Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après de la mission « Travail et emploi », notre assemblée est invitée à se prononcer sur l'action publique de l'État en matière de logement. En une journée, nous aurons ainsi traité des deux plus importantes préoccupations de nos concitoyens : travailler et avoir un toit. Ces deux problématiques soeurs se rencontrent dans le même recul du pouvoir d'achat et la même difficulté de vie des Français aux revenus modestes et moyens.
Hélas ! je crains que les autorisations d'engagement proposées dans le présent budget n'apportent que des réponses insatisfaisantes, loin d'être à la hauteur de la crise du logement que notre pays traverse. Ainsi, j'évoquerai tout d'abord la fiscalisation croissante de l'effort de la nation en faveur du logement, avant d'aborder les déséquilibres des moyens consacrés à l'accroissement de l'offre de logements. Quant à la situation dramatique des aides à la personne, elle sera traitée tout à l'heure par mon collègue Jean-Pierre Caffet, lors des explications de vote.
S'agissant de la structure du financement public du logement, on observe une tendance régulière à la baisse des aides budgétaires, alors que les dépenses fiscales dans le domaine du logement ont sensiblement progressé, comme le démontre Thierry Repentin dans son rapport. Les aides fiscales s'élèveraient ainsi à 11, 4 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2007, contre 8, 9 milliards d'euros en 2001. C'est davantage que le total des aides budgétaires, qui représentent environ 9 milliards d'euros. C'est même 8, 5 fois plus que les aides budgétaires à la pierre, qui s'élèvent à 1, 3 milliard d'euros.
Pourtant, je ne saurais trop insister sur les effets néfastes d'un certain nombre d'avantages fiscaux, au premier rang desquels se trouvent les amortissements de défiscalisation, dont le rôle inflationniste sur l'évolution du marché immobilier ces dernières années n'est plus à démontrer. Rappelons par exemple qu'en Île-de-France, hors Paris intra-muros, les prix des logements ont doublé en sept ans.
En 2007, l'amortissement Robien devrait ainsi coûter à l'État 400 millions d'euros, soit quasiment le même montant que les sommes consacrées au financement des logements locatifs sociaux, c'est-à-dire 489, 5 millions d'euros. C'est un comble quand on sait que la défiscalisation s'adresse exclusivement aux Français suffisamment aisés pour acheter un logement qu'ils n'habitent pas, le plus souvent d'ailleurs un logement haut de gamme loué à un prix élevé, à tel point que bon nombre des programmes sortis de terre avec précipitation peinent aujourd'hui à trouver des locataires.
J'ajoute qu'un logement financé en amortissement Robien coûte bien plus cher à la nation qu'un logement social. L'État consacre en effet au premier jusqu'à 33 300 euros par an - 41 500 pour un amortissement Borloo -, alors qu'un logement social type PLUS n'est financé par l'État qu'à hauteur de 20 300 euros, toutes aides confondues, fiscales, budgétaires et de taux.
Cette conception du logement en tant que produit financier destiné à des investisseurs fortunés ne correspond pas à notre conception d'une politique publique responsable en faveur du logement pour tous.
Un autre effet de structure que je souhaite souligner concerne la part que prennent aujourd'hui les collectivités territoriales dans le financement du logement. Le rapport de Thierry Repentin met ainsi en évidence que l'effort des collectivités territoriales a crû de manière spectaculaire entre 2001 et 2004 : leurs aides en la matière sont passées de 398 millions d'euros à 749 millions d'euros, soit un quasi-doublement.
Interpellés quotidiennement par les habitants et en prise directe avec les difficultés croissantes que ceux-ci rencontrent pour se loger, les élus locaux ont été amenés à intervenir massivement dans les politiques publiques de l'habitat.
Suppléant le désengagement de l'État, les collectivités territoriales ont investi tout à la fois l'aide à la personne - les fonds de solidarité pour le logement sont désormais essentiellement financés par les départements, après le retrait de l'État et des ASSEDIC - et l'aide à la pierre, notamment au travers du financement des surcharges foncières sans lesquelles, dans les zones les plus tendues, aucun programme de logement social ne pourrait voir le jour. Cette évolution doit interpeller les parlementaires que nous sommes : les budgets des collectivités territoriales sont de plus en plus difficiles à boucler et les arbitrages budgétaires locaux qui ne manqueront pas d'advenir s'annoncent bien délicats.
En tout état de cause, l'effort de la nation en faveur de la construction de logements est plus que jamais indispensable.
J'en viens à la deuxième partie de mon propos sur les aides à la pierre.
Le programme « Développement et amélioration de l'offre de logement » est le second de la mission consacrée à la politique du logement. Les crédits qui y sont affectés s'élèvent à 1, 23 milliard d'euros, dont 1, 03 milliard est consacré à la construction locative et à l'amélioration du parc de logements. La crise du logement que nous traversons étant notamment quantitative, ce volet du programme revêt une importance majeure et mérite un examen attentif.
Ainsi, l'objectif de construction neuve de logements sociaux est fixé pour 2007 à 100 000 unités, c'est-à-dire au même niveau qu'en 2006. Sur cette base, l'objectif est de financer 63 000 logements en PLUS ou PLAI et 27 000 logements en PLS, auxquels s'ajoutent 10 000 logements construits par l'Association Foncière Logement. Si le groupe socialiste se félicite de l'objectif général de construction, il reste néanmoins réservé sur la répartition des crédits entre PLUS et PLAI, d'une part, et PLS, d'autre part.
Sans dénier l'intérêt des PLS pour le développement d'une offre locative intermédiaire dans les zones les plus tendues ou dans les quartiers où il est nécessaire de promouvoir une certaine mixité sociale « par le haut », les sénatrices et sénateurs socialistes considèrent que l'urgence est à la réalisation de logements abordables, c'est-à-dire de logements PLUS et PLAI, dont l'objectif de construction nous semble insuffisant.
Je voudrais rappeler ici qu'un logement PLUS permet de proposer un loyer inférieur de 40 % environ au prix du marché, de 30 % lorsqu'il s'agit d'un PLAI, et est accessible à 68 % des Français. À l'inverse, le loyer d'un PLS est positionné à 60 % du prix de marché.
Notre conviction est que la très grande majorité des demandeurs de logements sociaux, estimés à 1, 78 million en 2005, souhaitent avant tout acquitter un loyer abordable. À titre d'exemple, dans la boucle nord des Hauts-de-Seine, environ la moitié des demandeurs de logement social vivent en dessous du seuil de pauvreté. L'enjeu est donc bien de concentrer l'effort public sur la construction de logements sociaux en PLUS et PLAI.
Quant au financement des aides à la pierre, je regrette qu'il ne soit pas à la hauteur des montants prévus par le plan de cohésion sociale, montants qui, au surplus, étaient alors programmés en euros constants. Comme le montre le rapport de Thierry Repentin, l'évolution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement, tout en se situant en dessous de la programmation de la loi, n'aura donc pas suivi, cette année encore, l'évolution de l'inflation.
Le budget des SACI a certes été mis à contribution pour 2007, puisque 250 millions d'euros de fonds propres de ces sociétés ont été utilisés pour rembourser une partie de la dette des HLM. Or, par définition, ce « coup de pouce » n'est évidemment pas pérenne et nous nous interrogeons quant aux sources de financement qui seront mobilisables l'an prochain afin de garantir un niveau élevé de crédits d'engagement.
Je ne veux pas terminer cette allocution sans vous faire part de toute mon inquiétude sur l'avenir du livret A.
Outre un produit d'épargne très populaire détenu par 46 millions de nos concitoyens pour un encours total de 113 milliards d'euros, le livret A est en effet la clef de voûte du financement du logement social dans notre pays. Le mécanisme est le suivant : la Caisse des dépôts et consignations centralise les fonds collectés par le livret A et les utilise, à hauteur de 75 % environ, pour effectuer les prêts à long terme qui permettent aux organismes d'HLM de réaliser des logements sociaux. Il s'agit donc de l'outil principal de financement du logement social.
Ce système particulièrement ingénieux, qui permet de transformer une épargne liquide en prêts à très longue durée, de trente à cinquante ans, est aujourd'hui menacé. Vous savez certainement que plusieurs établissements bancaires français et étrangers se sont regroupés pour déposer une plainte devant la Commission européenne afin d'obtenir le droit de distribuer le livret A, aujourd'hui disponible exclusivement dans les réseaux de La Poste et des caisses d'épargne.
Soyons clairs : si d'autres banques souhaitent distribuer le livret A, ce n'est sûrement pas pour attirer la clientèle modeste qui l'utilise comme un porte-monnaie, effectuant plusieurs centaines d'opérations, parfois de très faible montant et pour des encours qui peuvent être inférieurs à 150 euros, mais bel et bien les clients disposant d'une épargne importante.
Cette banalisation risque donc de déstabiliser le système. Il y a fort à parier en effet que les banques conseillent progressivement à leurs clients de réorienter leur épargne vers d'autres produits, ce qui diminuerait l'épargne disponible pour le logement social. Ajoutons enfin qu'avec 46 millions de titulaires les marges de développement de ce produit sont plus que limitées.
Un effet d'éviction est donc à craindre au détriment du logement social. Si une partie des 80 milliards de prêts octroyés par la Caisse des dépôts et consignations aux organismes d'HLM est détournée vers d'autres produits d'épargne et échappe ainsi au logement social, comment celui-ci sera-t-il financé ? Ce ne sera certes pas le milliard consacré aux aides à la pierre dans le budget de l'État qui compensera cette perte.
C'est pour défendre auprès de la Commission européenne ces deux arguments d'intérêt général - financement du logement social et accès de tous aux services bancaires - et, en conséquence, le maintien du duopole formé par La Poste et les caisses d'épargne, qu'une délégation de sénatrices et sénateurs socialistes de la commission des finances et de la commission des affaires économiques se rendra à Bruxelles le 5 décembre prochain. Je souhaite le plein succès de leur démarche.
En conclusion, j'aborderai le sujet du nouveau prêt à taux zéro. Son coût, 770 millions d'euros, est plus qu'important pour une efficacité sociale toute relative : s'appliquant trop largement en raison de plafonds de ressources très élevés, il conduit à un saupoudrage peu efficace de l'argent public sans pour autant constituer une aide déterminante pour les ménages qui rencontrent des difficultés à accéder à la propriété. Tout au plus constitue-t-il un soutien public onéreux à des ménages qui sont, de toute façon, en mesure d'acheter un logement au niveau de prix actuel du marché immobilier.
Ainsi, malgré quelques évolutions positives, la configuration des crédits logement dans le projet de loi de finances pour 2007 ne prend pas la mesure des besoins - des logements abordables, de qualité, pour tous - et ne permettra donc pas de répondre aux difficultés quotidiennes de logement que rencontrent la majorité des Français.