Intervention de Mireille Schurch

Réunion du 13 janvier 2010 à 21h10
Évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports — Débat d'initiative sénatoriale

Photo de Mireille SchurchMireille Schurch :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le service minimum est un serpent de mer, invoqué régulièrement comme la solution aux dysfonctionnements des services publics, qu’il s’agisse des transports ou de l’éducation nationale. En effet, cela permet à leurs détracteurs de faire habilement l’impasse sur les maux véritables dont ils souffrent, c’est-à-dire un sous-financement chronique et le désengagement de l’État, tout en pointant du doigt les agents du secteur public, dont le statut est considéré comme une hérésie par le Gouvernement.

En guise de préalable, je souhaiterais mettre en garde contre les amalgames : gardons à l’esprit qu’une démocratie ne peut sans se dénaturer porter atteinte au droit de grève, moyen d’exercice fondamental de toute citoyenneté.

L’ordre du jour nous conduit, à la demande du groupe UMP, à faire le bilan de l’application de la loi sur le service minimum dans les services publics de transport. Il faut dire que l’actualité nous y invite, eu égard aux grèves ayant touché la ligne A du RER en Île-de-France, au mois de décembre dernier. Ces mouvements sociaux ont participé de la démonstration de l’inefficacité de cette loi, en dépit des déclarations de Nicolas Sarkozy, qui considère l’instauration du service minimum comme un succès personnel.

Sur la forme, et à l’heure où la campagne des élections régionales bat son plein, comment ne pas voir dans cette initiative du groupe UMP une démarche politicienne, dont procèdent également les déclarations de la tête de liste de ce parti en Île-de-France ?

Ainsi, Mme Pécresse prend appui sur le conflit social ayant touché le RER A pour porter ses attaques contre la majorité régionale sortante, accusant notamment le président Huchon de « parasiter le dialogue social » et de « mettre de l’huile sur le feu de la grève en demandant la nomination d’un médiateur ». Mais c’est le comble de la démagogie ! La nomination d’un médiateur résulterait simplement de l’application de l’article 6 de la loi du 21 août 2007, disposition considérée sur toutes les travées comme une avancée en matière de dialogue social !

Mme Pécresse a également estimé, sans autre forme de procès, que M. Huchon « aurait pu apporter un plus au service minimum en finançant par exemple des bus de nuit ». Elle oublie un peu vite que la décentralisation de la compétence liée aux transports de l’État vers les régions s’est opérée sans transfert des moyens adéquats. Ainsi, on ne peut sans faire preuve de mauvaise foi discréditer les efforts des autorités organisatrices de transport que sont les régions, qui offrent au quotidien un service public de transport en commun de qualité. Les régions ont investi des millions d’euros pour pallier le désengagement de l’État et garantir un véritable droit à la mobilité. En matière de transport de voyageurs, si la fréquence des ralentissements sur les voies a été réduite, c’est presque exclusivement grâce aux investissements consentis par elles, notamment en Midi-Pyrénées.

De plus, il est étonnant que l’on puisse caractériser aujourd’hui la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs comme « relative au service minimum » ! Là encore, le choix des mots donne une indication claire sur l’objectif profond sous-tendant l’instauration d’un service minimum : il s’agit de limiter l’exercice du droit de grève, et non de promouvoir une modernisation du dialogue social.

Nous craignons que ce débat, dont l’objectif affiché est l’élaboration d’un bilan de l’application de la loi de 2007, ne serve au final de ballon d’essai pour tester la mise en œuvre de dispositions encore plus régressives.

Comme je viens de le souligner, les récentes grèves ont démontré l’inefficacité du dispositif adopté. À ce titre, je rappelle que les partenaires sociaux avaient unanimement rejeté ce dernier et qu’ils continuent de penser que le dialogue social n’a pas connu de véritable amélioration. J’attends, monsieur le secrétaire d’État, que vous me démontriez le contraire… Je pense que le bilan envisagé doit comporter un volet relatif au dialogue social, et non porter seulement sur le « service minimum » en tant que tel.

Pour notre part, nous avions regretté le caractère polémique et démagogique d’une telle loi, qui n’apporte aucune amélioration en matière de dialogue social ou de continuité du service public, pour différentes raisons.

Premièrement, l’impératif de continuité du service public ne peut se penser uniquement en temps de grève. Cela a été souligné à plusieurs reprises par les orateurs précédents : pour les usagers, c’est tous les jours la galère ! En effet, l’écrasante majorité des perturbations quotidiennes subies par les usagers sont imputables non pas aux grèves, mais aux défaillances du matériel roulant et à l’insuffisance des moyens humains et financiers, ainsi que des infrastructures, qui provoquent des incidents, des accidents, des suppressions de services ou de dessertes, des retards… Or la loi ne répond à aucune de ces préoccupations.

Deuxièmement, en matière de dialogue social, rien ne sert de traiter les conséquences des conflits au sein des entreprises de transports si rien n’est fait parallèlement pour remédier aux causes de ces conflits. L’instauration d’un service minimum s’apparente ainsi à un emplâtre sur une jambe de bois.

D’une part, malgré la décision rendue par le Conseil constitutionnel, nous continuons à penser que les atteintes portées au droit de grève par cette loi sont disproportionnées et modifient l’essence même de ce droit. En effet, le droit de grève est un droit individuel qui s’exerce collectivement, ce que remet en cause l’article 5 de la loi d’août 2007, la déclaration individuelle de grève contribuant à désolidariser les salariés en les rappelant à un lien hiérarchique. Cela reste inacceptable et contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle « il ne peut être imposé à un salarié d’indiquer à son employeur, avant le déclenchement de la grève, qu’il participera au mouvement ».

D’autre part, nous considérons que le fait d’imposer une négociation préalable de huit jours s’ajoutant aux cinq jours du préavis revient à soumettre la légalité du droit de grève à une condition supplémentaire restreignant ses conditions d’exercice. À ce titre, comment ne pas voir que le « préavis du préavis » n’a été utilisé par la direction que comme un moyen d’enliser les débats et qu’il n’a pas permis une amélioration du dialogue social ?

La seule disposition favorable figure à l’article 12. Celui-ci, qui a été inséré grâce à l’adoption d’un amendement déposé par mon groupe, dispose que « les autorités organisatrices de transport incorporent dans les conventions qu’elles concluent avec les entreprises de transport des critères sociaux et environnementaux de qualité de service ». Nous estimons qu’il s’agit là d’une mesure de nature à limiter les conflits au sein des entreprises de transport. Nous regrettons de ne disposer d’aucun élément de bilan sur ce point, mais sans doute allez-vous nous en fournir, monsieur le secrétaire d’État.

Je ne reviendrai pas ici sur la provocation que constitue l’article 10, qui stigmatise encore un peu plus les agents des services publics de transport, en rappelant le principe du non-paiement des jours de grève. Cela donne à entendre en creux que les grèves seraient sans incidence financière pour les agents du service public. C’est totalement inacceptable ! Les premières victimes économiques des grèves, ce sont les grévistes ! Je crois qu’il est important de le rappeler ici.

Je regrette que nous ayons manqué d’éléments pour préparer ce débat sur le bilan de l’application de la loi. Faute d’un bilan dressé par le Gouvernement ou les entreprises publiques de transport, faute également d’auditions menées par la commission de l’économie du Sénat, nous n’avons pu nous appuyer que sur des rapports d’information, certes de qualité, réalisés à l’Assemblée nationale au début de l’année 2009 par M. Hervé Mariton, d’une part, MM. Maxime Bono et Jacques Kossowski, d’autre part.

Sur le fond, si ces deux rapports se rejoignent pour porter une appréciation positive s’agissant de l’information des usagers, leurs préconisations sont radicalement différentes : alors que le premier prône la restriction absolue du droit de grève, le second souligne à juste titre la nécessité de renforcer le dialogue social, notamment par la mise en œuvre d’un observatoire des relations sociales, par davantage de démocratie sociale au sein des entreprises ferroviaires et par une meilleure intégration dans ces instances des représentants des usagers ; nous approuvons ces propositions.

A contrario, nous estimons que le rapport du député Hervé Mariton, loin de faire le bilan de l’application des dispositions existantes, notamment en termes de dialogue social, lesquelles n’ont pas fait la preuve de leur utilité, vise uniquement à préconiser de nouvelles mesures particulièrement dangereuses.

Qu’il s’agisse de porter à soixante-douze heures le délai pour la déclaration individuelle de grève, d’interdire le dépôt d’un préavis pour des motifs de même objet avant l’expiration du préavis précédent ou, pour lutter contre les grèves de cinquante-neuf minutes, de renforcer les sanctions financières à l’encontre des grévistes en portant la retenue sur salaire à un cinquantième du traitement à compter du deuxième arrêt de service relatif à une même déclaration d’intention, toutes ces propositions ne concernent ni le dialogue social ni la continuité du service. Comme le reconnaît le rapporteur, les grèves de cinquante-neuf minutes ne sont pas insurmontables au regard de l’organisation du service par les entreprises.

Nous regrettons l’absence de bilan sur l’amélioration du dialogue social durant le préavis, voire le « préavis du préavis », ainsi que l’absence d’analyse du fait que les obligations instaurées par cette loi pèsent uniquement sur les salariés et non sur les directions des entreprises. Peut-être serait-il temps d’envisager des dispositions contraignantes pour ces dernières en matière de dialogue social.

Parallèlement, des parlementaires, sans attendre ces travaux d’analyse, ont déposé des propositions de loi ne visant qu’à une restriction abusive du droit de grève. Ces textes tendent tous à un élargissement du service minimum, qu’il s’agisse d’étendre son domaine d’application aux transports maritimes et aériens, comme le prône Mme Procaccia, ou de sanctionner financièrement de manière disproportionnée les grévistes, comme le préconise M. Portelli. Je souligne que cette proposition est jugée trop sévère, y compris par M. Mariton !

Enfin, le dernier texte, qui est aussi le plus dangereux, est celui du député Éric Ciotti, qui vise à permettre la réquisition de personnels. Je rappelle, puisque cette idée semble séduire un certain nombre de mes collègues, que la réquisition, sous réserve de quelques dérogations très limitativement énumérées, est contraire à un exercice normal du droit de grève. La jurisprudence tant administrative que judiciaire n’admet le recours à la réquisition que lorsqu’il est question de sécurité publique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion