Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette question sur l’avenir de l’Union pour la Méditerranée, l’UPM, s’inscrit dans un contexte international inattendu.
En décembre dernier, les chancelleries se demandaient s’il serait possible de réunir le sommet de l’UPM en avril prochain. Aujourd’hui, cette question est caduque, et nous devons tirer parti de ce vide institutionnel pour réfléchir aux principes qui pourraient nous permettre de refonder un véritable projet global méditerranéen.
Il s’agit d’une question sensible pour les Français : nous avons un lien affectif avec les pays du Maghreb et du Machrek, lié à l’histoire ancienne et récente, sans compter qu’une part importante de nos concitoyens ont des liens personnels avec la rive sud de la Méditerranée. Cet intérêt pour la Méditerranée a des ressorts complexes et ambigus : au-delà même de la référence à la latinité et à l’économie-monde de Fernand Braudel, l’imaginaire méditerranéen se nourrit de l’orientalisme, mais aussi de la fascination française pour le nationalisme arabe, qui a été le principal vecteur de la décolonisation.
Dans le temps qui m’est imparti, j’aimerais revenir sur le paradoxe méditerranéen, le projet politique de l’Union pour la Méditerranée et, enfin, les contradictions de la politique méditerranéenne de la France et de l’Europe.
J’ai eu l’honneur d’être élue vice-présidente de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée, l’APM. Cette assemblée réunit les parlementaires nationaux des pays riverains de la Méditerranée, y compris palestiniens et israéliens. C’est donc de l’intérieur que j’observe le paradoxe méditerranéen.
Tous les discours sur la Méditerranée empruntent au registre de l’histoire et du lyrisme ; j’y céderai brièvement, en évoquant cette citation anonyme et évolutive qui rappelle que « l’alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, le monothéisme sémite, l’ingéniosité punique, la munificence byzantine, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, l’aventure catalane, la liberté française et l’éternité égyptienne ».
Mais ni l’histoire, ni le lyrisme, ni l’invocation répétée au Mare Nostrum ne peuvent avoir raison des antagonismes forts qui structurent les relations bilatérales, régionales et multilatérales de la région. Par ailleurs, c’est moins l’histoire que l’avenir qui doit guider notre action en la matière.
En vérité, la Méditerranée a toujours été une terre de conflits. Quoi de plus logique pour cette région qui borde trois continents, a vu naître les trois religions monothéistes, se situe à la frontière du Nord et du Sud et au confluent des cultures d’Orient et d’Occident ? Les lignes de fracture sont anciennes, elles se multiplient, se renforcent et se durcissent. Les épisodes de la décolonisation, la guerre froide et la mondialisation des échanges ont transformé cet héritage commun en anomalie politique.
En dépit de nos liens humains et historiques, en dépit de la multitude des structures de toute nature qui visent à rapprocher les rives, rien n’y fait : la Méditerranée reste, plus encore que le Rio Bravo, la frontière la plus inégalitaire au monde, en termes de niveau de vie, de PIB, d’accès à l’éducation ou à la santé. Le niveau d’investissement européen dans la région reste désespérément faible : 2 % seulement de nos investissements se font sur la rive sud de la Méditerranée. Les échanges économiques entre les deux rives sont donc très modestes et les échanges intra-régionaux sont encore à construire ; j’y reviendrai.
Le projet méditerranéen de l’Europe a été lancé par Jacques Delors en 1995, avec le processus de Barcelone, qui s’appuyait sur l’histoire, l’importance stratégique de la Méditerranée et la nécessité d’une coopération forte, à même de contribuer à la prospérité et à la stabilité. Mais la coopération méditerranéenne, dans sa dimension politique, a achoppé sur la non-résolution du conflit israélo-palestinien et d’autres conflits, dits périphériques, comme celui du Sahara occidental. Alors qu’il aurait fallu, en toute lucidité, tirer les leçons de l’échec du processus de Barcelone, la France du candidat Sarkozy a voulu, avec sa maladresse diplomatique constante, relancer le processus de coopération, dans le cadre d’une promesse de campagne aux visées plus électoralistes qu’humanistes.
Dès le lancement de l’idée, en pleine campagne présidentielle, l’accueil fut mitigé. Nos partenaires européens, en premier lieu l’Allemagne, ont vu dans ce projet une manœuvre pour donner une nouvelle impulsion à la politique arabe de la France, en en faisant financer le coût par l’Europe. La Turquie y vit quant à elle une stratégie pour lui barrer à tout jamais la route de l’adhésion à l’Union européenne. Les pays de l’Europe orientale, pour leur part, exprimèrent leur inquiétude de voir l’argent européen s’y déverser à leur détriment.
Le projet, tel que retouché de fond en comble par l’Allemagne dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, n’avait plus rien à voir avec le projet initial porté par M. Sarkozy et M. Guaino. Mais les apparences furent sauves : M. Sarkozy, en grand illusionniste, a eu une fois de plus le talent de transformer le fiasco politique de l’UPM en succès médiatique…