige médecins et soignants à entendre et à respecter la volonté des patients.

C'est en ce sens que la loi Leonetti, dont on a beaucoup parlé, proscrit, dans son article 1er, l'acharnement thérapeutique, l'obstination déraisonnable. C'est en ce sens aussi qu'elle donne droit aux malades qui le souhaitent de recevoir les traitements palliatifs visant à soulager leur douleur, à apaiser leurs souffrances.

Si les médecins ont le devoir de prodiguer de tels soins quand une demande s'exprime, les malades conservent, bien entendu, le droit de refuser ces traitements.

Cependant, l'intervention du médecin ne saurait en aucun cas avoir pour objet de mettre fin à la vie du patient. Il s'agit là d'un des principes irréfragables de l'éthique médicale. La mort peut être une conséquence, mais elle ne peut en aucun cas procéder d'un projet auquel le corps médical serait associé. La loi Leonetti incorpore ces valeurs fondamentales dans sa rédaction.

L'article 2 de la loi Leonetti précise que le médecin est tenu de soulager les souffrances extrêmes, y compris par l'utilisation de médications très puissantes, tout en informant les malades des conséquences éventuelles de leurs choix, à savoir les risques de décès. Lorsque le traitement appliqué pour soulager la douleur contribue à abréger la vie d'un malade dont l'état de santé est particulièrement dégradé, alors la mort n'est qu'un effet indirect possible.

Ainsi, aux termes de l'article 2, « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. [...] Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade. »

L'article 2 s'applique à tout patient en « phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable ».

Ce qu'il est convenu d'appeler le « double effet » constitue une réponse légitime et - je voudrais le souligner - recevable au regard des exigences spécifiques du soin.

Je ne crois pas, comme François Autain, qu'il soit hypocrite de vouloir le bien - premier effet - sans vouloir le mal - second effet -, ce qui reviendrait à postuler que notre vraie conscience d'un bien cache un mal. Pourquoi notre conscience serait-elle nécessairement trompeuse ?

La différence, dans la conscience réelle, entre le bien d'une intention et le mal d'une conséquence non voulue permet de distinguer nettement ce qui relève de l'euthanasie et ce qui relève des justes moyens de lutte contre la douleur. Même si ceux-ci entraînent la mort, ils paraissent plus respectueux des personnes.

La loi du 22 avril 2005 - faut-il le rappeler ? - est une loi récente, une loi des hommes, inscrite dans l'histoire, ce qui en fait la grandeur et la faiblesse à la fois. En ce sens, il nous revient d'en saluer l'esprit. Il est possible de reconnaître qu'elle n'est pas la panacée, mais je reviendrai ultérieurement sur ce point.

Cette loi, dont beaucoup ont bien voulu signaler qu'elle organisait un équilibre subtil des droits et des responsabilités de chacun, incorpore l'idée selon laquelle, en médecine, le véritable respect ne peut être abstrait.

Le véritable respect se tient nécessairement au plus près d'une personne concrète. Le bien et la liberté d'une personne sont ici consubstantiellement liés. Cette liberté est même le bien le plus précieux qui fonde notre dignité, cette dignité si souvent invoquée et trop souvent trahie dans ses principes !

Faciliter l'accès au suicide, prétendument aider, reviendrait à réduire une personne à un être enfermé dans sa douleur. La première des urgences consiste, au contraire, à tout faire pour qu'elle recouvre sa liberté, qu'elle soit dégagée du tourment de la douleur physique en cessant de souffrir. Il est d'ailleurs remarquable qu'une démarche palliative bien menée supprime les très rares demandes d'euthanasie.

Le respect des personnes suppose de ne pas séparer abstraitement leur dignité, leur liberté, leur singularité et leur socialité concrètes. La capacité de se mettre à la place d'autrui, impliquée par l'éthique du soin, au fondement même de toute morale, évite d'avoir faussement à choisir entre la liberté et le bien. Le vrai bien d'une personne n'est pas dissociable de sa liberté concrète. C'est en ce sens que lutter pour la vie et combattre pour la liberté constituent un seul et même défi. Ce défi, bien entendu, est concrètement toujours difficile à relever.

Je me dois ici de rendre hommage aux personnels soignants qui, dans des situations dramatiques, se trouvent placés devant des cas de conscience. Nos établissements de santé, notamment les centres de soins palliatifs, ne sont pas ces lieux déshumanisés, soumis à l'empire de la technique, comme d'aucuns les décrivent trop souvent. Pour m'y être régulièrement rendue, j'ai pu chaque fois constater qu'un hôpital, avant d'être un lieu investi par des équipements, est d'abord un lieu habité par des équipes, remarquablement formées, d'un dévouement exemplaire. Le respect du malade, de son intimité, de sa pudeur, n'y est pas une pure clause de style. Il s'exprime, s'incarne dans des attitudes dont l'invisibilité, parfois, rend difficile l'évaluation.

Aussi, je veux saluer la qualité de ce travail discret, assuré par le personnel infirmier, les aides-soignantes, les médecins, les psychologues, tous ceux qui se tiennent auprès des malades et de leurs proches en ces moments difficiles.

Je veux également saluer le travail admirable des bénévoles qui se rendent au chevet des malades, car ce travail ne peut non plus être ignoré.

Enfin, l'arrêt des traitements, il faut le dire haut et fort, ne saurait être confondu avec la suspension des soins. À cet égard, l'expression consacrée de « laisser mourir » n'est pas sans équivoque. En l'opposant à l'« aide active à mourir », on laisse trop souvent penser - comme je l'ai encore entendu dire dans ce débat -, très malencontreusement, qu'à l'action s'oppose le délaissement. C'est ignorer la réalité de la pratique. C'est méconnaître l'esprit des soins palliatifs, tout entier soutenu par une philosophie de l'effort et du dévouement.

Dans ce cadre, la conception de la sédation de la douleur présentée comme un simple anéantissement par M. Godefroy est beaucoup trop restrictive. Les soins palliatifs impliquent, au contraire, une action exemplaire, une présence exigeante dans l'accompagnement qui s'incarne dans le geste soignant, admirable entrelacs d'humanité et de compétence.

Trois ans après sa promulgation, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie reste insuffisamment connue et appliquée. Jean Leonetti lui-même a exprimé son regret que Chantal Sébire, souvent évoquée dans ce débat, n'ait pas « demandé à la loi de s'appliquer ».

Aussi, il est indispensable de procéder à l'évaluation sereine de notre dispositif législatif de manière à mettre en évidence les éventuelles difficultés de son application à la lumière de tels drames humains.

À cet égard, j'attends avec beaucoup d'intérêt les conclusions de la mission confiée par le Premier ministre à Jean Leonetti qui, véritablement, est l'homme de la situation. Eu égard à la délicatesse avec laquelle il a mené le premier débat, je suis sûre qu'il sera celui qui pourra mener cette deuxième évaluation.

Vous avez souhaité, monsieur le sénateur, qu'une mission d'information soit menée sur le sujet de la fin de vie. M. le président About a proposé de créer un groupe de travail au sein de la commission des affaires sociales. Ce dispositif, qui recueille, me semble-t-il, un assez large consensus, permettra aux sénateurs et aux sénatrices fermement engagés sur le sujet de réfléchir ensemble, mais aussi de nourrir la mission d'évaluation que le Premier ministre a confiée à Jean Leonetti. Il me semble nécessaire que les membres de votre assemblée qui composeront ce groupe de travail soient auditionnés par Jean Leonetti.

Comment répondre, sans jamais renoncer aux principes du soin, aux situations les plus douloureuses ? C'est à cette question difficile que la pratique des soins palliatifs veut répondre.

Dans le rapport de grande qualité qu'elle a rédigé, Marie de Hennezel, tout en déplorant l'absence de diffusion de la culture palliative, n'a jamais émis l'idée que l'euthanasie pouvait être une solution. Mieux, elle la réfute.

La culture palliative, dont je voudrais favoriser la diffusion dans notre pays et qui inspire désormais, je le souligne, un certain nombre d'autres pays en Europe, mérite d'être mieux connue et reconnue.

Pourquoi aller chercher ailleurs des réponses aux questions que nous nous posons, dans des pays qui souvent, d'ailleurs, cherchent désormais à s'inspirer davantage de notre démarche, raisonnée, équilibrée, exigeante ? Pourquoi invoquer un modèle belge ou hollandais ? Je ne vois rien dans le fonctionnement global de ces sociétés qui pourrait nous servir de modèle dans une démarche de morale laïque et républicaine. Pas davantage, nous ne saurions faire appel, comme Michel Dreyfus-Schmidt, à des sondages d'opinion, d'une opinion chahutée par des images insoutenables. Tous ceux d'entre nous qui ont réfléchi à cette question ont été habités par le doute et, plus nous avançons dans cette démarche intime, moins nous avons de certitude.

Il nous revient plutôt de poursuivre dans la perspective tracée et d'agir conformément aux priorités clairement définies par le Président de la République. Il faut s'en souvenir : le Président de la République est entré dans le monde de la santé au début de son mandat par la porte palliative. Madame Desmarescaux, vous l'avez d'ailleurs souligné en évoquant la visite très émouvante qu'il a faite dans l'unité de soins palliatifs de l'hôpital de Zuydcoote, visite à laquelle vous avez assisté.

Ainsi, je proposerai d'agir en ce sens, selon trois grandes orientations.

Il faut, d'abord, poursuivre le développement de l'offre de soins palliatifs à l'hôpital mais aussi en ville.

Il convient, ensuite, d'élaborer une politique de formation et de recherche ambitieuse, au service des soins palliatifs.

Il faut, enfin, travailler à l'amélioration de l'accompagnement offert aux proches.

Nous avons déjà, durant cette première année, observé des progrès considérables, aussi bien dans les unités de soins palliatifs, à travers les lits identifiés, dans les réseaux de soins palliatifs, au sein des équipes mobiles de soins palliatifs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion