Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la récente démission du secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, qui s’inscrit certes dans le contexte particulier de la chute des dirigeants égyptien et tunisien, illustre les difficultés récurrentes d’une organisation née dans la douleur et se trouvant bien souvent au bord de l’enlisement. Aujourd’hui, on peut dire que la paralysie guette l’Union pour la Méditerranée.
Grâce à l’initiative opportune de notre collègue Bariza Khiari, nous avons l’occasion de nous interroger sur l’avenir de ce grand partenariat entre les pays riverains de la Méditerranée.
La question est simple : l’Union pour la Méditerranée est-elle condamnée ? Ce n’est pas sûr, mais il est clair pour tout le monde que se profile pour le moins, hélas ! sa mise entre parenthèses.
Il est bien évident que nous sommes tenus par l’évolution de la transition démocratique qui s’opère en Égypte et en Tunisie, deux pays particulièrement mis en avant au sein de l’Union pour la Méditerranée.
Certes, la nouvelle donne politique, si elle place l’Union pour la Méditerranée au point mort, a le mérite de remettre en débat la question des droits de l’homme, qui avait été évacuée à l’époque de sa création.
On peut d’ailleurs se demander si l’enthousiasme manifeste des anciens présidents Ben Ali et Hosni Moubarak pour le projet d’union n’était pas motivé par l’espoir de trouver dans cette institution le moyen de sanctuariser leurs régimes autoritaires. Le processus de Barcelone fixait des exigences en matière de droit fondamentaux, mais pas l’Union pour la Méditerranée.
Profitons en tous cas de cette période de latence, en quelque sorte, pour méditer sur les points de blocage apparus bien avant le réveil des peuples de cette région.
En effet, le projet lancé par le Président de la République en 2008 a connu, dès ses débuts, des moments difficiles, qui expliquent aussi l’inertie actuelle. L’idée de Nicolas Sarkozy était noble, il faut bien le dire : qui ne rêve pas de voir s’établir dans cette région « un espace de paix, de stabilité et de prospérité pour les peuples des deux rives » ?
Mais il a manqué, à l’origine, une véritable concertation avec l’ensemble de nos partenaires de l’Union européenne, qui aurait sans doute permis de lever bien des crispations en amont et de mieux susciter par la suite un authentique élan collectif de tous les États membres en direction des pays du Sud riverains de la Méditerranée.
Je ne vais pas refaire l’histoire, mais, dans sa présentation, le projet français consacrait l’échec du processus de Barcelone. Il a fallu déployer beaucoup d’énergie pour venir à bout des tensions intra-européennes, franco-allemandes en particulier. Il est vrai qu’une partie des pays de l’Union européenne regardent vers l’Est, tandis que les autres sont tournés vers le Sud.
Pour autant, aucun des États membres ne doit ignorer que la Méditerranée est au cœur de toutes les grandes problématiques des décennies à venir. Qu’il s’agisse de l’accès à l’eau et à l’énergie, de la préservation de l’environnement, de la question des migrations ou de la paix, tous ces défis lient les destins des pays des deux rives de la Méditerranée…
Par ailleurs, il est utile de rappeler que l’instauration d’une véritable dynamique économique régionale centrée sur la Méditerranée, dans laquelle l’Europe a naturellement un pied, constituerait un contrepoids aux puissances émergentes.
J’ajouterai même qu’il serait souhaitable d’aboutir à la création d’un espace de coopération économique permettant d’orienter les délocalisations d’entreprises – lorsqu’elles sont inéluctables, bien sûr – vers cette zone plutôt que vers la Chine, par exemple. Cela permettrait de constituer une sorte de stabilisateur de l’immigration. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour demander, madame le ministre, que la question des migrations relève de l’Union pour la Méditerranée, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent. Le drame humanitaire qui se joue sur la petite île italienne de Lampedusa concerne bien les deux rives de la Méditerranée.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, il me semble que la relance de l’Union pour la Méditerranée est plus que nécessaire. Mais elle mériterait cette fois-ci un dialogue et une préparation à vingt-sept, d’autant que trois présidences successives de l’Union européenne seront assurées par des États du nord et de l’est de l’Europe.
Dès aujourd’hui, il est important que le Gouvernement français prenne des initiatives pour convaincre nos partenaires restés sceptiques depuis 2008 et qui, c’est vrai, n’ont pas facilité la mise en place de la gouvernance de l’Union pour la Méditerranée.
Si nous obtenons ce nouveau souffle, il restera toutefois une épine, et non des moindres : celle de la définition du champ géographique de l’Union pour la Méditerranée. Le périmètre actuel a sa cohérence, bien sûr, puisque les membres, hormis ceux de l’Union européenne, doivent être riverains de la Méditerranée, mais ce qui est parfait sur la carte l’est beaucoup moins, nous le savons, sur le plan politique.
La présence au sein de la même enceinte des chefs d’État ou de gouvernement d’Israël, de la Syrie, du Liban ou de l’Autorité palestinienne n’est pas de nature à faciliter les choses. La tenue du dernier sommet de l’UPM, sans cesse ajourné, est suspendue à la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Pour contourner cet obstacle, il faudra sans doute fonctionner sur la base d’ensembles sous-régionaux.
Malgré toutes ces difficultés, mes chers collègues, malgré le délitement de sa configuration politique, l’Union pour la Méditerranée a tout de même réussi à concrétiser quelques projets sur les plans techniques et financiers. Je pense en particulier au plan solaire Transgreen, à la constitution du Fonds INFRAMED, premier pas vers celle d’une Banque de la Méditerranée. À cet instant, je voudrais souligner le travail actuellement effectué par notre ancien collègue Pierre Laffitte dans le cadre d’une mission destinée à créer un réseau spécifique pour développer l’innovation en Euroméditerranée. Nous attendons avec impatience ses conclusions.
Tous ces projets méritent bien sûr de continuer leur cheminement malgré les soubresauts politiques qui agitent la région. Cela devrait être possible, dans la mesure où ils sont mis en œuvre par la société civile.
Mes chers collègues, au droit du détroit de Gibraltar, seulement quatorze kilomètres séparent le continent européen de la rive sud de la Méditerranée. La France et d’autres pays européens partagent une histoire commune avec plusieurs pays du Maghreb et du Proche-Orient. Le plus souvent, la relation fraternelle a pris le pas sur les ressentiments. De part et d’autre de la Méditerranée, il me semble que nous avons tous conscience d’une communauté de destins, mais, sur l’échelle du développement, trop de différences nous éloignent. C’est pourquoi le groupe du RDSE est favorable à la relance du processus. Toutefois, nous souhaitons que, dans cette démarche, notre diplomatie se montre plus habile et plus visionnaire qu’elle ne l’a été jusque-là. Les sujets qui fâchent doivent pouvoir être abordés. Oui, nous voulons la construction d’un espace dont tous les membres partagent notre goût de la démocratie et notre souci du respect des droits de l’homme, afin d’aller dans le sens de l’histoire.