Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 13 janvier 2010 à 21h10
Évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports — Débat d'initiative sénatoriale

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat de ce soir intervient fort opportunément au lendemain d’une longue grève sur la ligne A du RER ; pendant deux semaines, cette grève a fortement nui aux usagers parisiens ainsi qu’à de nombreux habitants de l’ouest et de l’est de la capitale.

À cette occasion s’est posée de nouveau la question du service minimum et du droit de grève dans les transports publics qui, depuis 2002, a nourri un fond de propositions de lois consacrées à ce sujet. Aujourd’hui, le débat porte sur les conditions de mise en œuvre et les conséquences de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

Loin de moi l’idée de méconnaître le principe même d’un service minimum et de le critiquer : il existe dans d’autres secteurs, comme l’hôpital ou la télévision, et il ne serait pas question de le remettre en cause. De la même façon, cela a été dit précédemment, en Europe, la moitié des États constituant l’Union ont mis en place une législation à peu près comparable, selon la nature de leur droit et de leur réglementation.

Dès lors, il n’était pas absurde d’envisager qu’un service assuré aux heures de pointe pût, non seulement respecter strictement le droit de grève, mais encore permettre aux usagers de se rendre sur leur lieu de travail, garantissant ainsi deux pôles imprescriptibles des principes constitutionnels de la République : droit de grève et libre circulation des personnes.

Quelle évaluation peut-on faire maintenant de ce dispositif ? Je voudrais relever, sur le dernier cas concret de la grève du RER, deux faits particuliers.

S’agissant, en premier lieu, de l’efficacité du service minimum, les voyageurs n’ont bénéficié, sur certaines lignes, que d’un train sur cinq ou sur six, au lieu d’un train sur trois comme initialement prévu. En outre, les horaires de fonctionnement de ce service minimum ont été peu compatibles avec une activité professionnelle ordinaire : trois heures tôt le matin, très bien ; mais la fin du service, le soir, à 19 heures 30, est loin de correspondre à la fin de l’activité de nombreux salariés. Il s’en est suivi un recours accru à la voiture et au métro, créant par là même embouteillages, bousculades et, parfois, mauvaise humeur.

S’agissant, en second lieu, des conséquences financières de ce mouvement de grève pour les voyageurs, ceux d’entre eux qui ont acquis un coupon hebdomadaire, assez onéreux – je pense, en particulier, aux usagers habitant le plus loin de Paris et aux revenus modestes – se sont interrogés sur les conditions de remboursement dudit coupon. Aux guichets de la ligne A, il leur a été répondu que : « puisqu’il y a eu service minimum, il n’y a pas de remboursement ». J’aimerais savoir, monsieur le secrétaire d’État, si cette réponse sera confirmée par votre administration, alors que vous n’ignorez pas que la qualité de ce service n’a pas été à la hauteur de ce que les voyageurs sont en droit d’attendre.

Je voudrais maintenant, de façon plus générale, vous faire part de mes observations sur ce dispositif.

Aux dires mêmes de la SNCF et de la RATP, le bilan de l’application de la loi sur le service minimum est mitigé, parce que variable selon les territoires. Si, globalement, les départements ayant en charge, par exemple, les transports interurbains et scolaires rencontrent peu de difficultés en matière de continuité du service public, il en va tout autrement dans certaines régions ou dans certaines entreprises de transport urbain.

Les difficultés inhérentes à la mise en place d’un service minimum, à l’image de celles que je viens d’évoquer, se trouvent encore amplifiées lors de ces grèves spontanées, dites « grèves émotionnelles », comme celle récemment déclenchée à la gare Saint-Lazare à la suite de l’agression d’un conducteur. Là se trouve l’une des failles de la loi du 21 août 2007, qui ne répond pas à la problématique des grèves imprévues, ou de ces grèves de courte durée, dites de cinquante-neuf minutes, ou de ces mouvements de personnels qui, inopinément, décident de faire grève ou, tout aussi inopinément, de renoncer à la même grève. Je mesure bien sûr la difficulté, pour l’opérateur, à prévoir l’imprévisible et à ajuster le trafic en temps réel, ou presque, aux besoins des usagers.

Face à des situations de cette nature qui posent, au demeurant, la question du dépôt de préavis successifs, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a souhaité la création d’un observatoire des relations sociales dans les transports terrestres, doté de tous les pouvoirs d’investigation nécessaires et appelé à faire un bilan de l’état du dialogue social en France. Un tel observatoire serait de nature à permettre un examen impartial de la situation des entreprises de transport et son positionnement indépendant le garantirait de toute instrumentalisation dans un conflit.

Je voudrais, en effet, souligner que la plupart des mouvements de grève sont révélateurs d’un malaise lié le plus souvent à la qualité des transports, attendue tant des voyageurs eux-mêmes que des salariés : l’augmentation exponentielle du nombre de voyageurs, le vieillissement et la dégradation des équipements, le besoin de formation des conducteurs, la sécurité sont autant de freins à la bonne marche des trains. Bien plus que les conflits sociaux, ils provoquent la majorité des retards ou des perturbations de trafic.

Le Président de la République a opportunément parlé de la nécessité d’arrêter un plan d’amélioration de la ligne A du RER. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser les objectifs de ce plan, ses modalités de financement et le calendrier de sa mise en œuvre ? Vos réponses viendront apporter quelque apaisement dans un contexte social tendu, qui justifierait assurément que soit instauré un nouveau dialogue social, plus serein que celui qui a été observé ces dernières semaines.

Je veux être persuadée, monsieur le secrétaire d’État, que votre objectif est bien, avant tout, de garantir un service public de transports de qualité, dont bénéficieront aussi bien les voyageurs, écoutés et entendus dans leurs attentes légitimes, que les salariés de ces services publics, respectés pour leur engagement, au quotidien, au service du public.

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