Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Michel Billout vous a déjà dit notre désaccord avec le projet de budget consacré aux transports. Mais s'il fallait retenir une seule raison à cette position, la non-prise en compte de l'impératif de rééquilibrage modal suffirait.
En effet, alors que les besoins de transport de marchandises ne cessent d'augmenter et que les enjeux liés à la politique de développement durable sont devenus des exigences citoyennes, la route reste le mode dominant puisqu'il transporte 79 % des marchandises hors transit. Or les coûts externes sont considérables : sur 650 milliards d'euros dépensés à l'échelon européen, 83, 7 % sont imputables à la route.
L'essor des transports alternatifs au « tout-routier » est un enjeu de société majeur. Les transports ferroviaires, fluviaux ou maritimes, dont le développement est conforme aux engagements pris lors du sommet de Kyoto, sont une manière pertinente de réconcilier développement économique et social, protection de l'environnement et conservation des ressources naturelles. Tout le monde semble s'accorder sur ce constat, et cet objectif est réaffirmé à la moindre occasion : dans le Livre blanc des transports de l'Union européenne, par l'intégration de la charte de l'environnement dans la Constitution française, ou même dans les bleus budgétaires de la mission « Transports ».
Alors, pourquoi, à contre-pied des discours et des déclarations d'intention, la politique mise en oeuvre par votre gouvernement ne se donne-t-elle pas les moyens d'aboutir à ce rééquilibrage modal ?
Elle est en effet plus que généreuse envers le patronat routier et les armateurs maritimes, à qui de nouvelles exonérations sont accordées. Ainsi, les exonérations au titre du versement « transport » des entreprises vont encore être augmentées et coûteront 60 millions d'euros, contre 55 millions l'année passée. Les dégrèvements de la taxe professionnelle pour les transporteurs routiers seront doublés, voire triplés, pour les véhicules les moins polluants. Le remboursement d'une fraction de la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, est étendu par la suppression du plafonnement du volume de consommation donnant droit au remboursement. Toutes ces mesures sont dites incitatives à la prise en compte des problèmes environnementaux.
Concernant les armateurs maritimes, 73 millions d'euros d'aides s'ajouteront aux 400 millions déjà accordés par l'État depuis 2004.
À l'inverse, les subventions au transport ferroviaire sont en nette diminution, puisque cette mission perd près de 1 milliard d'euros de crédits. Et même si la subvention au transport combiné atteint 32 millions d'euros cette année, c'étaient tout de même 92 millions d'euros qui étaient consacrés à son développement par le gouvernement de la précédente législature.
L'AFITF, était initialement conçue comme un outil au service d'une politique ambitieuse d'équipement de la France pour construire une politique de transport durable en privilégiant les transports ferroviaires et fluviaux. Elle est aujourd'hui chargée de mettre en oeuvre les contrats de plan. Or, sur les 1 080 millions d'euros qu'elle consacre à ces contrats, seulement 219 millions d'euros iront aux projets maritimes et ferroviaires. Pourtant, les programmes ferroviaires ont été retardés, et le taux d'exécution des contrats dans ce domaine accusait à la fin de 2004 un plus lourd retard que celui du volet routier : 33 % contre 55, 4 %. Pourquoi un tel manque d'ambition en faveur du rééquilibrage modal ?
Le rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée nationale a déclaré que la politique des transports doit reposer sur une politique d'infrastructures ambitieuse qui favorise le rééquilibrage modal et l'aménagement du territoire, ainsi que sur une régulation de nature à assurer la concurrence équitable entre les modes, mais aussi, au sein de chaque mode, entre les opérateurs.
Mais la politique proposée par le Gouvernement s'appuie plus sur la libre concurrence que sur la concurrence équitable. La libre concurrence, qui est la recherche permanente du moindre coût, casse durablement l'outil de production lorsqu'il n'est pas jugé rentable et contrecarre le développement, par exemple, du fret ferroviaire ou du transport combiné.
La restructuration de CNC, la fermeture de plates-formes comme celle de Valenton en sont l'expression.
Cette logique est d'ailleurs particulièrement bien illustrée par le plan fret, qui tend à la contraction du réseau sur les axes dits « pertinents » d'un point de vue économique. La réorganisation des triages n'est pas sans soulever de nombreuses interrogations.
Que faites-vous donc des missions de l'Etat pour le développement économique, l'aménagement des territoires ? Que faites-vous des principes d'égal accès pour tous au service public ? Que faites-vous des engagements de Kyoto ?
Vous changez l'ancien comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, CIADT, en comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires, CIACT. Vous auriez plutôt dû choisir le mot concurrence que le mot compétitivité, étant donné ce qui est proposé. Aujourd'hui, répondre aux besoins de notre pays en termes de transport des marchandises suppose que l'on admette enfin que des modes de transport comme le train qui paient l'utilisation des infrastructures ne sont pas dans une situation de concurrence loyale face au transport routier particulièrement.
C'est pourquoi nous avons besoin d'un autre budget, d'une politique ambitieuse d'investissement pour le service public, notamment ferroviaire, afin de répondre concrètement aux besoins de mobilité des personnes et des biens et au développement de l'ensemble des territoires de la nation dans le respect de l'environnement.