Intervention de Christine Boutin

Réunion du 20 octobre 2008 à 21h30
Logement et lutte contre l'exclusion — Article 17

Christine Boutin, ministre :

… ou dans l’affectif, le symbolique ?

Depuis toujours, et sans doute jusqu’en 2007, la propriété a été associée dans nos représentations à la richesse.

Élus de terrain, vous le savez très bien, mesdames, messieurs les sénateurs, plus de 46 % des propriétaires occupants sont des pauvres. Être propriétaire, ce n’est pas être riche.

Par ailleurs, devons-nous tout simplement ignorer la volonté des Français ? Devons-nous passer outre la volonté d’une bonne majorité de Français locataires, qui aspirent à devenir propriétaires ? Vous pourrez certes me rétorquer qu’il existe de nombreuses études, mais il se trouve que le CREDOC a étudié le point de vue de nos concitoyens sur la question qui nous occupe. J’ai d’ailleurs fait parvenir à chacun d’entre vous l’extrait de l’enquête qui concerne précisément ce sujet.

Dans le cadre de cette étude annuelle du CREDOC, qui n’est pas n’importe quel institut, les Français, plus intelligents que les élus ne le croient souvent, étaient priés de répondre à la question suivante : « Les communes ont désormais l’obligation d’avoir une certaine proportion, 20 %, de logements sociaux sur leur territoire ; seriez-vous favorable à une évolution de la loi pour qu’on tienne compte dans ce pourcentage des efforts faits par les communes pour aider les ménages les plus modestes à devenir propriétaires ? ». À cette question, 84 % des personnes interrogées ont répondu par l’affirmative, 15 % ont répondu « non », 1 % ne se prononçaient pas.

J’en appellerai aussi à votre sens des réalités. J’ai récemment eu l’occasion de poser la première pierre d’un lotissement construit pour l’accession populaire à la propriété individuelle – l’accession en collectif n’était pas encore possible, mais vous allez, je l’espère, y remédier dans les minutes qui viennent. J’ai donc inauguré un lotissement, en présence des accédants. Il se trouve que ces personnes sont actuellement locataires dans des HLM et que leurs logements actuels et le lotissement en question se situent de part et d’autre d’une même rue.

Cela signifie que, dans neuf ou dix mois, les locataires d’aujourd'hui vont traverser la rue et pourront alors prendre possession du logement dont ils seront propriétaires. Au motif que ces personnes auront traversé la rue, devrions-nous refuser que leurs logements soient comptés au nombre des logements sociaux ?

Enfin, il me semble que l’un d’entre vous a soulevé la question la plus cruciale. Comme je vous l’ai dit dans mon propos liminaire à l’orée de l’examen de ce projet de loi, et je vous remercie, madame le sénateur, de l’avoir relevé, je suis pour ma part convaincue que le logement est une chaîne de solidarité humaine.

J’ai le sentiment que le ministre du logement était jusqu’à présent considéré comme le ministre du logement de ceux qui avaient un logement. Pour ma part, je suis le ministre du logement de tous, de celui qui n’a pas de logement à celui qui est fort bien logé. Ce dernier peut effectivement se trouver renvoyé « à la case départ », particulièrement en une période de turbulences telle que celle que nous traversons aujourd’hui. Et la première responsabilité du ministre du logement est tout de même de donner un logement à ceux qui n’en ont pas.

Or il est évident dans mon esprit et, je l’espère, dans le vôtre, que, si nous libérons des logements ordinaires du parc locatif HLM, nous pourrons trouver les quelques centaines, les quelques milliers de logements peut-être nécessaires aux 30 % de travailleurs qui ne peuvent, pour l’instant, aller en HLM ordinaires, puisque ces derniers ne sont pas libres, et qui se trouvent actuellement en centres d’hébergement et de réinsertion sociale, alors qu’ils n’ont rien à y faire. Une fois ces 30 % de places libérés, ceux qui n’ont pas de solution d’hébergement pourront être accueillis dans les CHRS.

Les dernières inquiétudes que certains peuvent encore nourrir sur ce sujet devraient naturellement être dissipées. Je suis étonnée qu’aucun d’entre vous ne l’ait souligné : grâce à votre adoption unanime d’un amendement que j’ai repris, vous avez décidé, mesdames, messieurs les sénateurs, d’accorder un droit de préemption au préfet. Il m’avait semblé entendre dire, lors de précédents débats, en d’autres lieux, et avant qu’elle ne commence l’examen de ce projet de loi, que la Haute Assemblée en faisait la condition d’une ouverture de l’article 55 à l’accession populaire à la propriété.

Je vous rappelle mes arguments et j’en aurai terminé : les mêmes personnes, les mêmes revenus, la même aide de l’État que pour le logement locatif, la même durée de comptabilisation que celle des logements vendus par les HLM, obligeant les élus à reconstituer leurs stocks, la libération de logements locatifs sociaux, le droit de préemption du préfet.

L’accession populaire à la propriété – je vous l’accorde – ne concerne pas les plus modestes d’entre nous. Cependant, en proposant aux classes moyennes et populaires de devenir propriétaires, nous libérons des places pour les plus modestes et les plus fragiles d’entre nous. C’est pourquoi, me semble-t-il, l’article 17 répond à un objectif de justice, d’équité, de solidarité et de souplesse.

Certes, des nuances nous séparent, pour ne pas dire parfois des lignes de partage, mais je vous propose de suivre la voie de la sagesse.

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