Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais profiter de ce débat budgétaire sur les transports pour vous parler de la situation des transports aériens en Île-de-France, et notamment de leurs effets au sol.
Les succès de l'industrie aéronautique, la bonne tenue internationale d'Air France, les dizaines de milliers d'emplois générés dans ce secteur en expansion ne doivent pas faire oublier le revers de la médaille. Comme c'est souvent le cas dans notre pays, l'incapacité de concevoir et de mettre en oeuvre des modèles de développement qui privilégient le respect de l'environnement et la gestion décentralisée des ressources aboutit à transformer un succès en illustration des défauts traditionnels de la technocratie française : centralisme hypertrophié, ignorance des riverains, mépris fréquent de l'environnement.
La situation du transport aérien en région parisienne est depuis longtemps inquiétante. Alors que le trafic d'Orly est saturé, Roissy poursuit imperturbablement son expansion, au grand dam des riverains de cet aéroport tentaculaire. Les pouvoirs publics, quelle que soit la majorité en place, ont enterré tous les projets de délocalisation d'une partie du trafic, pour le plus grand plaisir d'Air France, d'Aéroports de Paris et de la direction générale de l'aviation civile, dont les membres - qui se connaissent bien - ont clairement affiché leur volonté de « faire de Roissy-Charles-de-Gaulle l'aéroport européen de référence ».
Aujourd'hui, la situation est alarmante. Je citerai quelques chiffres concernant le trafic. En 2002, on dénombrait 510 000 mouvements d'avions. Entre 2003 et 2004, le trafic a progressé de 4, 2 %, pour atteindre 526 700 mouvements d'avions ; l'augmentation du trafic de passagers a été de 6, 43 % et a atteint, en 2004, 51 millions de passagers ; le fret a augmenté de 8, 8 %, pour atteindre, en 2004, 1 876 900 tonnes. La croissance annuelle prévue pour les dix années à venir se situe entre 3 % et 5 %, pour atteindre 680 000 mouvements d'avions.
Un rapport de la Cour des comptes rendu public le 29 janvier 2003 évoque un gaspillage si le trafic de Roissy devait être plafonné à 55 millions de passagers par an, ce qui est pourtant l'engagement qui avait été pris par un gouvernement précédent. La Cour estime la capacité d'accueil des pistes de Roissy entre 85 millions et 100 millions de passagers, et à 40 millions pour Orly.
Pendant ce temps, les nuisances se sont développées.
L'aéroport de Roissy est devenu une source majeure de pollution sonore et chimique. Cette pollution est à l'origine de pathologies chroniques cardiovasculaires, psychiatriques, pulmonaires, susceptibles d'accroître la mortalité. Des recherches effectuées sur 2 800 enfants âgés de neuf à dix ans en Grande-Bretagne, en Espagne et en Hollande ont montré que les élèves inscrits dans un établissement scolaire situé près d'un grand aéroport ont davantage de difficultés d'apprentissage, en particulier dans l'acquisition du langage écrit, et ce quelle que soit la méthode utilisée.
Selon une étude réalisée en octobre 2004 par Airparif, les émissions totales de l'aéroport de Roissy sont de 30 % supérieures aux émissions du boulevard périphérique et sont équivalant à celles des usines d'incinération des ordures ménagères de l'ensemble de la région d'Île-de-France.
Face à cette situation, la mobilisation des associations et des élus, toutes tendances politiques confondues, ne s'est jamais démentie. Leurs propositions portent sur le couvre-feu la nuit, la limitation du nombre de mouvements, le transfert des cargos sur une plate-forme spécialisée, l'amélioration des procédures d'approches et la construction d'un aéroport international à plus de cent kilomètres de Paris. Or aucune de ces demandes n'a été entendue.
Pourtant, l'ampleur de la situation met les pouvoirs publics face à leurs responsabilités. Ceux-ci ont trop longtemps sous-estimé les conséquences humaines du développement économique de cet aéroport. De nombreuses mesures n'ont fait qu'aggraver la situation. La dernière d'entre elles à avoir été annoncée, c'est le projet de la SNCF de construire une nouvelle ligne RER pour privilégiés afin de relier Paris à Roissy, alors que la modernisation des trains de banlieue, qui transportent le commun des mortels, avance, elle, au compte-gouttes et que la ponctualité de ces trains reste toute relative.
Certes, un plan d'exposition au bruit, un PEB, existe, mais son objectif réel consiste à vouer un territoire de plus de 500 000 habitants à une mort programmée. Il s'agit d'un document visant à éviter que de nouvelles populations ne soient exposées aux nuisances sonores générées par l'activité aéroportuaire. Toutefois, s'il délimite à ses abords quatre zones de bruit à l'intérieur desquelles des restrictions d'urbanisme sont instaurées, il ne règle pas pour autant le problème des populations déjà installées.
Quant au nouveau PEB qui va être soumis à enquête publique, il organise la désertification des zones les plus proches de l'aéroport et le déclin programmé des autres.
Le rapport Gonnot de juillet 2003, qui définit les orientations de la politique aéroportuaire française pour les vingt prochaines années, ne prévoit ni l'arrêt des vols de nuit ni la limitation du nombre de mouvements. En revanche, il préconise la construction d'une cinquième, voire d'une sixième piste, qui pourrait entraîner la disparition de plusieurs communes du Val-d'Oise.
Enfin, la poursuite clandestine de l'expansion s'est traduite par le doublement du site de Federal Express grâce à la vente discrète de nouveaux terrains contigus à l'aéroport : autant de nouvelles et belles promesses pour le trafic de nuit qui a pris une importance dont tous les riverains pourraient témoigner !
Il existe pourtant des solutions alternatives, qui ont été proposées par les collectivités territoriales et qui devraient être examinées par les pouvoirs publics.
En 1996, une lettre du ministre de l'équipement et des transports adressée à l'ensemble des parlementaires du Val-d'Oise comportait un certain nombre d'engagements au rang desquels l'interdiction des vols de nuit pour les avions les plus bruyants, l'expérimentation de nouvelles procédures d'approche et, surtout, la décision d'implanter un troisième aéroport à Beauvilliers en Eure-et-Loir. Ce projet a été abandonné en 1997, au profit d'un plafonnement à 55 millions de passagers, qui ne sera jamais tenu.
En 2001, une nouvelle proposition d'un troisième aéroport international implanté à Chaulnes a été avancée, mais elle a, à son tour, été écartée en 2002.
Enfin, en 2003, le rapport Gonnot a définitivement enterré le troisième aéroport.
Devant l'ampleur des conséquences sanitaires de cette expansion, le président de la région d'Île-de-France a récemment annoncé la création d'un groupe de travail chargé d'approfondir les connaissances sur les questions de pollution et de développer de nouveaux outils métrologiques et épidémiologiques.
Dès lors, monsieur le ministre, au vu des enterrements successifs de tous les projets de troisième aéroport, faut-il en conclure que cette idée était tout simplement un leurre, destiné à occuper les riverains, les élus et les associations pendant que Aéroports de Paris poursuivait tranquillement et de façon méthodique son projet tentaculaire ?
Monsieur le ministre, ce projet disproportionné produit ses premiers effets nocifs pour des centaines de milliers de riverains, sur qui pèse la menace non seulement d'une « paupérisation » de leurs biens immobiliers et de la dégradation irrémédiable de leur cadre de vie, mais aussi et surtout d'une atteinte à leur santé. À cet égard, je tiens à vous rappeler, notamment, que depuis l'adoption de la charte de l'environnement, qui a été élevée au rang constitutionnel, le non-respect en la matière du principe de précaution est susceptible un jour d'engager la responsabilité de tous ceux qui auront laissé cette situation s'aggraver irréversiblement sans réagir.