La lecture des « bleus » budgétaires ne donne aucune indication sur les actions précises qui seront menées par le Gouvernement ; on y définit des grandes masses, laissant la possibilité à l'exécutif de réorienter les crédits à sa guise. La seule chose assez évidente, parce qu'il est difficile de la cacher, c'est la diminution progressive des crédits attribués à la mission « Transports ».
En la matière, mon intervention sera d'une tonalité quelque peu différente de celle dans rapports de mes collègues rapporteurs.
En effet, l'annonce de la hausse des crédits de la mission « Transports », qui atteignent 17 milliards d'euros, est faite sur la base de ressources exceptionnelles liées à la privatisation des concessions d'autoroutes.
D'un point de vue technique, l'exercice qui tend à accorder des subventions à l'AFITF, qui se retrouvent ensuite dans les fonds de concours, est un procédé pour le moins contestable.
Cette nouvelle agence va enfin disposer, selon le Gouvernement, de ressources exceptionnelles, à la hauteur des enjeux du rééquilibrage modal dans le secteur des transports. En effet, l'Agence disposera cette année de 2 milliards d'euros de ressources pour réaliser ses objectifs, la clef de répartition devant être fixée ultérieurement par le conseil d'administration.
Si cette agence était initialement chargée du financement des grands projets retenus par le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, le CIADT, elle se trouve également chargée de la mise en oeuvre des contrats de plan État-région, depuis le comité interministériel d'aménagement et de compétitivité du territoire du 14 octobre dernier.
Or, si l'on déduit du budget de l'AFITF les sommes consacrées à la réalisation des contrats de plan, l'Agence ne disposera, en fait, que de 900 millions d'euros pour la mise en oeuvre des infrastructures décidées par le CIADT, alors qu'elle disposait l'année dernière de 1, 1 milliard d'euros. Mettre à la charge de l'AFITF l'exécution des contrats de plan permet donc d'augmenter artificiellement le budget de cette dernière ainsi que celui de la mission « Transports ».
Cette évolution modifie gravement la nature même de cette agence, et il conviendrait, pour le moins, de redéfinir la composition de son conseil d'administration, afin d'y intégrer des représentants des collectivités territoriales.
Concernant la subvention spéciale de 4 milliards d'euros annoncée à la suite de la privatisation des concessions d'autoroutes, dont 836 millions seraient versés cette année, peut-on avoir la certitude, monsieur le ministre, que le reliquat sera bel et bien crédité les années suivantes, et non pas utilisé pour réduire la dette ?
La question de la pérennisation des ressources de l'agence reste donc posée.
Par ailleurs, conformément aux décisions qui ont été prises lors du CIACT du 14 octobre dernier, l'AFITF n'honorera pas l'ensemble des contrats de plan, notamment le contrat de plan Île-de-France. En effet, sur les quarante-sept projets, vingt sont supprimés.
De la même manière, le projet de budget prévoit encore une diminution des crédits au titre du financement des contrats de plan.
Prenons l'exemple des transports collectifs en Île-de-France, financés par l'AFITF, au titre du contrat de plan État-région. Le CIACT proposait une enveloppe de 180 millions d'euros, alors que, dans le projet de budget, ne sont inscrits que 81 millions d'euros. C'est inadmissible !
Concernant le transport ferroviaire, comment ne pas constater la direction hasardeuse prise par le Gouvernement, puisque celui-ci propose une baisse des crédits de près de 1 milliard d'euros pour 2006 ?
Alors qu'un audit récent réclamait des augmentations pour les subventions relatives à la régénération du réseau, le projet de budget prévoit la même somme que l'année passée, soit 900 millions d'euros. Lors de l'examen de cette mission par l'Assemblée nationale, les députés ont pris la décision d'augmenter cette action de 70 millions d'euros, qui sont compensés par la cession d'actifs de Réseau ferré de France, RFF.
Considérant la crise actuelle du foncier et la spéculation acharnée en ce domaine, il est pourtant évident que RFF va perdre de l'argent puisqu'il est contraint d'agir dans la précipitation !
Par ailleurs, la contribution aux charges liées aux infrastructures connaît également une diminution de 75 millions d'euros ; elle n'atteindra que 1, 169 milliard d'euros. Or, dans le même temps, on constate une augmentation de 60 millions d'euros des péages de RFF, soit, depuis 2003, une augmentation de 23 % des tarifs.
Globalement, on assiste à une diminution inquiétante des subventions accordées à RFF, alors même qu'un effort particulier devrait être consenti en faveur de l'amélioration des infrastructures ferroviaires ; sur ce point, je rejoins donc le rapporteur.
Concernant la SNCF, la contribution à la reprise de la dette est diminuée de 50 millions d'euros ; elle atteindra 627 millions d'euros.
La dette des deux entreprises nationales RFF et SNCF représente 41 milliards d'euros ; les frais financiers s'élèvent chaque année à 2, 5 milliards d'euros. Le remboursement de la dette aurait mérité un meilleur traitement !
La contribution aux charges des retraites de la SNCF enregistre une baisse de 56 millions d'euros. La contribution aux tarifs sociaux de la SNCF pour assurer une meilleure équité sociale passe, quant à elle, de 109 millions d'euros à 89 millions d'euros.
Au total, dans votre projet de budget, monsieur le ministre, ce sont 136 millions d'euros en moins pour la SNCF !
S'agissant maintenant des transports collectifs, une fois encore, nous constatons que les crédits ne sont pas à la hauteur des besoins.
Ainsi, pour les années 2006 et 2007, outre les 45 millions dévolus à l'AFITF, vous avez prévu, monsieur le ministre, 100 millions d'euros en faveur des transports collectifs en province, alors que les besoins sont estimés à plus de 650 millions. En 2003, les crédits étaient de 138 millions d'euros, puis avaient chuté à 33 millions d'euros, en 2005.
Le projet de budget entérine ainsi la pérennisation d'un nouveau modèle de financement axé sur le désengagement de l'État.
Les objectifs du programme « Transports terrestres et maritimes » sont clairement énoncés : seules les activités rentables doivent être poursuivies, celles qui seront trop déficitaires seront abandonnées. En conséquence, dans le « bleu » budgétaire, trois objectifs sur quatre concernent le TGV. Une enveloppe de 11 milliards d'euros sera disponible pour financer quatre lignes TGV sur la période 2006-2011, mais il n'est nullement fait mention de l'avenir des trains grandes lignes, dont on a pourtant récemment montré l'importance. Serait-ce, là aussi, un signe du désengagement de l'État ?
L'État préfère laisser la place à l'initiative privée, en inaugurant notamment les fameux partenariats public-privé, les PPP. Ce procédé a d'ailleurs permis à l'Assemblée nationale de ponctionner 30 millions d'euros sur le budget des transports ferroviaires. Évidemment, les PPP ne sont envisageables que pour les infrastructures rentables, comme les TGV ou les liaisons comme Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle. En quoi sont-ils pertinents au regard de l'aménagement du territoire et de l'égal accès de tous au service public ?
De plus, non content de confier la réalisation des infrastructures à des investisseurs privés, vous faites en sorte, monsieur le ministre, que la gestion puisse aussi être concédée. Or, même si vous assurez que la maintenance de sécurité restera dans le giron de la SNCF, s'agissant de l'entretien des voies, tout relève de la sécurité.
En réalité, c'est la logique de rentabilité économique qui guide une nouvelle fois ce budget : rentabilité économique, mais déclin du mode ferroviaire, ouverture à la concurrence mise en oeuvre dans le domaine du fret, mais aussi ouverture à la concurrence du transport urbain et du transport des passagers, annoncée pour 2010 par le Conseil des ministres européens, mais prévue pour 2008, selon le Parlement européen.
Pourtant, les résultats du plan fret ferroviaire pour l'année 2005, avec plus de 10 % de retard par rapport à ce qui était escompté, devraient vous inciter, monsieur le ministre, à une plus grande prudence, en mettant notamment en place un bilan économique et social sur la déréglementation dans le secteur des transports.
La rationalisation des coûts et la pertinence économique sont les maîtres mots de ce budget. Mais n'avons-nous pas des exemples des dérives de ces politiques libérales en termes notamment de sécurité ?
Cette dérive est particulièrement marquée dans le secteur aérien. À propos de la succession des accidents d'avion, on a beaucoup parlé cet été de loi des séries, mais il n'existe aucune fatalité : ce n'est ni la loi des séries ni un mauvais coup du sort, c'est une conséquence de la loi du marché mise en oeuvre au niveau international comme au niveau européen.
En effet, le règlement « ciel unique européen » entérine la déréglementation du secteur aérien et organise la séparation fonctionnelle entre les activités de sécurité et les activités régaliennes. Les activités de sécurité sont ainsi confiées au niveau européen à l'Agence européenne de la sécurité aérienne. Par conséquent, le budget des transports aériens pour 2006, ainsi que la réorganisation de la DGAC, la direction générale de l'aviation civile, sont à l'image de la séparation entre les activités régaliennes, qui relèvent du budget général, et les activités liées à la sécurité et aux prestations, qui relèvent du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».
Ainsi, en ne considérant plus les missions de sécurité comme des missions régaliennes de l'État, on ouvre la voie à l'externalisation. Cela s'explique par le fait que les politiques ultralibérales retiennent les notions de « rentabilité » et de « libre concurrence » comme seuls modes de régulation. La recherche de la réduction des coûts peut alors très naturellement se faire au détriment de la sécurité, par l'externalisation et la sous-traitance de la maintenance des appareils. La nouvelle notion de « risque acceptable » illustre parfaitement cette dérive libérale dans le secteur des transports.
Il serait également opportun de consacrer des moyens supplémentaires à la DGAC et au BEA, le Bureau d'enquêtes et d'analyses. S'agissant de ce bureau, dont tout le monde reconnaît qu'il s'agit d'un excellent outil, les besoins en personnels supplémentaires sont estimés à 20 %. Or vous n'octroyez, monsieur le ministre, qu'une augmentation des moyens de 8 %, avec un objectif limité à 75 % des enquêtes clôturées en 2009.
Si vous présentez un budget des transports aériens en hausse, c'est parce que vous y intégrez les transferts des immobilisations effectuées par ADP, Aéroports de Paris, pour la navigation aérienne.
Les crédits de l'ex-FIATA, le Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien, qui financent les subventions pour les dessertes d'aménagement du territoire, reculent une nouvelle fois, pour atteindre 19, 6 millions d'euros en 2005, contre 28, 1 millions en 2004. De plus, aucun engagement supplémentaire n'est prévu. C'est, une nouvelle fois, la conséquence du désengagement massif de l'État de ses missions relatives à l'aménagement du territoire.
Au final, en réduisant une nouvelle fois les ressources des entreprises publiques, en livrant à la concurrence les secteurs rentables, en assurant au patronat routier sa domination sur les autres modes de transport, en dépossédant le Parlement de son rôle avec la création de l'AFITF et l'absence de maîtrise publique des financements, vous ouvrez la voie, monsieur le ministre, à la marchandisation des transports.
Pour notre part, nous estimons, au contraire, que les transports sont un élément essentiel du développement partagé et du progrès social au moyen de la reconnaissance d'un droit fondamental, celui de la mobilité pour tous sur l'ensemble du territoire. C'est pour cette raison que nous voterons contre les crédits de la mission « Transports ».