Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'action législative dans le domaine du droit et de la justice est dense depuis le début de l'actuelle législature. Elle s'enrichit aujourd'hui d'une proposition de loi sénatoriale, et je m'en réjouis.
Je m'en réjouis parce que cette initiative parlementaire donne tout son sens à la fonction du législateur. Je m'en réjouis aussi parce que vous vous saisissez d'une question importante, celle de la prescription civile.
Je tiens à en remercier tout particulièrement le président de la commission, Jean-Jacques Hyest. Son initiative doit être saluée.
Le droit de la prescription est devenu un droit particulièrement complexe. C'est un droit empreint d'instabilité où les dispositions dérogatoires se superposent. Le constat est largement partagé et Laurent Béteille l'a lui-même souligné dans son excellent rapport. C'est pourquoi il est nécessaire de revoir le droit des prescriptions.
En 2004, la Cour de cassation suggérait de faire passer la prescription de droit commun de trente ans à dix ans. En septembre 2005, le groupe de travail du professeur Pierre Catala proposait de fixer le droit commun à trois ans.
Aujourd'hui, la réforme du droit de la prescription est sur le point d'aboutir. C'est surtout grâce à votre engagement personnel, monsieur Hyest.
En février 2007, sous votre impulsion, la commission des lois, désirant appréhender la question de manière globale, a créé une mission d'information. Vous avez, dans cette entreprise, monsieur le président Hyest, bénéficié du précieux concours de deux rapporteurs : MM. Hugues Portelli et Richard Yung. C'est un travail de grande ampleur qui a été effectué par cette mission.
Celle-ci a souhaité avoir une approche consensuelle de la prescription. Elle a auditionné une trentaine de personnalités qualifiées avant de formuler ses recommandations.
Le travail qu'elle a ainsi réalisé est très complet et d'une qualité qui honore le Sénat tout entier. Il montre une nouvelle fois que le Sénat est une formidable source d'analyse et de proposition.
Il montre également que le Sénat est tourné vers l'avenir et qu'il est l'un des principaux acteurs de la simplification du droit.
La proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui est ambitieuse. Elle vise à une remise à plat de l'ensemble du droit commun de la prescription. Il ne s'agit pas d'une énième réforme. Il s'agit, comme l'a si bien expliqué M. Béteille, d'une réforme en profondeur du droit commun de la prescription. C'est une ambition que je partage.
Nous sommes aujourd'hui arrivés à un paradoxe.
Juridiquement, la prescription répond à un souci de sécurité. Elle garantit qu'aucune action de justice n'est plus possible après un certain temps. La prescription fixe, en quelque sorte, les limites du temps de l'action judiciaire. Il y a un temps où l'action de la justice est possible. Il y a un temps où l'action de la justice n'est plus possible. C'est un principe fondamental qui préserve les droits de chacun.
Or, actuellement, ce principe a perdu toute lisibilité. Les réformes se sont succédé et la pertinence du système a quasiment disparu. Il faut donc redonner toute sa cohérence et tout son sens au droit de la prescription.
La réforme doit avoir trois finalités principales : réduire les délais de prescription dont la durée est excessive ; unifier les délais de prescription ; enfin, clarifier et moderniser les régimes de la prescription.
Les délais de prescription sont aujourd'hui trop longs. Le délai de droit commun de la prescription est fixé à trente ans. Comment voulez-vous faire reconnaître la légitimité d'un droit trente ans après les faits ? Quelles preuves pouvez-vous apporter à l'appui de votre prétention ? Trente ans après, une action en justice n'a plus de sens. Elle n'a même aucune chance d'aboutir.
Ce délai de trente ans remonte aux origines du code civil, c'est-à-dire à 1804. Il répondait alors aux contraintes d'une société où l'accès à l'information était encore difficile. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'information judiciaire circule presque en temps réel. Les voies d'accès à la justice se sont développées. Je pense notamment à l'accès aux professions juridiques comme les notaires, les avocats ou les huissiers, qui assurent une mission de conseil. Je pense également au monde associatif : les associations d'aide aux victimes ou les associations de consommateurs font un formidable travail d'accompagnement et d'explication. Je pense enfin au développement des nouvelles technologies : il existe sur Internet de nombreux sites juridiques où les particuliers peuvent rechercher une information.
Ce délai de trente ans n'est plus non plus adapté aux réalités économiques de notre pays. Un exemple : les entreprises doivent conserver leurs archives pendant trente ans. Tout cela a un coût qui n'est pas négligeable. C'est un frein à la compétitivité.
Autrement dit, moderniser le droit de la prescription, c'est aussi faciliter la vie économique de notre pays.
La proposition de loi prévoit de fixer le délai de droit commun de la prescription à cinq ans. C'est une préconisation que je soutiens. Ce délai constitue un bon équilibre. C'est un temps suffisant pour permettre à un créancier d'exercer une action. C'est aussi un temps qui permet d'assurer la stabilité du patrimoine sans craindre une action tardive. Ce délai de cinq ans est respectueux des droits de chacun.
Beaucoup de nos partenaires ont également fait ce choix. En Allemagne, la prescription est passée de trente ans à trois ans depuis 2001. En Grande-Bretagne, le délai est de six ans. L'Italie et la Suède ont fixé la prescription à dix ans.
La proposition de loi va donc dans le sens d'un grand mouvement européen.
Il faut également unifier les délais de prescription. Un autre élément a contribué à rendre illisible le droit de la prescription : la multiplicité des délais.
En matière de droit des obligations, la Cour de cassation a recensé plus de 250 délais de prescription. Ils s'étendent de un mois à trente ans. Il faut mettre un terme à ce foisonnement de délais.
La proposition de loi donne un champ d'application plus large au délai de droit commun. C'est une proposition ambitieuse, qui va dans le sens de la simplification et de la clarté.
Imaginons que deux personnes sont victimes d'un même dommage. La première, liée par un contrat avec l'auteur du dommage, dispose d'un délai de trente ans pour agir contre l'auteur. La seconde, qui n'est pas liée avec son auteur par contrat, ne dispose que d'un délai de dix ans pour demander réparation. Ces deux personnes ont subi le même dommage, mais elles n'ont pas pour autant les mêmes droits. C'est une atteinte profonde au principe de l'égalité.
La proposition de loi permettra d'y mettre un terme : le même délai de prescription s'appliquera à ces deux victimes.
Elle maintient cependant quelques dérogations, notamment en matière de droit de la filiation.
Une exception au principe général est plus particulièrement importante à mes yeux. Elle concerne les actes de torture et de barbarie, les violences ou les agressions sexuelles à l'encontre des mineurs. L'action en responsabilité civile peut être aujourd'hui exercée pendant vingt ans. La proposition de loi maintient cette règle. Ce régime dérogatoire est largement justifié : il exprime la volonté de mieux protéger les jeunes victimes.
Le souhait d'harmoniser le droit ne doit pas se faire au détriment des impératifs de protection de la personne humaine.
Par ailleurs, la présente proposition de loi s'attache avec succès à la clarification du régime applicable à la prescription.
Il faut rendre plus lisible le droit français de la prescription en modifiant le plan du code civil. Cela passe, notamment, par la refonte, dans le livre III, du titre actuellement intitulé « De la prescription et de la possession ».
Il s'agit également de supprimer des règles devenues trop complexes. Je pense, notamment, à la prescription en matière d'acquisition immobilière. Si le possesseur est de bonne foi, la prescription peut être de vingt ans ou de dix ans en fonction du lieu de domiciliation du véritable propriétaire. Cette règle est obsolète. La distance n'est plus un obstacle à l'information. Avec raison, la proposition de loi prévoit un délai unique de dix ans.
Enfin, la proposition de loi vise à mieux prendre en compte les modes alternatifs de résolution des conflits : elle prévoit de suspendre le cours de la prescription lorsque les parties ont recours à la médiation. La suspension laisse un temps pour la négociation. Elle évite ainsi une saisine immédiate des tribunaux. Le règlement amiable des conflits est une excellente solution, qu'il faut préserver.
Comme vous le voyez, la proposition de loi tend à une refonte complète du droit commun de la prescription. Les orientations choisies sont judicieuses. Je ne peux que rendre hommage, une nouvelle fois, au travail effectué par MM. Hyest et Béteille.
J'accueille favorablement l'ensemble des dispositions proposées, qui constituent d'importantes innovations.
On peut, néanmoins, aller plus loin sur quelques points. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé plusieurs amendements. J'en évoquerai deux.
Nous vous proposons de compléter le dispositif que vous avez retenu en faveur des victimes de dommages corporels. Il serait utile de l'étendre aux victimes par ricochet et aux dommages matériels résultant d'un même accident.
Nous souhaitons également que les règles de prescription s'appliquent pareillement aux époux et aux personnes liées par un pacte civil de solidarité. Aucune raison ne justifie une solution différente en matière de prescription.
Ce sont des amendements consensuels. Ils vont dans le sens de la simplification du droit et d'une meilleure protection de nos concitoyens. Il s'agit là de souhaits partagés, comme l'ont démontré les travaux de la mission d'information présidée par Jean-Jacques Hyest.
La proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise est à l'image du travail de la mission sénatoriale. Elle est cohérente, moderne et innovante. Elle répond aux attentes des Français, qui souhaitent que le droit soit plus accessible et plus lisible.
Cette proposition de loi recueille le soutien du Gouvernement. Elle constitue la première étape de la modernisation de notre droit des obligations, sur lequel nous reviendrons certainement dans le courant de l'année prochaine.
La Chancellerie est le ministère du droit. Nous devons nous inscrire dans un effort de modernisation du droit civil au service des citoyens et des entreprises.
Cette modernisation se poursuivra par la réforme du droit des contrats, puis par une refonte du droit de la responsabilité délictuelle. Ces travaux sont d'ores et déjà engagés. Quand ils seront achevés, ils nous permettront de disposer d'un droit civil rénové en profondeur.