Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 16 février 2011 à 14h30
Bilan et avenir de l'union pour la méditerranée — Discussion d'une question orale avec débat

Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que nous soyons amenés à échanger sur ce beau sujet, tout à fait d’actualité, que l’ensemble des orateurs ont bien traité, selon des points de vue différents.

J’estime que, loin de remettre en cause l’UPM, les événements auxquels nous assistons en ce moment en Tunisie, en Égypte et dans l’ensemble du monde arabe confirment au contraire l’ardente obligation de consolider les liens entre les deux rives de la Méditerranée.

Comme le soulignait à juste titre Jacques Blanc, l’Union pour la Méditerranée doit nous aider à prendre en compte la nouvelle exigence d’une démocratie décomplexée, ancrée dans un islam modéré, rejetant toute agressivité à l’égard des anciens colonisateurs. Aujourd'hui, ces peuples se sentent fiers de ce qu’ils sont et veulent avoir leur mot à dire dans la construction du monde. Dans ce contexte, l’Union pour la Méditerranée est plus que jamais d’actualité !

Bien entendu, je n’ignore pas les difficultés que certains intervenants ont soulignées.

En particulier, il est vrai, monsieur Hue, que la situation au Proche-Orient pèse sur l’ensemble de la région, et donc sur l’UPM. Ainsi, les représentants de certains pays refusent de siéger aux côtés de certaines personnes. Quoi qu’il en soit, notre devoir est de faire avancer le processus de paix. L’Union pour la Méditerranée peut y contribuer, tout comme le déblocage de ce processus permettra à celle-ci de recommencer à progresser dans la voie de sa vocation initiale. Je me suis entretenue hier soir avec Mme Clinton au téléphone, afin d’envisager comment nous pourrions profiter de cette période qui peut être propice à un progrès vers la paix : la fenêtre qui s’est ouverte peut se refermer dès demain. Le déblocage du processus de paix est ainsi un de mes principaux axes de travail. Je me suis rendue au Proche-Orient voilà trois semaines et j’ai des contacts très réguliers avec le Premier ministre Salam Fayyad, qui est d’ailleurs venu déjeuner au ministère la semaine dernière, avec le président Mahmoud Abbas et avec le Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Par ailleurs, comme cela a été rappelé, l’Égypte assure avec la France la coprésidence de l’UPM. Bien entendu, en ce moment, la priorité de ce grand pays ami de la France est de conduire sa transition vers la démocratie. Ce n’est donc sans doute pas dans les jours ou les semaines à venir que nous progresserons sur le dossier de l’Union pour la Méditerranée.

La démission du secrétaire général de l’UPM – pour convenance personnelle, je le rappelle – implique naturellement la désignation d’un successeur dans les prochaines semaines.

En tout état de cause, madame Khiari, la mise en place de l’Union pour la Méditerranée est aujourd'hui à mes yeux un processus irréversible. L’UPM doit contribuer de manière concrète à la prospérité de la zone euro-méditerranéenne.

L’UPM est à la fois une nécessité et une réalité ; ce n’est pas une institution fantôme.

Madame Khiari, vous avez à juste titre rappelé les nombreux liens, affectifs, culturels, historiques, qui unissent les deux rives de la Méditerranée.

Mais l’enjeu réside encore ailleurs. À l’heure où des pôles démographiques, économiques, technologiques de l’ordre d’un milliard d’habitants sont en train de s’affirmer sur tous les continents, l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée ont besoin de se rapprocher pour continuer à peser sur la scène internationale. Même avec 450 millions d’habitants, l’Europe n’est pas suffisamment forte pour faire face à ces géants que sont la Chine, l’Inde, mais également l’Indonésie, l’Afrique subsaharienne, dont la population se développe, ou encore l’Amérique latine, qui représente un ensemble de près de 850 millions d’habitants.

Par conséquent, il est indispensable que les pays européens et ceux de la rive sud de la Méditerranée s’unissent pour constituer un pôle fondé certes sur une histoire commune, mais aussi sur des ambitions pour l’avenir.

Alors que se dessinent de nouveaux équilibres et de nouvelles alliances, l’UPM est le fruit d’un constat et d’une ambition.

Le constat, c’est celui d’une proximité géographique, historique et culturelle. C’est aussi celui de la nécessité de faire face à la concurrence politique, économique et sociale des autres pôles.

L’ambition, c’est celle de relever ensemble les défis de la mondialisation et de la concurrence économique internationale, de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, de la prévention des risques naturels et technologiques, de la dépendance énergétique et alimentaire, source de nouvelles vulnérabilités dans les décennies à venir.

Quelles que soient les difficultés, l’UPM est aussi une réalité.

Un cadre juridique est désormais fixé. Le secrétariat de l’Union pour la Méditerranée a été installé au mois de mai, et six secrétaires généraux adjoints ont été mis à sa disposition par leurs pays respectifs.

Plusieurs réunions ministérielles à quarante-trois, certaines informelles, d’autres à caractère technique, ont pu se tenir, notamment sur les problèmes de l’eau, du tourisme, du commerce et de l’emploi. Elles ont permis la mise en place effective du secrétariat, l’adoption du budget et la définition d’un programme de travail important pour 2011.

Par ailleurs, l’UPM soutient des projets concrets, de nature à répondre aux attentes des populations. Il faut insister sur ce point, car, tout comme pour la construction européenne, si nous voulons convaincre les populations du bien-fondé de la démarche, nous devons leur montrer que l’UPM permet d’améliorer concrètement leur vie quotidienne. C’est ainsi que nous pourrons dépasser certaines réticences. Dans cette optique, il était sans nul doute pertinent de retenir des projets peut-être plus limités que ce qui avait été envisagé à l’origine, mais mieux ciblés sur des objectifs prioritaires. Il s’agit de projets réalisables rapidement, dont les opinions publiques, qui jugent en dernier ressort du succès ou de l’échec d’une démarche et guident leurs gouvernements, pourront voir les effets bénéfiques. C’est ainsi que l’on obtiendra leur adhésion. Cela répond bien, me semble-t-il, au souci de pragmatisme exprimé par M. Bizet !

Afin de renforcer la coopération universitaire, la première université euro-méditerranéenne a été mise en place à Portoroz, en Slovénie.

Pour garantir un approvisionnement électrique durable, un plan solaire méditerranéen a été engagé. Il s’agit d’un enjeu essentiel ! Le programme Desertec, lancé au mois de juillet 2009, permet d’installer à une grande échelle des fermes solaires et éoliennes en Afrique et au Moyen-Orient. En outre, le projet Medgrid, lancé au mois de décembre dernier et qui regroupe une vingtaine de sociétés, majoritairement françaises, vise à permettre l’acheminement d’électricité d’origine photovoltaïque du Sud vers le Nord.

Pour favoriser le développement des infrastructures au Maghreb, sujet de préoccupation majeur pour mes interlocuteurs tunisiens, en particulier, un fonds InfraMed a été mis en place. Il bénéficie de la contribution de l’Agence française de développement et de son équivalent allemand, ainsi que de celle de la Caisse des dépôts et consignations et des homologues de cette dernière dans plusieurs pays partenaires, de la Banque européenne d’investissement, de la Commission européenne et de la Banque mondiale. Il ne s’agit donc pas de financements modestes, assurés seulement par la France et l’Allemagne.

Pour renforcer la solidarité face aux catastrophes naturelles, monsieur Courteau, un accord a été obtenu sur la création d’un centre stratégique pour la protection civile en Méditerranée. J’avais commencé à lancer ce projet quand j’étais au ministère de l’intérieur. Faire travailler ensemble des gens de nationalités différentes sur un tel projet n’était pas forcément évident, mais, aujourd'hui, cette structure existe. J’ai pris bonne note de vos propos sur le centre d’alerte aux tsunamis, qui devrait effectivement intégrer cette dimension euroméditerranéenne.

Instituée voilà deux ans et demi, l’Union pour la Méditerranée est donc à la fois une nécessité et une réalité. Elle doit maintenant contribuer à accompagner les évolutions en cours et les aspirations démocratiques des peuples du sud de la Méditerranée.

Plusieurs orateurs ont évoqué un « printemps arabe ». Peut-être aurons-nous l’occasion d’organiser un débat sur ce beau sujet.

J’ai réuni au ministère un groupe d’experts, d’universitaires et de chercheurs pour réfléchir sur ce thème. Selon eux, le printemps arabe a manifesté une volonté exacerbée de retrouver de la dignité et de mettre un terme aux humiliations, tant intérieures qu’extérieures. Gardons bien cette idée à l’esprit lorsque nous nous exprimons sur les événements actuels. Ces révoltes nées du peuple, de la jeunesse, de la société civile, sont une protestation contre la faillite de la gouvernance. Des richesses ont été créées dans bon nombre de ces pays, mais elles sont parfois insuffisantes et, surtout, leur répartition est perçue comme inéquitable.

Les événements récents expriment les aspirations politiques légitimes des peuples à davantage de démocratie, de libertés individuelles et publiques. À cet égard, internet a joué un grand rôle dans la diffusion des idées.

Ils expriment aussi la volonté d’être reconnu sur la scène internationale, de peser sur le cours des événements. À cet égard, la non-résolution du conflit israélo-palestinien n’est pas sans conséquences. Il est donc urgent que les négociations reprennent, et c’est pourquoi je m’investis autant dans ce dossier.

Monsieur Sueur, la France soutient les aspirations à davantage de démocratie. Sans doute auriez-vous souhaité que ce soutien se manifeste différemment… Mais chacun s’exprime à sa manière.

La France ne se désintéresse pas du sort des populations civiles qui sont prises en otage. C’est d’ailleurs le message que j’ai délivré lors de ma visite dans la bande de Gaza. J’ai été, dois-je le rappeler, le premier ministre français à retourner à Gaza depuis le coup de force.

La France tient compte la fierté des peuples du printemps arabe et c’est pourquoi elle respecte le principe de non-ingérence, qui est par ailleurs souvent mal compris. La non-ingérence, c’est reconnaître aux peuples le droit de choisir eux-mêmes ce qu’ils veulent et qui ils veulent ; nous n’avons pas à leur dicter ce qui doit être.

Au-delà du groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat, je fus sans doute la première à dénoncer les violences contre les manifestants tunisiens, à l’Assemblée nationale, puis, plus longuement, le même jour, sur Europe 1. Je les ai aussi dénoncées sur la chaîne Al Jazeera, lorsque je me trouvais à Doha pour défendre la liberté des religions. Comme l’atteste une dépêche de l’AFP, j’ai déploré les morts et les violences, affirmer le droit de chacun de manifester dans le respect, sans craindre pour sa vie.

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