Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 13 janvier 2010 à 21h10
Évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports — Débat d'initiative sénatoriale

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en 2007, la loi sur le service minimum dans les transports était, selon les sondages, attendue par 70 % ou 80 % de nos concitoyens, qui voulaient pouvoir se rendre à leur travail, en revenir, aller chez le médecin ou récupérer à temps leurs enfants à l’école. Pas moins de quinze propositions de loi consacrées à ce sujet ont été déposées sur le bureau de l’une ou l’autre des assemblées au cours des vingt dernières années. Dès l’été 2007, le Président de la République a voulu donner une traduction concrète à un engagement fort de sa campagne électorale.

Toutefois, c’est une loi « sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs » que nous avons votée, considérant que c’était le seul moyen d’apporter une réponse pragmatique à cette préoccupation majeure.

Il n’a jamais été question de remettre en cause le droit de grève, qui est un droit constitutionnel ; il s’agissait de l’aménager, afin de trouver un point d’équilibre avec d’autres principes tout autant légitimes, mais souvent oubliés : la continuité d’accès aux services publics, la liberté d’aller et venir, la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté du travail.

Avec un droit de grève largement ouvert, une continuité du service public très partiellement garantie, un dialogue social limité, la France faisait figure d’exception au sein de l’Union européenne, où la moitié des États membres ont déjà instauré un service minimum pour les services essentiels : c’est le cas de l’Italie, du Portugal, de l’Espagne ou de la Grèce. Dans les autres pays, soit les conflits sociaux importants sont rares, comme en Suède, en Finlande ou en Allemagne, soit le droit de grève est strictement encadré, comme au Royaume-Uni.

Sans mettre en place une véritable obligation de service minimum, qui aurait pu être censurée par le Conseil constitutionnel, la loi du 21 août 2007 a institué des règles pour favoriser le dialogue social et permettre une meilleure organisation des services de transports publics, en garantissant aux usagers un service certes réduit, mais prévisible, en cas de grève ou de fortes perturbations. Cette loi a aussi eu le mérite d’être mise en œuvre très rapidement puisque, débattue pendant l’été 2007, elle est entrée en application six mois après.

Plus de trente mois après l’adoption de la loi, nous disposons maintenant de suffisamment de recul, me semble-t-il, pour dresser un bilan de sa mise en œuvre. À cet égard, ma demande, formulée bien avant les grèves de décembre, n’a donc rien de conjoncturel, et elle prouve bien l’actualité permanente de cette question.

La première priorité de la loi est de favoriser le dialogue social.

L’accord de branche prévoyant la mise en œuvre d’une procédure de prévention des conflits s’applique bien aux entreprises de transports publics urbains. Malheureusement, s’agissant des transports interurbains, notamment scolaires, il n’a pas été possible d’obtenir un accord. Un décret a donc dû être promulgué. Il s’agissait d’adopter des règles d’organisation et de déroulement des négociations, afin d’éviter qu’un différend n’aboutisse à un conflit social. Comme le soulignait en 2004 le rapport Mandelkern, « la bonne grève est celle qui n’a pas lieu parce que le dialogue l’a prévenue ».

La loi a-t-elle permis d’éviter des grèves ? Il semble que ce soit le cas, si l’on analyse les chiffres figurant dans le rapport remis au Parlement en octobre 2008.

À la RATP, le recours au dispositif de prévention des conflits a ainsi amené une augmentation de 25 % du nombre d’alarmes sociales au cours du premier semestre de 2008 par rapport à la moyenne des cinq années précédentes ; 91 % de ces alarmes n’ont pas été suivies du dépôt d’un préavis de grève. Le nombre de préavis a été quatre fois moins élevé qu’au cours des cinq années précédentes.

À la SNCF, tous les préavis doivent désormais être précédés d’une demande de concertation immédiate. Ces demandes ont été à peu près trois fois plus nombreuses en 2008 qu’en 2007. Le nombre de préavis de grève a, quant à lui, baissé de 30 %, et un sur deux n’a pas engendré de perturbations pour la clientèle.

La mise en œuvre du dispositif de la loi semble donc avoir un effet positif sur le nombre des conflits. Je m’en réjouis, car la négociation doit précéder l’action, et non l’inverse. Sans doute nous donnerez-vous, monsieur le secrétaire d'État, des chiffres plus récents concernant l’année 2009. Grâce à cette loi, la grève n’est donc plus une fatalité.

Toutefois, des grèves subsistent, et c’est d’elles que l’on parle, parce qu’elles nous touchent, nous les usagers, absolument étrangers à un conflit souvent interne dont nous sommes pris à témoin, et même en otages !

En cas d’échec de la procédure de prévention des conflits, la loi prévoit les modalités d’organisation de la continuité du service.

La déclaration préalable et individuelle, quarante-huit heures à l’avance, de l’intention de participer à une grève, qui concerne les personnels indispensables à l’exécution du service, est la pierre angulaire du dispositif. Cette mesure permet de connaître précisément l’effectif des grévistes et de réaffecter des non-grévistes sur les lignes prioritaires. C’est elle qui permet à l’entreprise d’informer par avance les usagers sur les horaires de passage des trains. À défaut de pouvoir compter sur tous les métros, trains ou autobus, les Français ne devraient plus attendre sur un quai ou un trottoir un hypothétique moyen de transport, d’autant que la loi prévoyait des plans de transport adaptés à l’importance de la grève.

À la SNCF, les plans de transport sont approuvés à l’échelon national par l’État, au plan régional par les régions et en Île-de-France par le Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF. Ainsi, dans cette région, le plan de transport adapté Transilien prend pour référence les périodes de pointe – 6 heures-9 heures, 17 heures-20 heures – et prévoit le même niveau d’offre dans toutes les gares. Trois niveaux de service sont prévus : 60 %, 50 % et 33 % de l’offre de référence. Il s’agit, a minima, d’assurer un aller-retour dans la journée.

Je regrette que, en octobre 2008, seulement sept régions aient intégré un tel plan dans leur convention. Dix autres n’ont pas validé les plans de transport adaptés, ce qui a conduit les préfets de région à se substituer à elles. Le désengagement des régions – souvent de gauche, puisqu’il en est très peu de droite – à l’égard d’un système qui doit faciliter le quotidien des habitants sans remettre en question le droit de grève est à mes yeux vraiment incompréhensible. J’espère que les nouvelles assemblées régionales issues des élections de mars 2010, quelle que soit leur couleur, se préoccuperont davantage des moyens de transport de nos concitoyens.

Dans son rapport sur l’application de la loi, le député Hervé Mariton constatait que lors des grandes grèves du 22 mai 2008 et du 29 janvier 2009, les niveaux de service annoncés ont été globalement respectés. Ainsi, le 22 mai 2008, journée de grève nationale pour la défense des retraites, la SNCF a assuré le service annoncé et 54 % des usagers ont estimé que le service avait été de meilleure qualité que lors d’autres grèves. Le numéro vert national que la SNCF met à disposition en ces occasions a reçu, en moyenne, plus de 26 000 appels par jour, et les numéros régionaux près de 10 000.

Lors de la grève interprofessionnelle du 29 janvier 2009, la SNCF a maintenu un niveau de service supérieur à celui qu’elle s’était engagée à garantir. L’information des usagers, à laquelle j’attache énormément d’importance, s’est mise en place avant le démarrage de la grève, par des moyens diversifiés : tracts et informations en gare, site internet, médias… Lorsque l’on connaît les difficultés de communication de la SNCF, on mesure mieux l’intérêt d’avoir rendu obligatoire l’information en cas de grève !

De plus, le mois dernier, pendant la grève affectant le RER A, qui fut la plus longue de celles ayant touché le secteur des transports depuis 1995, un train sur deux a été maintenu aux heures de pointe, selon le créneau horaire défini avec le STIF, alors que l’on comptait pourtant de 90 % à 95 % de grévistes. Affirmer que la loi a prouvé son efficacité à travers ces exemples choquera les usagers, qui ont attendu dans un froid quasiment polaire des rames de RER dans lesquelles ils ne pouvaient parfois pas monter. Cela montre qu’après deux années d’application de la loi, il faut aller plus loin et tracer de nouvelles perspectives pour les transports, tant terrestres qu’aériens ou maritimes.

En ce qui concerne les transports terrestres de voyageurs, le dispositif que les journalistes appellent à tort « service minimum », mais qui est en fait un service garanti minimal adapté au nombre de grévistes, n’empêche pas les grèves dites pudiquement « émotionnelles », déclenchées de manière spontanée, généralement en réaction à l’agression d’un agent.

Ainsi, voilà un an jour pour jour, le 13 janvier 2009, la gare Saint-Lazare a été fermée à la suite de l’agression d’un conducteur, survenue la veille. Si l’on peut comprendre l’émotion légitime des salariés lorsque l’un de leurs collègues est victime de violences aussi inacceptables qu’incompréhensibles, la grève est tout aussi inacceptable et incompréhensible pour les voyageurs qui, surpris par celle-ci en cours de journée, ne peuvent rentrer chez eux. Ces mouvements de solidarité peuvent d’ailleurs être parfois poussés à l’extrême : l’agression d’un agent dans un bus au sud de Paris peut provoquer un arrêt de travail au nord ou à l’est… Mentionnons encore cette grève ayant affecté le RER B à la suite d’une fausse agression contre un agent et qui a bloqué les voyageurs plusieurs jours, faisant rater leur avion à des centaines de passagers.

Selon moi, monsieur le secrétaire d'État, pour cet « an III » de l’application de la loi, le Gouvernement devrait inciter les entreprises à élaborer avec les organisations syndicales une procédure applicable dans de telles circonstances, afin d’apporter une réponse appropriée et proportionnée à l’agression, sans entraîner la paralysie d’une partie importante du trafic. Le non-respect de cette procédure devrait pouvoir être sanctionné par l’application de pénalités financières aux salariés qui se mettraient en grève en dehors de tout cadre légal ou conventionnel. Il faudrait aussi que soit imposé un préavis de quarante-huit heures, hormis pour les personnes directement concernées par le droit de retrait.

Je suggère en outre que de nouvelles négociations soient entamées pour assurer la prise en compte de conditions climatiques extrêmes en période de grève. Lorsque la température est inférieure à zéro degré, est-il acceptable de mettre en jeu la santé des usagers ?

Dans le secteur ferroviaire, le problème auquel la loi n’a pas répondu est celui des arrêts de travail à répétition, intervenant le plus souvent au moment de la prise de service et dont la durée n’atteint jamais une heure. Je laisserai à mon collègue Hugues Portelli le soin d’évoquer la proposition de loi qu’il a déposée au début de l’année 2009. M. le secrétaire d'État nous fera sans doute savoir si la SNCF a réussi à élaborer une parade pour réduire les conséquences de ces arrêts de travail de courte durée, très perturbants.

Enfin, une autre limite de la loi tient à ce qu’elle ne permet pas de garantir qu’un service minimum sera assuré en cas de grève massive du personnel. Pour y parvenir, il faudrait prévoir un véritable droit de réquisition, comme à l’hôpital, solution qui aurait été difficile à mettre en œuvre.

Par conséquent, je suggère l’exploration d’autres pistes : par exemple, instaurer l’obligation, pour l’entreprise de transports, d’assurer un service minimal de substitution dans l’hypothèse où un conflit social se prolongerait plus de cinq jours et perturberait fortement le trafic. Ainsi, dans le cas des grèves récemment survenues en région parisienne, à Lyon ou à Toulouse, les transporteurs auraient été contraints, au bout de cinq jours de grève, de louer des autocars pour amener les usagers jusqu’aux gares ou aux portes des villes.

Vous nous direz donc, monsieur le secrétaire d’État, si l’horizon des usagers des transports collectifs peut s’éclaircir grâce à la concertation ou si vous préférez laisser libre cours à l’imagination des parlementaires

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