Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 20 octobre 2008 à 21h30
Logement et lutte contre l'exclusion — Article 17

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Madame la ministre, en tentant une nouvelle fois d’intégrer pour le calcul des 20 % de logements sociaux imposés aux communes de plus de 3 500 habitants les logements acquis avec l’aide de l’État, vous vous apprêtez, hélas, à affaiblir l’objectif de mixité sociale et d’égalité des chances d’accès à tous nos territoires, quelle que soit la catégorie sociale à laquelle on appartient.

Quelle était l’ambition de l’article 55 de la loi SRU ? Inciter, pour ne pas dire obliger tous les maires à accueillir des ménages éligibles au logement locatif social et faire en sorte que la ségrégation urbaine ne soit plus compatible avec un projet de ville, c’est-à-dire un projet de vie.

Alors que 45 % des communes soumises à l’article 55 n’ont toujours pas respecté totalement leurs obligations, loin de rendre cette disposition véritablement obligatoire en permettant au préfet de se substituer aux maires peu enthousiastes, comme nous vous l’avons déjà maintes fois proposé, vous décidez au contraire de remettre en cause le seul dispositif véritablement volontariste de notre corpus législatif en matière de logement social, qui plus est en période de crise du logement abordable. Dois-je vous rappeler que vous vous étiez engagée, lors d’une conférence de presse tenue le 2 juillet dernier, à faire appliquer l’article 55 avec la plus grande fermeté ?

Si votre proposition de réforme nous concerne tous, c’est parce qu’elle a en ligne de mire une mesure qui participe fondamentalement de l’intérêt général national, et c’est pourquoi rouvrir ce débat au sein de cet hémicycle, c’est dépasser largement les clivages politiques !

Plusieurs raisons me poussent à vous affirmer que votre proposition, qui a un air de déjà vu, n’est pas acceptable.

Tout d’abord, vous la défendez au moyen d’une argumentation erronée et déconnectée de la réalité que vivent nos concitoyens.

Je tiens à préciser un point qui ne paraît pas faire consensus entre nous, et qui, pourtant, s’appuie sur la simple réalité.

Vous dites, madame la ministre, que l’accession aidée à la propriété trouve toute sa place à l’article 55 de la loi SRU, que l’accession dite « sociale » et le locatif « social » sont du même ordre et visent un seul et même objectif. En affirmant cela, vous faites preuve d’une certaine méconnaissance du différentiel de revenus entre ceux qui ont accès à l’un et pas à l’autre. En effet, les plafonds de ressources pour bénéficier des dispositifs d’aide à l’accession dite « sociale » à la propriété sont bien plus élevés que ceux qui sont demandés aux ménages éligibles à un logement locatif social, même intermédiaire.

De fait, les ménages éligibles à ce type d’accession sont parmi les « plus aisés » des locataires du parc social. Inutile de vous dire que cette tendance n’est pas près de s’infléchir, au vu des prix du marché immobilier !

Ainsi, vous faites fausse route, car cette mesure que vous nous proposez aujourd’hui participe de ce mythe d’une « France de 70% de propriétaires ». Vous voyez à quoi je fais référence. Bien sûr, il faut encourager plus que jamais l’accession, mais il ne s’agit pas du même combat que celui dont on parle aujourd’hui. Bien au contraire, ce sont deux démarches différentes, quoique complémentaires, pour viser l’objectif d’une ville pour tous. Mais, ne nous trompons pas, la propriété n’est pas une solution pour tous.

De surcroît, plus vous entretenez cette illusion, plus vous faites du logement un objet de spéculations. Du coup, la propriété peut être un frein aux parcours individuels comme elle peut être un risque pour l’économie du pays, alors même qu’un secteur locatif abordable et équitable est à lui seul un élément essentiel à la régulation et à la stabilité du marché du logement.

Ensuite, cette disposition ne fera que renforcer l’image négative, et imméritée, du logement locatif social, ce qui trahit fondamentalement la philosophie de l’article 55 de la loi SRU.

En nous proposant, encore une fois, de remettre en cause cet article, vous récompensez en quelque sorte les maires qui persistent à fermer les portes de leur cité aux ménages les plus modestes, qui sont pourtant les bienvenus lorsqu’ils apportent une force de travail dans ces mêmes communes.

De même, vous découragez les élus locaux qui ont fait un effort massif en matière de construction, allant parfois bien au-delà de ce que la loi les oblige à faire.

En satisfaisant les premiers, vous ne faites qu’encourager le retour à une certaine ségrégation spatiale et renvoyez le logement social à l’image injuste et inexacte de pauvreté et d’exclusion dont il a tellement de mal à se défaire.

Vous, la ministre « du logement et de la lutte contre l’exclusion » qui avez maintes fois fait référence aux valeurs humanistes et chrétiennes, allez-vous réellement être celle qui tentera de trahir l’une de nos références législatives les plus solidaires et avant-gardistes, défendue par ceux qui croient à un avenir meilleur pour les plus démunis ?

Madame Boutin, si nous n’étions pas là pour faire barrage à votre tentative, cela signifierait que nous nous ferions complices d’une vision d’une France redevable uniquement envers ses propriétaires et reléguant les plus fragiles à la seule solution de l’hébergement et du provisoire.

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