Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet d’Union pour la Méditerranée, lancé trois ans avant que n’éclate ce « printemps des peuples arabes » dont on parle aujourd'hui, anticipait sur l’histoire. La Méditerranée se réveille, et ce projet en portait implicitement l’intuition. Nous ne pouvons reprocher au Président de la République de l’avoir pensé.
Avouons-le, le schéma initial a dû rapidement être amendé. Il se présentait au départ comme celui d’une structure qui aurait eu vocation à rassembler les pays riverains de la Méditerranée et à travailler étroitement avec l’Union européenne. Cependant, ce schéma a évolué en faveur d’une plus grande association avec l’ensemble de l’Union européenne et, en juillet 2008, lors de sa création, l’UPM regroupait les vingt-sept États membres de l’Union et les pays des rives sud et est de la Méditerranée, à l’exception de la Lybie, qui a refusé de participer à la nouvelle organisation. La Syrie mérite une mention toute particulière – je le dis en présence du président du groupe d’amitié sénatorial France-Syrie –, car ce pays a bien besoin d’un tel partenariat.
L’UPM s’intégrait ainsi dans la politique de voisinage de l’Union européenne, évitant les divisions ou les doublons, mais le risque existait de subordonner le développement de l’Union pour la Méditerranée aux caractéristiques de la négociation communautaire. Le danger était alors de revenir à ce qui existait déjà, à savoir le processus de Barcelone, en retrouvant les obstacles qui avaient conduit à sa stagnation.
Aujourd’hui, force est de constater que les résultats espérés ne sont pas au rendez-vous. Pour autant, faut-il porter un jugement définitif au bout de si peu de temps ? Rappelons-nous que de nombreux obstacles se sont présentés, à commencer par la crise de Gaza, dès le mois de janvier 2009, et que les attentes suscitées par ce projet étaient immenses.
Outre le contexte politique difficile en Méditerranée et les conflits non réglés, les questions d’organisation interne ont mobilisé l’attention de l’UPM et ont absorbé une part de son énergie initiale, peut-être au détriment de la conduite des projets. Il faut surtout reconnaître que l’opération « Plomb durci » menée par Israël a ruiné les premiers efforts de conciliation. L’élection du secrétaire général, en 2010, a été tardive et laborieuse, et se solde aujourd’hui par la démission de l’intéressé. Mais n’oublions pas la désignation de personnalités de qualité en tant que secrétaires généraux adjoints chargés des différents projets et le fait que, pour la première fois dans un organisme international, un secrétaire général adjoint israélien côtoie un secrétaire général adjoint palestinien.
En outre, on ne saurait négliger le clivage qui existe, au sein de l’Union européenne elle-même, entre les États membres qui estiment que l’Est est prioritaire en matière de politique de voisinage et ceux qui placent leur espoir dans un réveil prochain de la Méditerranée et demandent donc qu’on consacre à cette région l’essentiel de l’effort. Ce clivage a des répercussions sur les questions budgétaires et sur le « calibrage » de l’effort que l’Union européenne pourrait consentir pour la rive sud de la Méditerranée.
Aujourd’hui, si les réunions ministérielles marquent le pas, les réunions techniques se poursuivent et les travaux de l’Assemblée parlementaire de l’UPM progressent. Toutefois, nous savons que le deuxième sommet de l’UPM, initialement prévu en novembre 2010 à Barcelone, a dû être reporté.
Ainsi, l’UPM traverse une zone de turbulences parce qu’elle reste une institution fragile et encore très jeune, réunissant des pays qui, pour certains, sont divisés par un conflit qui dure depuis plusieurs décennies. Cela ne retire pourtant rien à la valeur de l’intuition initiale.
Il serait justifié, à la lumière des événements récents, de faire montre d’un nouveau volontarisme et de revenir à l’intuition de départ, celle d’une coopération plus souple, fondée sur la réalisation en commun de projets concrets, mieux adaptés à la Méditerranée.
Cette forme de coopération doit pouvoir s’écarter tant des méthodes et des habitudes de l’Union européenne que de la lourdeur de procédures réunissant quarante-trois pays. Dans son format actuel, l’UPM comprend en effet quarante-trois membres, et il est permis de trouver ce chiffre imposant. Cependant, cette situation est sans doute inévitable quand il s’agit d’élaborer une politique régionale. Ce qui importe, c’est de rester flexible dans la réalisation de projets concrets, car la liste des domaines de coopération est imposante, elle aussi.
En retenant six axes de coopération, l’UPM a fait preuve d’un grand optimisme. Ces six axes – la dépollution et les autoroutes de la mer, le plan solaire, l’université, la formation professionnelle, le soutien aux PME et la protection civile – doivent être mis en œuvre de manière souple, en fonction du contexte actuel et surtout des financements possibles. Peut-être pourrait-on se concentrer, au moins dans un premier temps, sur deux ou trois priorités : par exemple la gestion de l’eau et la sécurité alimentaire.
L’ambition des premiers jours a fait naître de très grandes attentes chez nos partenaires méditerranéens, ce qui crée aujourd’hui ce sentiment d’insatisfaction, d’impatience, voire de déception. Il ne s’agit évidemment pas de renoncer à l’ambition initiale ; aujourd'hui plus que jamais, cette ambition reste absolument valable, mais il convient de trouver, avec pragmatisme, les meilleurs moyens pour redonner l’élan nécessaire à la coopération en Méditerranée.
L’Europe ne doit pas se cacher non plus qu’en cette période de crise économique et au moment où se prépare –difficilement – le prochain cadre financier pour la période 2013-2020, elle ne peut assumer seule – j’insiste sur ce point – la charge financière d’une politique qui répondrait à l’immensité des besoins.
Cela me conduit à suggérer quelques pistes pour redonner des chances au processus.
Tout d’abord, il convient de reconnaître que l’UPM n’a pas pour vocation de régler les conflits méditerranéens, même si elle peut, évidemment, y contribuer. Il n’y a, sur ce point, aucune ambiguïté.
Ensuite, il faut relancer la coopération en se concentrant sur quelques domaines d’action. L’UPM gagnerait, selon moi, à limiter à deux ou trois le nombre de domaines où elle entend agir dans un premier temps.
J’ajouterai qu’il faut définir plus clairement les priorités de la politique européenne de voisinage : l’UPM doit être munie d’une feuille de route et d’un budget clairs, ce qui suppose au minimum une vision partagée par les Vingt-Sept.
Ne pourrait-on, par ailleurs, s’appuyer davantage sur l’Assemblée parlementaire de l’UPM ? Ses travaux se sont poursuivis selon un rythme et un calendrier normaux, et cette assemblée s’est donné les moyens de fonctionner depuis sa création en 2004, offrant une réelle dimension parlementaire au processus de Barcelone.
Enfin et surtout, il faudrait envisager de nouvelles méthodes de fonctionnement, plus légères, et rechercher de nouveaux types de financement pour concrétiser les ambitions annoncées.
Ce n’est pas le moment de renoncer à ce projet, peut-être trop ambitieux, mais nécessaire. À l’heure où les attentes de nos voisins méditerranéens sont devenues immenses, grâce aux espoirs qu’ont fait naître la révolution du jasmin et celle du Nil, à l’heure où la Méditerranée revient dans l’histoire, si l’Europe renonce et se résigne, d’autres viendront occuper la place que nous aurons laissée vide. J’imagine que nul d’entre nous dans cette assemblée, quelle que soit sa sensibilité politique, ne souhaiterait que l’Union européenne se replie sur elle-même.
Madame la ministre, je voudrais que tous les hommes et les femmes épris d’humanisme et conscients de nos responsabilités à l’égard de cette région du monde – et Dieu sait si cette assemblée en compte ! – puissent vous soutenir dans ce grand dessein.