Intervention de Georges Othily

Réunion du 8 novembre 2007 à 15h00
Prélèvements obligatoires — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Georges OthilyGeorges Othily :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le débat sur l'évolution des prélèvements obligatoires revêt cette année une dimension particulière.

L'ouverture de la xiiie législature a été marquée par la volonté du Président de la République de rompre avec des méthodes de pilotage de l'action publique anciennes, trop souvent empreintes du sceau de l'insouciance budgétaire.

Pendant longtemps, on n'a jugé de la qualité d'un ministre qu'à sa capacité à obtenir une hausse de son budget. Cette époque de gabegie est révolue. La création en mai dernier d'un ministère « du budget, des comptes publics et de la fonction publique » a permis non seulement de donner au Parlement un interlocuteur unique, mais encore de rassembler sous une même autorité la gestion de l'ensemble des comptes publics, comptes sociaux compris.

Si le taux des prélèvements obligatoires reste un indicateur imparfait des ressources de l'État, il n'en apporte pas moins un éclairage intéressant sur l'intervention publique dans l'économie.

Selon le rapport économique, social et financier pour 2008 établi par le Gouvernement, le taux des prélèvements obligatoires s'établira à 43, 7 %, soit une baisse annoncée de 0, 3 point en un an. Sur le long terme, ce taux s'inscrit dans la stabilité, après l'augmentation sensible connue à la fin des années quatre-vingt-dix. La France se place ainsi au quatrième rang des pays de l'OCDE, avec 3, 5 points au-dessus de la moyenne européenne. Cependant, alors que le poids des prélèvements obligatoires a été porté de 42, 8 % à 43, 7 % de notre PIB entre 1990 et 2000, il est passé aux États-Unis de 26, 7 % à 26, 4 % du PIB, avec une croissance moyenne sur quinze ans supérieure d'environ 1, 2 point. Les seuls prélèvements directs sur les entreprises approchent les 17 %, contre moins de 10 % pour les autres grands pays européens.

En eux-mêmes, ces chiffres ne nous affecteraient pas si notre système fiscal contribuait à produire de la richesse. Hélas ! l'OCDE soulignait en 2005 que notre système de charges sociales, qui ponctionnait 15, 8 % du PIB en 2006, est porteur de précarité. Cette critique met en avant le fait que les salariés peu ou pas qualifiés coûtent plus cher que dans n'importe quel autre pays de l'OCDE : un SMIC français coûte 54 % de plus qu'un salaire médian, contre 33 % de plus aux États-Unis, 40 % de plus en Belgique, 36 % de plus en Espagne.

Débattre dans cet hémicycle du poids de la fiscalité pourrait immanquablement réveiller de multiples passions. Cependant, il faut avant tout considérer la fiscalité comme un outil contribuant au développement pour tous de l'économie nationale. Le meilleur équilibre doit être trouvé entre intérêt de l'État - l'intérêt général - et intérêt des citoyens, c'est-à-dire l'épanouissement individuel contribuant à l'intérêt général.

Dans un système mondial de plus en plus ouvert où la volatilité des capitaux et de l'information s'accélère sans répit, l'attractivité des territoires est devenue un impératif. À ce titre, notre pays dispose de nombreux atouts, notamment en termes d'infrastructures, de qualité de la main-d'oeuvre et de qualité de vie. Mais notre système fiscal, à la logique si « franco-française », constitue aujourd'hui un handicap dont la remise à plat se révèle nécessaire.

Pourtant, les exemples de pays ayant réussi leur aggiornamento fiscal au service de leur compétitivité sont légion : la Suède, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l'Allemagne. Le Canada, dont la situation en 1993 était comparable à la nôtre aujourd'hui, a enregistré un excédent budgétaire de 16 milliards d'euros en 2006-2007. Ce surplus a permis au gouvernement de faire voter la réduction de sa fiscalité sur les revenus et sur les entreprises tout en continuant à se désendetter. Dans le même temps, le chômage reste bas - 5, 8 % -, la consommation des ménages soutenue et l'investissement des entreprises vigoureux.

Madame la ministre, ce dernier exemple montre qu'une stratégie d'optimisation fiscale peut permettre, sur le moyen terme, d'utiliser la politique de prélèvements comme un puissant levier de progrès économique et social. Actuellement, la complexité et l'enchevêtrement des normes compromettent - c'est le moins que l'on puisse dire ! - la réalisation de cet objectif. Pourtant, une bonne politique fiscale ne consiste-t-elle pas à créer des impôts simples avec une assiette large et un taux réduit ?

C'est dans cette optique, madame la ministre, que s'impose une révision générale des multiples exceptions et régimes fiscaux particuliers, autrement appelés « niches fiscales », dont il a été beaucoup question au cours de ce débat. Comme le relève Philippe Marini dans son excellent rapport préparatoire à ce débat, « une révision des niches paraît en effet indispensable, tant l'efficacité de certaines d'entre elles est contestable, et leur développement incontrôlé ». Dans son rapport sur la fiscalité dérogatoire rendu en 2003, le Conseil des prélèvements obligatoires recensait 418 niches fiscales, dont le coût représentait 60 % de l'impôt sur le revenu. Notre éminent collègue rapporteur général relève quant à lui dans le projet de loi de finances pour 2008 près de 650 niches, dont 202 pour le seul impôt sur le revenu. L'impact en termes de dépenses fiscales s'élèverait ainsi à 72, 3 milliards d'euros. De leur côté, les niches sociales représentent un manque à gagner net pour le régime général de 35, 5 milliards d'euros, soit l'équivalent de 12, 3 % de ses recettes de 2007.

Élu d'outre-mer, je ne vous dirai pas que toutes ces niches sont à proscrire. Leur suppression pure et simple n'est pas la solution miracle pour résorber nos déficits. À côté des dispositifs qui font la richesse des conseillers fiscaux, n'oublions pas que certaines niches atteignent leur objectif initial : orienter l'épargne là où elle est nécessaire, stimuler certains secteurs d'activité, encourager un type de comportement. La commission d'évaluation de la loi de programme pour l'outre-mer notait ainsi en 2006 que les dispositifs d'allégements sociaux et fiscaux consentis aux départements d'outre-mer avaient effectivement permis d'y développer l'emploi et l'investissement.

Toutefois, le risque qui nous guette est celui d'encourager la seule optimisation fiscale individuelle au détriment de la fonction d'orientation des flux d'argent que doit aussi jouer la politique fiscale. La multiplication de ces dispositifs nuit aujourd'hui aux impératifs d'équité fiscale et d'efficacité, l'effet de substitution jouant à plein dès qu'un gouvernement tente de limiter certains plafonnements. Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs censuré en 2005, pour défaut d'intelligibilité, l'incroyable dispositif de limitation des avantages liés aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager mis en place par le gouvernement Villepin. Cet exemple parmi d'autres illustre le fait qu'en persistant à accumuler les strates dérogatoires notre pays se place en situation désavantageuse dans le grand jeu de la concurrence fiscale internationale.

Il est temps, comme le demandait déjà l'année dernière mon collègue Aymeri de Montesquiou, d'inclure ces niches dans la norme de progression des dépenses de l'État pour les rendre enfin lisibles. Cette mesure permettrait d'abord d'opérer, selon des critères d'efficacité et d'équité, un véritable tri parmi toutes ces exceptions devenues la règle. Elle empêcherait également de prévenir les chevauchements indus entre dispositifs, au risque d'impacter excessivement le budget de l'État et des régimes sociaux. Cette nécessaire remise à plat ne constituerait qu'une première étape de la revue générale des prélèvements obligatoires.

Il est facile de clamer haut et fort qu'il suffit de taxer toujours plus les plus riches pour financer les dépenses de l'État. L'argument se heurte vite à la réalité de la fuite des capitaux et des cadres de haut niveau. Ce qui importe, c'est la santé de notre économie, premier facteur de redistribution des richesses et de fluidité sociale. Or les classes moyennes, si elles ne sont pas les plus audibles, n'en restent pas moins profondément mécontentes, comme le note l'Observatoire des inégalités. Ce groupe social dynamique contribue pourtant largement à la croissance. Cependant, il se sent aujourd'hui étouffé : plus de taxation du revenu et du patrimoine, si d'aventure il en a, pour moins de prestations sociales qu'il finance majoritairement. Gravir les échelons grâce au fruit de son travail n'a jamais été aussi difficile. En revanche, la menace de perdre son emploi s'accentue.

Madame la ministre, à l'orée de cette nouvelle législature, la tâche qui vous incombe est complexe, ardue, ingrate

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