Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la mission « Ville et logement » concentre des enjeux essentiels en matière de cohésion sociale.
« Faire société » ne va plus aujourd'hui de soi. Notre pacte social et républicain est régulièrement confronté à ses failles et à ses échecs. La violence devient symptôme, notamment aux marges territoriales, économiques et sociales de notre République. Nos banlieues sont toujours vécues comme des zones de relégation et d'exclusion.
La ségrégation territoriale n'est pas qu'une expression. Elle renvoie très concrètement à des territoires dans lesquels les conditions d'emploi, de logement et d'éducation contredisent les promesses égalitaires de la République, et où les équipements, les services publics, les transports sont déficients.
La solidarité urbaine et l'égalité territoriale auraient dû constituer l'une des priorités de la législature, mais vous n'avez pris conscience de cet enjeu que très tardivement et, parce que vous avez préféré ne pas agir, il vous a fallu réagir sous la pression des événements.
Ainsi, les mesures prises à la suite des émeutes urbaines de l'automne 2005 ont consisté en un simple rattrapage des diminutions de crédits survenues lors des budgets précédents.
De même, l'augmentation de la dotation globale proposée cette année pour les programmes « Rénovation urbaine » et « Équité sociale et territoriale et soutien » n'est pas encore à la hauteur des besoins, en termes non seulement quantitatifs mais aussi qualitatifs. À ces crédits s'ajoutent d'ailleurs ceux de la DSU, dont la bonne utilisation et l'effet péréquateur ne sont pas pleinement garantis.
Votre échec est souligné par le dernier rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles, dans lequel on peut lire que « le processus de décrochage dans les zones urbaines sensibles n'est pas enrayé » et que « l'on constate même le creusement d'écarts entre les quartiers classés en ZUS et les autres quartiers des agglomérations auxquels ils appartiennent. »
Qu'il s'agisse d'emploi, de réussite scolaire ou de sécurité, les inégalités demeurent fortes. La carte de l'exclusion économique et sociale continue à recouvrir celle des territoires défavorisés.
Face à cette situation, le chantier de la rénovation urbaine exige une mobilisation forte et constante de ressources financières. À cet égard, le budget de la mission « Ville et logement » pour 2007n'est pas à la hauteur.
Comme l'année dernière, l'obligation de verser 465 millions d'euros à l'ANRU ne sera honorée que par le concours de recettes extrabudgétaires qui ne sont disponibles qu'à titre exceptionnel. L'absence d'un financement pérenne constitue un motif d'inquiétude répétée tant pour les parlementaires ayant à juger de la sincérité et de la cohérence d'un budget que pour les acteurs de terrain.
Ces crédits sont d'autant plus insuffisants que la situation économique, notamment la hausse du coût de la construction, n'est pas prise en compte.
Par ailleurs, la réalisation de l'ensemble des projets soutenus par l'ANRU n'est pas assurée, faute de ressources suffisantes. L'investissement à moyen et à long terme ne correspond pas aux ambitions affichées. Ainsi, au 1er novembre 2006, l'ANRU a déjà engagé 7, 8 milliards d'euros, soit 70 % de ses ressources totales, pour subventionner 218 projets de rénovation. Or plus de 200 projets sont encore en attente de financement.
M. Yazid Sabeg, président du comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU, juge ainsi qu'« il n'y a pas assez d'argent » et que « l'essentiel des crédits a été consommé ».
Au-delà du financement, ce sont les résultats de la politique de rénovation urbaine qui doivent être évalués au regard de leurs ambitions sociales.
La logique de démolition et de reconstruction, censée améliorer les conditions de vie, s'impose au détriment de l'offre de logements sociaux. Les reconstructions ne sont pas à la hauteur des démolitions : leur nombre demeure inférieur.
Ainsi, le taux de couverture des démolitions par les reconstructions n'a atteint que 53, 6 % en 2005 et ne devrait pas dépasser 76 % en 2006. Nous sommes loin du taux de 100 % que vous aviez présenté comme une règle, celle du « un pour un », lors de la discussion de la loi de 2003. Réduire l'offre sociale, dans un contexte de crise du logement, ne permet pas à la rénovation urbaine de profiter en priorité aux plus défavorisés.
Plus généralement, les conditions de relogement ne sont pas toujours satisfaisantes. L'accompagnement humain fait parfois défaut. La notion de « parcours résidentiel » demeure trop souvent une expression vide de sens. Une politique de grands travaux, sans suivi individualisé des familles, ne produit pas de mieux-être économique et social.
De surcroît, la mixité sociale n'est pas non plus au rendez-vous. L'Union sociale pour l'habitat note ainsi que la moitié des reconstructions a lieu sur le site du quartier démoli, tandis que l'autre moitié est effectuée sur une autre partie de la commune. Si l'on reste dans des périmètres constants, en termes d'offre et de géographie, la mixité ne progressera pas. Seule une volonté politique forte, fondée sur le respect du principe de solidarité posé par l'article 55 de la loi SRU, pourra favoriser l'équilibre et la diversité sociale.
Enfin, la concentration de la politique de la ville sur les ZUS et l'ANRU s'accompagne d'effets pervers. De nombreuses villes, qui comptent pourtant des quartiers en grande difficulté, ne peuvent bénéficier des financements de l'ANRU et ne disposent pas non plus de DSU. Si la concentration des moyens est nécessaire à l'efficacité de l'action, elle ne peut pas se faire au détriment de l'effort général attendu dans tous les territoires. Contre les effets de seuil, des dispositifs intermédiaires sont nécessaires, afin de garantir la continuité de l'action publique.
Pour ce qui concerne les actions en faveur de la cohésion économique et sociale, votre engagement demeure insuffisant.
Ainsi, les crédits de paiement destinés à la prévention et au développement social ne bénéficient d'aucune revalorisation, au moment même où l'éducation à la citoyenneté et la prévention de la délinquance constituent des priorités affichées par votre gouvernement. Cela confirme vos réserves quant à l'action sociale préventive ainsi que la priorité que vous donnez au contrôle social et à une culture répressive médiatisée.
Dans le même esprit, l'effort consenti en direction des associations en 2006, qui ne constituait qu'un rattrapage partiel de votre désengagement, n'est pas maintenu : les autorisations d'engagement sont en baisse de 2, 33 % pour 2007.
Lorsque les crédits sont en hausse, ils ne suffisent pas à honorer vos promesses : le financement de 633 nouveaux postes d'adultes-relais en 2006 ne suffira pas pour atteindre les 6 000 annoncés. De même, les 220 ateliers « santé-ville », qui seront en activité lors de l'exécution de la future loi de finances pour 2007, ne correspondent pas aux 300 qui avaient été annoncés comme objectif pour la fin de l'année 2006.
Pour ce qui concerne les mesures de relance économique, les moyens destinés au développement économique des territoires et à l'insertion professionnelle diminuent de 2, 81 %.
Le bilan des ZFU se révèle contrasté : les entreprises se sont bien installées, mais leur contribution en matière d'emploi demeure bien modeste. Le taux de chômage reste deux fois supérieur dans les ZFU. La moitié des entreprises établies dans les 41 ZFU créées en 2004 n'emploient aucun salarié.
Rapporté au coût des avantages fiscaux consentis - 333 millions d'euros en 2007 -, le dispositif ne satisfait pas pleinement l'intérêt général. Les exonérations, dont la durée pourrait être modulée en fonction des nécessités du développement économique, devraient s'accompagner de conditions de recrutement plus exigeantes que celles qui sont pratiquées aujourd'hui. Un débat pourrait même s'ouvrir sur la nécessité de lier ces exonérations aux individus : la logique des « salariés francs » pourrait se substituer à la logique, purement géographique, de concentration des entreprises sur un seul territoire.
Enfin, la gouvernance de la politique de la ville suscite bien des interrogations. Alors que le ministère de la ville a plusieurs fois changé de nom, de périmètre et de visage, depuis 2002, vous multipliez les acteurs de cette politique au risque de la rendre difficilement lisible et moins efficace.
Ainsi l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, l'ANCSEC, qui se substitue notamment au Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, le FASILD, est désormais chargée de missions très diverses. Est-ce vraiment le principe de subsidiarité et le souci d'améliorer l'action publique qui ont guidé sa création ?
L' « agencisation » de l'État, pour reprendre le néologisme du rapporteur général, ne va pas sans poser des problèmes de dilution des responsabilités et des outils d'action.
La mise en place des contrats urbains de cohésion sociale sera, à ce titre, observée avec attention, notamment la transition avec les contrats de ville, les conditions de leur mise en oeuvre et les priorités géographiques affichées.
Plus généralement, la répartition des compétences entre l'ANRU, la DIV et l'ANCSEC devra être précisée. L'empilement des dispositifs, avec ses corollaires que sont l'inefficacité de l'action publique et la dépense inutile, sont à craindre.
Les enjeux de la politique de la ville sont devenus essentiels, car ils concernent directement la cohésion sociale et nationale. La solidarité urbaine et l'égalité territoriale devront constituer des priorités pour la prochaine législature.
Les politiques conduites depuis 2002 n'ont pris que très tardivement et très partiellement conscience de ces enjeux. Les crédits de la mission « Ville et logement », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2007, ne sont pas à la hauteur de l'urgence sociale. Vous aurez compris, madame la ministre déléguée, qu'ils ne satisfont pas les membres du groupe socialiste.