Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le sénateur Courteau, madame le rapporteur Colette Mélot, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi aujourd’hui soumise à votre examen vise à donner aux langues régionales de France une visibilité dans l’espace public. C’est la première fois qu’une mesure légale est envisagée pour donner à lire des noms de lieux dans leur forme traditionnelle et dans la langue qui les a façonnés.
Pour nombre d’entre nous, ce peut être un sujet d’étonnement que des villes ou villages de France aient la possibilité d’avoir un nom dans une autre langue que le français, tant l’idée est enracinée en nous d’une adéquation parfaite de la langue française avec le territoire national.
Nous acceptons volontiers que le français déborde un peu sur les pays voisins et nous évoquons volontiers la féconde dispersion du français dans le monde. Mais que l’on parle d’autres langues dans de larges zones de notre pays et que le français y soit d’implantation récente, voilà qui ne laisse pas de nous troubler...
C’est pourtant une évidence : les limites politiques ne coïncident pas avec les limites linguistiques et, depuis toujours, on parle en France d’autres langues que le français. Telle est la vérité profonde qui nous est rappelée dans cette proposition de loi.
C’est donc à une opération de mise au jour, de mise en lumière, que nous invitent le sénateur Courteau et ses collègues : le dévoilement d’une réalité cachée.
Sous l’habillage uniforme des appellations officielles que portent les panneaux indicateurs à l’entrée de nos villes se dissimulent bien des témoignages de la pluralité linguistique du pays.
D’autres noms se cachent sous les noms familiers qui nous portent à lire ou à relire l’histoire des langues dans notre pays.
Les noms de ville disent la France dans sa diversité ; ils parlent flamand, breton, occitan, corse, basque, créole, normand, mais c’est le plus souvent sous une forme francisée, adaptée à la phonétique et à la graphie de la langue commune.
Ainsi écrira-t-on les sons comme on le fait habituellement en français, et non selon la tradition d’écriture de la langue concernée. Millau s’écrit avec « ll », et non Milhau avec le digraphe « lh » de l’occitan. Polignac s’écrit avec le groupe « gn » et non Polinhac avec le « nh » original. Voilà pour la graphie.
Pour la prononciation, l’adaptation consistera à ramener des sons inconnus à des sons approchants en français ou à les prononcer à la française. Ainsi la diphtongue « aw » de Millau est-elle prononcée « o », le « ow » de Castelnòu devient le « au » de Castelnau et le « tch » de Cervione devient le « s » de Servione. Il existe aussi des cas de traduction pure et simple, par exemple lorsque Castelnòu devient Châteauneuf.
Dans ce dernier cas, on constate que la traduction se fait généralement de la langue première vers le français. Il ne convient alors pas de parler de « traduction en langue régionale ». Le libellé primitif de la proposition de loi inverse l’ordre des choses. C’est bien le français qui est le plus souvent une traduction ou une adaptation de la langue régionale.
Ces interventions ont conduit à une nomenclature officielle unifiée, et c’est sans doute heureux pour l’unité de notre pays. En dehors de quelques zones périphériques, l’Alsace, par exemple, qui ont globalement conservé les noms originaux de leurs communes, la toponymie officielle se sépare parfois notablement de la toponymie authentique.
Il est donc parfaitement légitime que, dans les régions où une langue distincte reste en usage, nos concitoyens souhaitent la voir apparaître sur la voie publique. Je ne vois rien là de répréhensible, bien au contraire.