Intervention de Dominique Bussereau

Réunion du 13 janvier 2010 à 21h10
Évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports — Débat d'initiative sénatoriale

Dominique Bussereau, secrétaire d'État :

Il n’existe pas pour le mode maritime d’obligation particulièrement formalisée pour prévenir les conflits sociaux, si ce n’est la loi du marché qui pénalise les entreprises dans lesquelles les conflits sociaux sont trop nombreux. Néanmoins, la pratique montre qu’il existe un dialogue social.

La convention de délégation de service public signée entre l’État et la SNCM précise qu’« en cas de conflit social, chaque délégataire s’efforcera de parvenir, par la négociation, à un règlement amiable du conflit ou, à défaut, de mettre en place, en concertation avec les organisations syndicales et l’Office des transports de la Corse, un service réduit répondant aux besoins essentiels de l’île ».

Quant à la CMN, l’accord de prévention des conflits signé le 12 juillet 2006 avec l’ensemble des syndicats est toujours en vigueur.

Enfin, il faut noter que toutes les petites entreprises participant à la desserte des autres îles, notamment celles du Ponant, ont mis en place des dispositifs de dialogue social permanent de nature à prévenir les conflits et à garantir ainsi la continuité du service public.

Pour le secteur aérien, nous pouvons distinguer trois activités susceptibles d’être concernées par cette extension.

Concernant le transport public aérien, je tiens à rappeler que les notions de « transport public » et de « service public » ne se confondent pas au regard des dispositions de la loi d’orientation des transports intérieurs du 31 décembre 1982, dite LOTI.

En vertu de la réglementation européenne, le transport public aérien est libéralisé depuis 1994 pour les liaisons lourdes et depuis le 1er avril 1997 pour les autres. Les transporteurs aériens exploitent donc ces liaisons dans un cadre purement commercial.

En conséquence, si le législateur souhaitait étendre la loi du 21 août 2007, seuls les entreprises exploitant des liaisons sous obligations de service public et les personnels nécessaires à leur exploitation pourraient être concernés.

Ces liaisons sont celles qui sont destinées à éviter l’isolement de la Corse, des départements et territoires d’outre-mer et de Mayotte. Les autres collectivités ultramarines ne sont pas concernées.

Quant à la navigation aérienne, son personnel est composé de fonctionnaires d’État dont l’exercice du droit de grève est régi par la loi du 31 décembre 1984 et un décret en Conseil d’État du 17 décembre 1985. Cette loi permet à l’administration de maintenir en fonction le nombre d’agents nécessaires pour garantir certaines missions régaliennes et un niveau minimum de trafic. Il est d'ailleurs fait application de cette loi en ce moment même.

Le décret détermine les modalités d’application de ces dispositions. Il précise en particulier la liste des aéroports où peut être mis en œuvre le service minimum et fixe à 50 % le seuil minimum de trafic au-dessous duquel on ne peut en aucun cas descendre.

Ce service minimum comporte donc un véritable pouvoir de réquisition des fonctionnaires en cas de grève. Ces dispositions s’appliquent en ce moment même, notamment aux électroniciens, pour assurer en toutes circonstances au moins 50 % du trafic, et même plus aujourd'hui, malgré les difficultés météorologiques que de nombreuses régions connaissent depuis ce matin.

La seule difficulté d’organisation tient au fait que les grévistes n’ont pas à se déclarer à l’avance, ce qui rend difficile l’estimation anticipée du niveau exact du service assuré. Cela nous a d’ailleurs conduits dans certains cas, comme je l’ai fait remarquer au directeur général de l’aviation civile, à annuler plus de vols que nécessaire. L’introduction dans la loi de 1984 d’une disposition obligeant les grévistes à se déclarer au moins quarante-huit heures à l’avance permettrait de mieux préparer et organiser le service minimum prévu par cette loi.

La troisième activité du secteur aérien susceptible d’être concernée par cette extension est la sûreté aéroportuaire, sujet d’actualité après la tentative d’attentat sur l’avion Amsterdam-Detroit.

Ces missions peuvent, aux termes de l’article L. 213-3 du code de l’aviation civile, être assurées par des entreprises ou organismes agréés, dans le cadre de contrats conclus avec le gestionnaire d’aéroports, dans la capitale – Aéroports de Paris – comme en régions. Les personnels de ces gestionnaires doivent également être agréés par l’État et n’effectuer leurs tâches que sous les ordres des officiers de police judiciaire. Il ne s’agit donc pas d’un dessaisissement de l’État, l’autorité étant exercée par les officiers de police judiciaire.

Ainsi, la sûreté est une mission de police exercée par des personnels qui participent, de ce fait, à une mission de service public.

Toute interruption de ce service étant susceptible de perturber gravement le transport aérien – sans filtrage, il ne peut y avoir de vols –, le législateur pourrait donc légitimement s’interroger, compte tenu des effectifs en cause, sur l’extension de la loi du 21 août 2007 aux personnels des entreprises spécialisées dans ce domaine.

A également été évoquée la possibilité, très intéressante, de porter le délai de déclaration individuelle d’intention à une durée supérieure à quarante-huit heures – soixante-douze heures par exemple – et de faire évoluer la loi pour garantir un meilleur service de transports aux usagers en cas de grève.

Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel – dont on parle beaucoup ces derniers jours – avait opéré un rigoureux contrôle de proportionnalité dans sa décision du 16 août 2007, en examinant si certaines mesures ne portaient pas une atteinte injustifiée à l’exercice du droit de grève au regard des exigences constitutionnelles.

Cette proposition semble intéressante, mais il sera toutefois nécessaire de procéder à une analyse juridique pour ne pas encourir les foudres du juge constitutionnel.

MM. Nègre et Portelli ont évoqué le problème du recours à la grève de cinquante-neuf minutes. Cette pratique permet à très peu de grévistes, moyennant de faibles pertes de salaires individuelles, de désorganiser complètement un service, notamment sur les réseaux urbains ou suburbains soumis à de fréquentes rotations de matériel : le service ne peut s’effectuer, car le service de transport n’étant pas assuré dans un sens, il ne peut bien évidemment pas être effectué dans l’autre.

Les règles de rémunération des agents de la RATP et de la SNCF ou des entreprises de transports urbains ne sont pas celles qui sont applicables à la fonction publique. L’amendement Lamassoure et la règle du trentième indivisible ne s’appliquent donc pas. Une retenue sur salaire ne peut s’écarter considérablement de la rémunération du travail non effectué sauf à encourir, là encore, la censure du juge.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il faudrait donc, si vous souhaitez faire évoluer les choses, trouver un équilibre entre le droit de grève et le droit de libre circulation, évoqué par MM. Dassault et Nègre. Permettez-moi de vous faire remarquer que la marge de manœuvre est étroite !

En revenant sur les événements survenus à la gare Saint-Lazare, monsieur Teston, monsieur Collin, vous avez évoqué le droit de retrait.

L’événement le plus spectaculaire du mouvement de grève qui a affecté la SNCF en décembre 2008 et en janvier 2009 a été la fermeture de la gare Saint-Lazare le 14 janvier 2009. La décision en a été prise après que les conducteurs du réseau banlieue de Paris-Saint-Lazare eurent, en réaction à l’agression dont avait été victime, la veille, l’un de leurs collègues, tous cessé le travail.

Une telle action est commune à toutes les entreprises de transport public en cas d’agression d’un conducteur ou d’un contrôleur. Elle n’est précédée d’aucune des procédures et formalités relevant de l’exercice du droit de grève dans les services publics. Conçue par le législateur comme l’exercice d’un droit individuel du travailleur, elle produit des effets identiques à ceux d’un conflit collectif, sans que les règles permettant d’en limiter les incidences sur la continuité du service soient appliquées.

Il en résulte une assez grande incertitude pour l’employeur qui entend sanctionner disciplinairement l’usage du droit de retrait pour un motif qu’il n’estime pas fondé.

En 2008, la Cour de cassation a jugé que l’employeur ne pouvait pas sanctionner disciplinairement l’exercice collectif du droit de retrait tant que les agresseurs du personnel d’une ligne ou d’une région n’avaient pas été arrêtés.

Aujourd’hui, les conditions de mise en œuvre de ce droit prévoient une procédure d’alerte de l’employeur par un membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, suivie d’une enquête.

Toutefois, un article de loi pourrait conditionner l’usage du droit de retrait par le ou les agents dont la présence détermine directement le niveau de trafic à une exigence de proportionnalité entre l’usage individuel, voire collectif, de ce droit et les exigences de la continuité du service de transport de voyageurs.

Par leur action, les travailleurs veulent en réalité prendre à témoin leurs clients. J’ai donc proposé que les entreprises organisent un droit de pétition ou de manifestation de solidarité du client. Pourquoi ne pas installer des registres dans les gares, faire des annonces, prévoir des actions par lesquelles l’entreprise se tournerait vers ses clients en leur demandant de manifester leur solidarité à l’égard des personnels agressés ? De tels dispositifs remplaceraient l’usage du droit de grève par la manifestation de celles et ceux qui empruntent tous les jours ces transports. Ils existent dans d’autres pays et peuvent sans doute être envisagés intelligemment ou testés sur certains réseaux.

Pour ce qui concerne la réquisition, vous avez souligné, monsieur Dassault, l’opportunité d’encadrer le droit de grève dans les transports. L’une des possibilités serait la réquisition.

La base législative actuelle du droit de réquisition repose sur la « bonne vieille loi » §du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre, prolongée par le biais de l’ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense.

En vertu de la combinaison de ces textes, le droit de requérir les personnes est ouvert au Gouvernement « en cas de menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population ».

La réquisition peut porter sur l’ensemble du personnel faisant partie d’un service ou d’une entreprise « considérés comme indispensables pour assurer les besoins du pays ».

Une entreprise n’est donc pas habilitée à réquisitionner ses personnels grévistes, à moins de se tourner, lors des circonstances très graves définies précédemment, vers les autorités gouvernementales, seules compétentes en ce domaine.

Une autre possibilité est l’assignation au travail, qui se distingue du droit de réquisition. Elle consiste, pour l’employeur, à désigner nominativement les salariés contraints de travailler pour assurer le service minimal au regard de l’ordre public, sous peine de sanctions disciplinaires. Toute assignation au travail ayant pour conséquence de restreindre le droit de grève, elle s’effectue sous le contrôle du juge, appelé à vérifier notamment la proportionnalité de la mesure prise. Sur la base du droit actuel, il est donc déjà possible de prévoir, par voie d’instruction des chefs de services, des dispositifs d’assignation et de maintien au service en cas de grève.

J’en viens à la grève, évoquée par de nombreux intervenants, notamment M. Jacques Gautier, ayant affecté la ligne A du RER, qui transporte environ un million de voyageurs par jour. Il en résulte des problèmes de capacité, pour lesquels des décisions d’investissements ont été prises sous l’impulsion du Gouvernement. Elles se traduiront par la mise en service de matériels roulants plus performants et de plus grande capacité, c'est-à-dire à deux étages, et ce à partir de 2011.

Nous allons également prolonger la ligne E, de Haussmann jusqu’à Charles-de-Gaulle-Étoile, et prévoir un deuxième doublement de la ligne A.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion