Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, l’actualité internationale nous amène tout naturellement à nous interroger sur l’UPM, mais aussi à formuler quelques réflexions et propositions.
Des bouleversements considérables secouent plusieurs États de l’UPM, que l’on ne voit pourtant pas agir et qui reste inaudible ! On ne sait d’ailleurs même pas si son coprésident, Hosni Moubarak, a été ou va être remplacé. L’UPM semble avoir disparu des écrans, alors même qu’on devrait pouvoir attendre beaucoup d’elle. Elle n’a pas été créée pour traiter seulement de problèmes mineurs, sinon à quoi bon avoir soulevé des montagnes ! J’avais compris qu’elle avait été lancée pour amplifier et donner sa pleine portée politique au processus de Barcelone. Elle a clairement été conçue en vue de progresser, sur toutes les rives de la Méditerranée, sur des sujets de fond tels qu’un développement économique social et culturel durable, la promotion de la démocratie ou la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Nous devons donc chercher à réunir les conditions qui lui permettront de répondre aux immenses attentes qu’elle a révélées ou suscitées et qui s’expriment chaque jour avec plus de force.
Même si, à beaucoup d’égards, la France doit assumer une responsabilité particulière quand il s’agit de la Méditerranée, et spécialement du Maghreb, elle n’est ni forcément ni toujours la mieux placée pour intervenir. Les États-Unis, voire la Chine, auraient-ils les coudées plus franches ? Certainement, aussi longtemps du moins que nous refuserons de voir et d’accepter les possibilités dont dispose l’Union européenne pour intervenir en notre nom. Malheureusement, si l’Europe commence à s’organiser pour le faire, sa voix reste toujours bien timide… Il y a là aussi matière à réflexion.
Nous regrettons d’autant plus l’effacement de l’Union pour la Méditerranée, qui serait pourtant idéalement placée aujourd'hui pour parler tout à la fois avec le poids de l’Europe et avec la force née de la proximité, voire de la « complicité », qui devrait se développer entre ses membres, européens ou non, de toutes les rives de la Méditerranée, dès lors qu’ils s’attachent à relever ensemble des défis communs.
Les crises que nous voyons se développer sont profondes ; elles éclatent du fait de difficultés sociales et d’emploi. Ce sont d’abord des crises de développement, donc des crises de fond. Leurs enjeux aux plans régional et mondial sont particulièrement lourds. Le mot grec krisis peut se traduire par « instant décisif » : nous sommes au temps où s’ouvre l’avenir, au temps de tous les possibles ; ce temps doit être aussi pour nous celui des véritables responsabilités.
Les mouvements actuels peuvent en effet être instrumentalisés par les intégristes et les extrémistes de toutes obédiences qui spéculent sur une déstabilisation générale du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Ces soulèvements populaires sont aussi porteurs d’aspirations très fortes ; ils peuvent également conduire vers la liberté et la démocratie. Serons-nous assez forts et suffisamment solidaires, tout autour de la Méditerranée, pour faire prévaloir les élans qui unissent et non les forces qui divisent et détruisent ?
Oui, une Union pour la Méditerranée active et responsable manque aujourd’hui. Oui, les promoteurs de l’UPM avaient fondé leur démarche sur une intuition très juste. Et s’ils n’avaient pas engagé il y a deux ans cette démarche, il serait aujourd’hui urgent de le faire. Jacques Blanc l’a très bien démontré à l’instant.
L’UPM existe, mais elle n’est manifestement pas en situation, à l’heure actuelle, de jouer le rôle qui lui a été confié. Essayons donc d’examiner si et en quoi elle peut être amendée, afin de devenir réellement efficace, sinon tout de suite, du moins dans l’avenir.
Il fallait que l’UPM soit l’affaire de l’Union européenne dans son ensemble et non des seuls États de l’Union qui sont riverains de la Méditerranée, et qu’elle soit ainsi, à l’instar du Partenariat oriental, une composante majeure d’une politique de voisinage prioritaire pour l’Union européenne. Cela était indispensable pour garantir la cohésion de l’Union européenne. « Confier » l’Est à certains de ses membres et faire du Sud un domaine réservé à d’autres aurait porté en germe un éclatement de l’Union européenne.
Mettre en place une véritable politique de voisinage, qui prendra évidemment des formes différentes à l’Est et au Sud, doit être une priorité pour l’Europe.
Pour nous Français, cette politique est appelée à relever des affaires européennes, et non plus des affaires étrangères au sens large. J’ai donc la faiblesse de considérer, madame la ministre d’État, que vous êtes ici au titre de vos responsabilités européennes particulières.
Au demeurant, il est clair qu’impliquer l’Union européenne dans le devenir du bassin méditerranéen peut être perçu par nos partenaires du Sud comme un gage supplémentaire d’efficacité politique.
Il est également évident que l’UPM ne peut qu’être une organisation intergouvernementale. Un pays ne saurait participer à deux unions à la fois, l’une et l’autre de nature communautaire.
Cependant, cette organisation intergouvernementale, affaire des États, doit aussi, et très vite, devenir l’affaire des peuples. Même si la qualité des relations personnelles des chefs d’État représente un atout à ne jamais négliger, il est essentiel de dépasser rapidement une personnalisation excessive, forcément contingente et fragile, pour aller vers une institutionnalisation, par nature plus durable, à condition toutefois que celle-ci repose sur une « charte des valeurs ».
Nous voici donc au cœur du problème : soit nous feignons d’ignorer les difficultés réelles qui existent du fait des conflits ouverts que nous savons ou des « marges » que prennent certains États au regard des bonnes pratiques démocratiques ou du respect des droits de l’homme, et nous ne pourrons jamais aller à l’essentiel ni nous tourner ensemble vers l’avenir sur la base d’une solide confiance mutuelle ; soit nous n’éludons pas ces questions de principe majeures, essentielles pour tous nos peuples, mais il y faudra alors du courage et de la détermination : le chemin sera rude !
La situation actuelle ne nous fournit-elle pas une occasion de choisir cette voie difficile ? D’ailleurs, quelle que soit la difficulté, avons-nous un autre choix ? Peut-être pourrions-nous reporter la décision à plus tard, si nous étions certains que le chemin restera ouvert. Or rien n’est moins sûr. Les peuples qui se sont soulevés attendent. Pourront-ils le faire longtemps ? En réalité, le temps presse !
Vous le savez, madame la ministre d’État, puisque vous m’avez permis de m’entretenir de ce sujet avec vous : je suggère que l’Union européenne délègue tout naturellement les questions relatives à la démocratie et aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, dont c’est précisément le « cœur de métier ».
Dans son rôle éminent, l’Union pour la Méditerranée, quant à elle, fixerait les grands objectifs politiques. Elle marquerait sa volonté d’aller de l’avant en proposant des programmes concrets, équilibrés et durables de développement, et s’appuierait sur le Conseil de l’Europe pour ce qui touche aux droits fondamentaux.
Je note en passant que, parmi les États riverains de la Méditerranée aujourd’hui non membres de l’Union européenne, la Turquie ou les pays des Balkans siègent au Conseil de l’Europe, tandis que les autres, à un titre ou à un autre, ont engagé ou se disposent à engager un dialogue avec lui.
Pour être tout à fait concret, j’ajoute que, sans attendre de futures crises ou un avenir plus lointain, nous devrions surtout proposer dès maintenant, notamment à la Tunisie et à l’Égypte, les possibilités offertes par le statut de « partenaire pour la démocratie ». Ce statut, auquel le Parlement marocain s’est déjà porté candidat, a été institué par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe afin de favoriser le développement d’un dialogue interparlementaire orienté sur la promotion des « valeurs ».
Nous pouvons également rappeler que le Conseil de l’Europe peut offrir les services de la convention de Venise aux nombreux États qui remettent en chantier leur constitution ou seront appelés à le faire.
Enfin, je suis certain que la session d’avril de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sera l’occasion de faire des propositions sur tous ces sujets. En tout cas, la délégation française s’y emploiera.
Des peuples amis rencontrent aujourd’hui d’immenses difficultés pour trouver « leur » chemin vers la démocratie et la liberté. Les défis qu’ils ont à relever nous concernent également très directement.
Le temps n’est plus aux querelles subalternes, mais à l’imagination, à la solidarité et à l’émergence d’une volonté politique partagée autour de la Méditerranée, berceau des religions du Livre et de la philosophie, berceau de la démocratie.