Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 13 janvier 2010 à 21h10
Évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports — Débat d'initiative sénatoriale

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, élue du Val-d’Oise, je suis entourée de personnes qui empruntent quotidiennement le RER A pour venir travailler à Paris. S’il est vrai que la récente grève leur a posé bien des problèmes, leur exaspération avait cependant aussi d’autres sources.

En effet, ce n’est pas l’exigence d’un service minimum en cas de grève qui les préoccupait, mais la médiocre qualité du service au quotidien. Aujourd’hui, les désagréments et les retards les plus courants subis par les usagers sont dus non pas à des grèves, mais à des dysfonctionnements techniques, à des suppressions de trains, à des matériels à bout de souffle et à des infrastructures surchargées. C’est le sous-investissement dans l’entretien des réseaux et du matériel qui pose problème.

La question de fond n’a donc rien à voir avec l’instauration d’un service minimum, mais a trait aux moyens dégagés par l’État et les entreprises de transport pour faire fonctionner dans de bonnes conditions les transports publics terrestres de voyageurs. Ce sont une fois de plus les priorités budgétaires du Gouvernement qui sont au cœur du problème.

Faute d’investissements de l’État depuis des années, la région a hérité en 2006 d’un réseau arrivé à saturation et incapable de répondre à la demande croissante. Elle a donc lancé un programme de renouvellement des matériels et d’ouverture, de renforcement ou de prolongation de nouvelles lignes, qu’elle assume seule, sans aucun soutien de l’État. Le Gouvernement a ainsi refusé, en 2006, d’aider la région à renouveler le matériel roulant afin de lui transférer un outil sain, son objectif se réduisant à se débarrasser de charges lourdes et de problèmes de gestion à court terme.

Dans le même ordre d’idées, rappelons que l’État n’a pas tenu les engagements du contrat signé avec la région, bloquant ainsi plusieurs projets en matière de transports.

Rappelons également que l’État a refusé de s’associer à la réalisation du plan de modernisation des transports en Île-de-France, alors que lui était demandé non pas un financement supplémentaire, mais l’attribution de ressources nouvelles telles que l’augmentation du versement transport, taxe payée par les entreprises, le reversement du FARIF, le Fonds d’aménagement de la région Île-de-France, ou le produit de la taxation des plus-values foncières ou immobilières.

Rappelons encore que la décision du Gouvernement de transférer à la RATP l’intégralité du patrimoine du STIF laisse ce dernier sans aucun actif, donc sans patrimoine propre lui permettant d’emprunter : c’est là un vrai coup porté à la capacité d’investir pour l’avenir !

Pendant que la région lutte pour faire face aux besoins du présent et anticiper l’avenir, l’État se lance dans des projets pharaoniques : la réalisation de la ligne de métro prévue dans le cadre du Grand Paris coûtera 21 milliards d’euros au contribuable. Une telle somme permettrait de résoudre les problèmes actuels du transport ferroviaire en Île-de-France et de financer de nouveaux projets. Mais le Gouvernement exclut les collectivités locales et les usagers du choix du tracé, privilégie un aménagement qui ne répond en rien aux besoins quotidiens des usagers actuels et met en place un système de transport à deux vitesses : d’un côté, un réseau existant qui, faute de moyens, continue de se dégrader ; de l’autre, un TGV urbain destiné à une clientèle de privilégiés.

Cerise sur le gâteau, ces 21 milliards d’euros ne sont bien sûr pas financés. Les collectivités locales devront donc prendre une grande part de cette somme à leur charge. L’État refuse de les associer à la prise des décisions, mais n’a aucun scrupule à siphonner leurs moyens…

On le voit bien, réduire la problématique des transports à la seule question de la mise en place d’un service minimum relève de l’imposture. Le débat sur le service minimum vise surtout à susciter la polémique sur l’exercice du droit de grève pour mieux éviter tout débat sur l’organisation du transport ferroviaire en Île-de-France.

En outre, la notion de service minimum, lequel se réduit dans les faits à un service restreint, permet surtout aux entreprises de transport, en l’occurrence la RATP et la SNCF, de s’exonérer de tout remboursement de titres de transport ou réduction de tarifs pour service non rendu. Voilà pourquoi, malgré la demande insistante de M. Jean-Paul Huchon, président de la région d’Île-de-France, aucune modification tarifaire prenant en compte la gêne considérable subie par les usagers n’est intervenue après la grève du RER A.

C’est là encourager l’entreprise à l’irresponsabilité. On peut même se demander si cette irresponsabilité organisée de l’entreprise ne sert pas des manœuvres politiciennes. À l’heure où les élections régionales se profilent, pouvoir critiquer la gestion de la crise par le président de la région représente une aubaine pour les ministres candidats, alors que, comme l’écrit dans son rapport de février 2009 le député UMP Hervé Mariton, « la vitalité du dialogue social est à l’évidence du ressort du management de la SNCF ». On ne saurait être plus clair ! C’est également la précision qu’ont voulu apporter l’ensemble des présidents de région au moment de l’instauration du service dit minimum : « La gestion du service de transport relève des entreprises de transport, de même que ces entreprises sont seules responsables du dialogue social avec leurs salariés. »

Rendre les élus responsables des conséquences fâcheuses, pour les usagers, du mauvais climat social susceptible de régner dans des entreprises de transport sans leur donner le pouvoir d’intervenir dans leur management est une aberration. La contrepartie de la liberté d’action de l’entreprise doit être sa responsabilité. À ce titre, la grève de décembre du RER A constitue un parfait contre-exemple.

Les critiques des ministres candidats aux élections régionales sont donc injustes. Elles témoignent au mieux de leur ignorance des sujets sur lesquels ils s’expriment, au pire d’une criante malhonnêteté intellectuelle, à moins que les deux ne se conjuguent dans un électoralisme que je m’abstiendrai de qualifier.

Cette mise en cause est d’autant plus dérisoire que l’instauration d’un véritable service minimum vise à assurer un fonctionnement quasiment normal des transports aux heures de pointe dans les grandes agglomérations. Or, pour que cela soit possible, il est nécessaire que de 70 % à 75 % des agents soient présents, autrement dit que la grève soit un échec ! Dans ce cas, le problème ne se pose plus, puisque le service est de fait assuré…

Une fois de plus, la loi et le discours sur le « service minimum » ne sont qu’incantations inopérantes. Outre les difficultés rencontrées, les usagers ont le sentiment détestable d’avoir été manipulés par un gouvernement qui leur « vend » des engagements qu’il sait pertinemment ne pas pouvoir tenir.

Pour ne pas avoir à assumer les effets désastreux de lois inefficaces et impossibles à mettre en œuvre, la droite se met en quête de boucs émissaires : ce seront les collectivités territoriales, en tant qu’autorités organisatrices de transport, alors même qu’elles n’ont pas la maîtrise de la situation, l’issue finale dépendant du nombre de grévistes au sein de l’entreprise de transport. Sauf à donner aux collectivités locales l’autorité directe sur ces entreprises, les ministres candidats et leur coach présidentiel devraient donc, par respect pour les usagers, cesser d’instrumentaliser des situations douloureuses pour servir des causes douteuses.

Tel est également l’avis du Bureau international du travail, le BIT, qui a déclaré la loi non conforme à la convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Selon le BIT, « la fixation d’un service minimum négocié devrait être limitée aux opérations strictement nécessaires pour que la satisfaction des besoins de base de la population ou des exigences minima du service soit assurée, car elle limite l’un des moyens de pression essentiels dont disposent les travailleurs pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux ».

Le BIT souligne en outre que les organisations de travailleurs devaient pouvoir, si elles le souhaitent, participer à la définition de ce service minimum, comme les employeurs et les pouvoirs publics. En conséquence, il a demandé au Gouvernement français d’amender la loi en ce sens.

Cependant, cette loi n’ayant vocation qu’à susciter un « buzz », et non à instaurer un véritable dialogue au sein de l’entreprise ou entre celle-ci et les usagers, gageons que les recommandations du BIT n’intégreront pas rapidement la liste des urgences gouvernementales…

Aujourd’hui, bien que la grève du RER A soit terminée, les désagréments continuent pour les usagers : temps de déplacement allongés, retards et suppressions de trains, pannes… Il est encore risqué, pour un usager soucieux d’arriver à l’heure à son travail, de ne pas prévoir une marge de trente à quarante-cinq minutes pour un trajet de trois heures aller-retour. Les problèmes de fond, tenant aux infrastructures, aux équipements, aux conditions de travail, de salaires ou de sécurité, à la qualité du management et surtout à l’ouverture à la concurrence dans un contexte libéral, subsistent.

Dans ces conditions, le service minimum n’est qu’un rideau de fumée. Il vise à faire croire que les difficultés rencontrées par les usagers sont le fait de salariés irresponsables et privilégiés. Il permet surtout au Gouvernement et à l’entreprise de s’exonérer de leurs responsabilités et de ne pas agir pour améliorer l’état du réseau, son entretien et sa sécurité.

Le groupe socialiste n’est pas dupe de telles manœuvres, mais il est probable qu’aucun de vous ne l’est, mes chers collègues…

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