Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, c’est avec une certaine émotion que je prends la parole dans cette enceinte pour soutenir devant vous une initiative qui s’inscrit dans une démarche que l’on voudra bien qualifier d’ « historique ».
En effet, ce n’est pas tous les jours que, par-delà les contingences de l’actualité, nous sommes réunis pour examiner un texte qui, je l’espère, marquera les relations entre la France et tout un continent.
Nous sommes respectueux de la tradition française : celle qui fait notre richesse, qui rapproche les peuples, qui mobilise avec enthousiasme la joie de vivre ensemble, celle de la main tendue vers l’autre, des droits de « l’homme et du citoyen » ! Cette force, nous l’avons en nous, elle sort de tous nos pores, de nos entrailles !
Notre assemblée a tenu, l’an dernier, à s’associer aux célébrations qui ont marqué, pour un grand nombre de pays, les premières manifestations de leur indépendance, ces premiers cris de libération des peuples, comme l’a écrit un historien en termes excellents.
Ces derniers jours, nous avons pu voir en direct la joie d’hommes et de femmes qui, sans connaître le sort qui leur serait réservé, venaient de gagner leur liberté d’être humain.
Mais nous, nous le savons, sans accompagnement, sans soutien, le pire peut aussi être à craindre !
La liberté est le fruit d’une guerre à un moment donné et il faut un combat permanent pour la maintenir et la protéger. Ce soutien de tous s’impose à nous. Soyons vigilants, la liberté est si fragile ! Brandissons l’étendard sanglant, comme l’évoque notre hymne national, mais pour éviter que le sang ne coule !
En Amérique latine, les premiers mouvements, de portées très diverses, ont été, pour beaucoup, inspirés par les différents courants de ce qu’on a appelé les Lumières.
Même si la France ne fut pas l’unique inspiratrice des élites de l’époque, on peut rappeler, sans solliciter l’Histoire, qu’elle en fut largement à la source.
Dès la deuxième moitié du xviiie siècle, les imprimeries du nouveau monde diffusaient largement les œuvres des philosophes français. Toute bibliothèque digne de ce nom se devait de compter sur ses rayons l’Encyclopédie, et les échanges épistolaires entre les gens d’esprit prouvent que ceux-ci empruntaient nombre de thèmes au continent européen. L’étude de l’histoire des différents pays montre la densité et la multiplicité des références à la Révolution française.
Les grandes figures, que l’on appellera plus tard les « pères fondateurs », parlaient souvent le français ou étaient pétries de culture française. N’est-ce pas un certain Antonio Nariño qui traduira, dans son cabinet de Bogota, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la répandra dans tout le pays, au grand dam des autorités coloniales ?
Qui se souvient du jeune Francisco de Miranda, citoyen de ce qui n’était pas encore le Venezuela et qui, grand admirateur de la Révolution française, s’engagera dans l’armée de Dumouriez pour en sortir avec le grade de général !
Quant à Bolivar, la grande figure par excellence de l’émancipation des peuples latinos, il avait pour précepteur un disciple affiché de Rousseau. Ses années de jeunesse et de formation furent durablement marquées par la lecture de l’Émile.
Je n’aurai garde de m’engager dans une énumération qui serait fastidieuse et, au demeurant, certainement inutile : les faits sont suffisamment connus pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir dans le détail.
Pour évoquer ces moments historiques qui ont compté dans la formation de l’identité nationale des États du continent latino-américain, la République française se devait de prendre une initiative symbolique et forte.
Tel est le sens de la proposition de résolution que j’ai déposée avec mes collègues membres des différents groupes d’amitié du Sénat, que je tiens à saluer ici, et qui a reçu l’accueil enthousiaste de pas moins de cent quinze collègues appartenant à tous les groupes politiques de notre assemblée.