Intervention de Jean Bizet

Réunion du 13 janvier 2010 à 21h10
Évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports — Débat d'initiative sénatoriale

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en conciliant le droit de grève, principe à valeur constitutionnelle, avec celui de la continuité du service public dans les transports terrestres et du droit de travailler et d’aller au travail des salariés, nous avons franchi un cap qui semblait impossible à atteindre il y a encore quelques années.

C’est la loi du 21 août 2007 qui aura permis d’y parvenir. Cette loi visait trois objectifs, sur lesquels je ne reviendrai pas afin de ne pas allonger le débat.

Au cours des deux années écoulées, on a pu clairement constater une diminution de moitié des journées de grève, et de nombreux conflits ont pu être désamorcés par la mise en œuvre d’une demande de concertation immédiate, ou DCI, rendue désormais obligatoire par la SNCF. Il n’en reste pas moins que des imperfections demeurent et sont à juste titre de plus en plus difficilement supportables, car elles se superposent, dans certaines régions, à une diminution de la qualité et du confort des infrastructures et des matériels roulants – j’y reviendrai dans un instant.

Après avoir examiné attentivement le rapport d’information de Jacques Kossowski et de Maxime Bono, je voudrais mettre l’accent sur trois points.

La loi a été détournée au moyen de deux actions spécifiques.

Je veux parler, d’une part, des grèves de courte durée, généralement inférieures à cinquante-neuf minutes, dont le seul but est de désorganiser le trafic.

D’autre part, je tiens à souligner l’abus du « droit de retrait ». Ce droit issu de l’article L. 4131-1 du code du travail est certes incontournable, mais son abus ne saurait être toléré. À cet égard, je me démarquerai de nos collègues députés : je pense qu’il ne faut pas écarter l’idée de légiférer pour sanctionner les abus, car cette loi du 21 août 2007 perd, dans ce cas de figure, toute sa lisibilité.

L’engagement de négociations collectives pour garantir le service du soir lorsque le service du matin a été assuré et interdire tout nouveau préavis avant l’expiration des négociations engagées sur le premier est également indispensable pour améliorer le service au bénéfice des usagers.

Enfin, le troisième point concerne la politique de décentralisation et de déconcentration de la SNCF. Si l’on veut améliorer le service, là aussi, compte tenu de la diversité des situations dans les régions françaises, il est indispensable de procéder à cette décentralisation, ce qui n’enlève rien, bien au contraire, à l’autorité et à la dimension du président de la SNCF.

Je ne voudrais pas terminer mon propos sans souligner la dégradation du confort, de la fiabilité, de la sécurité même de certaines lignes. La région d’Île-de-France n’est pas la seule concernée. Ainsi, en Basse-Normandie, la SNCF a délibérément sacrifié la ligne Paris-Granville. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes venu à Caen le 6 avril 2009 pour y faire un certain nombre de propositions et inciter les présidents de la SNCF et de RFF – Réseau ferré de France – à y souscrire.

Monsieur le secrétaire d’État, malgré votre détermination – que je salue –, le président de la SNCF est resté sourd à vos recommandations du 6 avril dernier. C’est la région Basse-Normandie, et elle seule, qui a investi les 150 millions d’euros nécessaires à l’achat du matériel roulant de type Régiolis d’Alstom qui devrait équiper la ligne à partir de 2013, la SNCF s’engageant tout simplement à faire son travail, c’est-à-dire à assurer le fonctionnement de cette ligne pendant trente ans, prétextant que celle-ci est déficitaire à hauteur de 7 millions à 8 millions d’euros chaque année.

Comment voulez-vous que cette ligne ne soit pas déficitaire lorsque la SNCF oublie, tel jour, de mettre du carburant dans la motrice, tel autre, d’affecter un conducteur et ne prévoit pas de rame supplémentaire les jours d’affluence ? Ainsi, le 3 janvier 2010 en gare d’Argentan, soixante-quinze personnes ont été prises en otage pendant deux heures, le temps que l’on fasse venir une rame de Granville.

Monsieur le secrétaire d’État, la SNCF, je le répète, a délibérément décidé de sacrifier cette ligne. Je voudrais savoir où nous en sommes sur les autres points évoqués à Caen le 6 avril 2009. Où en est le projet de fonds de péréquation permettant, à partir des lignes bénéficiaires, de participer à la résorption du déficit des autres lignes ? Qu’en est-il de l’investissement de 2 milliards d’euros par an annoncé par Mme Idrac en 2007 pour faire en sorte que les motrices n’aient pas plus de cinq ans d’ancienneté ?

Je n’ignore pas qu’« ancienneté » ne rime pas forcément avec « vétusté » si le matériel est correctement entretenu, mais, là encore, si l’on prend le cas de la ligne Paris-Granville, le matériel roulant tombe régulièrement en panne.

Monsieur le secrétaire d'État, pardonnez-moi de m’être écarté quelque peu du sujet, mais la situation de la Basse-Normandie, qui est desservie par cette ligne, est critique.

Si l’on ajoute à la faible qualité et à l’absence de fiabilité des infrastructures et des matériels roulants sur certaines lignes les abus du droit de retrait et de grève de courte durée, on constate une dégradation du service public, que je déplore.

La loi du 21 août 2007 est une bonne loi – je me félicite que le Gouvernement l’ait initiée et le Parlement votée –, mais elle a été détournée. Si, dans les années à venir, ces contournements s’amplifiaient, il conviendrait de l’amender. Je ne voudrais pas que cette loi ne se résume, à terme, à un bel exercice d’organisation du dialogue social au lieu d’apporter une véritable solution à la question du service minimum dans les transports. Les cheminots, contrôleurs et autres salariés de la SNCF ont, certes, le droit de faire grève, mais ils ont aussi et avant tout le devoir de respecter les usagers !

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