Intervention de Michel Teston

Réunion du 13 janvier 2010 à 21h10
Évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports — Débat d'initiative sénatoriale

Photo de Michel TestonMichel Teston :

Peu de temps après son élection à la Présidence de la République, de manière quelque peu démagogique, suivant la logique des effets d’annonce ou des lois déclaratives, M. Sarkozy a fait déposer, le 7 juillet 2007, un projet de loi qui a été examiné en session extraordinaire par le Sénat et adopté par le Parlement selon la procédure d’urgence.

Ce texte, qui est en retrait par rapport aux engagements du candidat à l’élection présidentielle, comprend trois volets principaux.

Le premier prévoit que les entreprises de transport et les organisations syndicales de salariés négocient, avant le 1er janvier 2008, un accord concernant l’organisation obligatoire d’une négociation avant le dépôt de tout préavis de grève, des négociations pouvant être, en parallèle, menées à l’échelon de la branche professionnelle.

Le deuxième volet vise à permettre la mise en œuvre d’un service garanti en cas de grève ou de perturbation prévisible. Ce service minimum est défini par les autorités organisatrices de transport en fonction des spécificités locales.

Deux mesures principales sont mises en place : l’obligation, pour les salariés, de déclarer quarante-huit heures avant le début d’une grève s’ils ont l’intention d’y participer ; la possibilité, après huit jours de grève, d’organiser sur l’initiative de l’employeur ou d’une organisation syndicale un vote indicatif à bulletin secret sur la poursuite ou non du mouvement. Un amendement adopté par le Sénat a prévu qu’un médiateur pourra intervenir dès le début de la grève.

Le troisième volet fait obligation à l’entreprise de transport d’informer préalablement les usagers en cas de grève ou de perturbation prévisible. L’entreprise peut être tenue de rembourser en tout ou partie les usagers en cas d’absence de mise en œuvre d’un plan de transport adapté.

La loi réaffirme enfin que les jours de grève ne peuvent donner lieu à paiement.

Ce texte a suscité, à juste titre, de fortes réactions de la part des organisations syndicales de salariés. Ces dernières considèrent, en effet, que l’objectif du Gouvernement est non pas d’améliorer le dialogue social, mais de restreindre le droit de grève.

Lors des débats, si les intervenants de notre groupe ont approuvé l’idée de prévenir plus efficacement la survenance des conflits sociaux par l’instauration d’un dispositif de négociation collective obligatoire, ils ont en revanche formulé de nombreuses et vives critiques sur pratiquement toutes les autres dispositions que contient ce texte. Ainsi, nous avons souligné qu’il n’évoque pas les questions de la dégradation du service public des transports et du vieillissement du réseau, non plus que les multiples incidents, notamment les dégradations volontaires, qui sont à l’origine de nombreuses perturbations.

Nous avons également relevé que ce texte ignore les grèves dites « émotionnelles », déclenchées dans l’instant, à la suite d’agressions d’agents.

Il nous est aussi apparu clairement que ce texte fait peser sur les élus, au travers des autorités organisatrices de transport, des responsabilités qui ne sont pas les leurs. Il est pourtant évident que ce sont non pas les autorités organisatrices de transport, mais les entreprises de transport, qui sont responsables du dialogue social avec les salariés.

Plus généralement, nous avons dénoncé une « loi d’affichage », reprenant ainsi l’expression de Denis Mazeaud, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas.

Nous avons enfin formulé trois autres critiques majeures à l’égard de ce texte.

Première critique, alors que la majorité avait déjà fait adopter la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social et celle du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, il lui a semblé nécessaire de proposer un troisième texte sur le même thème. Faut-il en tirer la conclusion que les dispositifs précédents n’étaient finalement pas à la hauteur des enjeux ? En tout cas, c’est ce que nous avons affirmé en juillet 2007.

Deuxième critique, ce nouveau texte réduit la portée du droit de grève, et le débat sur l’amélioration du dialogue social est un trompe-l’œil : peut-on parler d’amélioration du dialogue social quand sont mises en place des sanctions disciplinaires à l’encontre des salariés grévistes lorsqu’ils n’ont pas, par exemple, respecté l’obligation de déclaration préalable de leur intention de faire grève ?

Troisième critique, il est faux d’affirmer que cette loi permet d’assurer un service minimum effectif : il s’agit tout au plus d’un service restreint, et surtout d’un service hypothétique. En effet, si tous les salariés sont en grève, il est bien évident que le service ne sera pas assuré. Je rappelle que la présence au travail d’environ 80 % des agents est nécessaire pour assurer un service normal aux heures de pointe, en particulier dans les grandes agglomérations.

Compte tenu de cette analyse, le groupe socialiste s’est prononcé, en juillet 2007, contre l’adoption du projet de loi.

Depuis lors, que s’est-il passé ? Si le Conseil constitutionnel a validé la loi, le Bureau international du travail l’a déclarée non conforme à la convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.

En effet, selon le BIT, « la fixation d’un service minimum négocié devrait être limitée aux opérations strictement nécessaires pour que la satisfaction des besoins de base de la population ou des exigences minimales du service soit assurée, car elle limite l’un des moyens de pression essentiels dont disposent les travailleurs pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux ».

En outre, confrontés à une loi tendant à restreindre le droit de grève, les salariés ont développé de nouvelles formes d’action qui en contrecarrent les effets. L’article 10 de cette loi dispose ainsi que « la rémunération d’un salarié participant à une grève, incluant le salaire et ses compléments directs et indirects à l’exclusion des suppléments pour charges de famille, est réduite en fonction de la durée non travaillée en raison de la participation à cette grève ». Cette rédaction ouvre une brèche, dans laquelle s’est engouffré le syndicat SUD, en janvier 2009, lors des grèves à la gare Saint-Lazare, à Paris, et à Nice. Des salariés se sont déclarés grévistes pendant cinquante-neuf minutes par jour, ce qui leur a permis de limiter leur perte de salaire tout en désorganisant néanmoins le trafic.

De même, les cheminots ont plus largement utilisé leur droit de retrait à la suite d’agressions de collègues, ce qui a provoqué, notamment, la fermeture complète de la gare Saint-Lazare le 12 janvier 2009, bloquant 400 000 voyageurs.

Quant à l’obligation faite au salarié d’annoncer quarante-huit heures à l’avance son intention de faire grève, sous peine de sanctions disciplinaires, elle a pour conséquence d’inciter tout salarié à se déclarer gréviste au préalable, même si cette déclaration n’est pas suivie d’effet.

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