Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 21 novembre 2007 à 15h00
Réforme de la prescription en matière civile — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

La réforme du droit de la prescription répond à un besoin devenu impérieux et fait l'objet d'un large consensus, à la fois prétorien et doctrinal. Ce besoin se manifeste en matière pénale, civile, fiscale et commerciale.

La présente proposition de loi vise uniquement la prescription civile, dans l'attente d'une éventuelle intervention ultérieure du législateur en matière pénale, ces deux domaines ne relevant absolument pas de la même logique. En matière civile, la finalité de la prescription est libératoire et acquisitive, ce qui induit une réduction des délais, alors qu'en matière pénale, la prescription s'apparente à une forme d'oubli, contre laquelle le législateur lutte de plus en plus en allongeant les délais.

Les règles applicables à la prescription civile font l'objet de nombreuses critiques : cette prescription est malade en raison de sa longueur excessive, elle souffre aussi de la multiplicité de ses délais, elle pâtit enfin de l'imprécision de son régime d'application.

S'agissant de la longueur de la prescription en matière civile, le délai de droit commun est actuellement établi à trente ans, en vertu du fameux article 2262 du code civil. Ce délai distingue la France des autres États membres de l'Union européenne, qui ont eu soin d'adapter leur droit de la prescription à l'évolution des échanges et à l'accélération des transactions commerciales, puisque ce délai a été ramené à trois ans en Allemagne et à six ans au Royaume-Uni. Afin de réaliser cette adaptation nécessaire, la proposition de loi prévoit de réduire le délai de droit commun à cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières, tout en préservant le délai de trente ans pour les actions réelles immobilières.

Quant à l'usucapion, c'est-à-dire la prescription acquisitive en matière immobilière, qui permet au possesseur de bonne foi d'acquérir la propriété d'un immeuble, la proposition de loi fixe un délai unique de dix ans. Cette simplification très attendue contribuera à rendre notre droit civil et commercial plus compétitif et facilitera une éventuelle harmonisation à l'échelon communautaire.

Ensuite, les délais sont beaucoup trop nombreux, rendant le droit de la prescription incompréhensible pour les justiciables et difficilement maniable pour les praticiens. En effet, notre droit actuel connaît une prolifération des dérogations aux délais de droit commun, de trois mois, six mois, un an, deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, dix ans, vingt ans et trente ans !

Si l'instauration d'un délai de prescription unique n'est pas complètement envisageable, compte tenu de la diversité des situations juridiques, la proposition de loi qui nous est soumise tend à ramener une grande partie des délais au nouveau délai de droit commun de cinq ans, en préservant toutefois les dispositions spécifiques prévoyant des délais plus courts. Là encore, cette généralisation ne peut qu'avoir un effet bénéfique en vue d'améliorer la pratique juridique. Elle contribuera aussi à réduire le nombre des contentieux, notamment devant la Cour de cassation.

Il apparaît également nécessaire de réduire la confusion régnant entre différentes notions proches de la prescription, telles que les délais préfix, de forclusion et de garantie. La proposition de loi s'y emploie, en soumettant ces délais au même régime juridique que celui de la prescription dite ordinaire.

Par ailleurs, s'agissant du régime juridique de la prescription proprement dite, le texte prône la suppression des interversions intempestives de prescription. Il fait également de la citation en justice une cause de suspension du délai de prescription, au même titre que la désignation d'un expert en référé, la médiation et la négociation de bonne foi.

La proposition de loi s'inspire également du dispositif de « délai butoir » institué dans d'autres États voisins, au terme duquel le droit d'agir du créancier est définitivement éteint.

Enfin, la proposition de loi innove en donnant plus de place à la liberté contractuelle, ce qui était souhaité. Elle prévoit notamment, dans son chapitre Ier, la possibilité pour les parties d'aménager les délais de prescription. Bien entendu, cet aménagement reste encadré, dans la mesure où les cocontractants ne peuvent dépasser le délai de dix ans ni descendre en deçà d'un an.

En outre, le délai de prescription des contrats d'adhésion, tels que les contrats d'assurance et ceux qui sont conclus entre les professionnels et les consommateurs, échappe à la volonté des parties par souci de la protection des non-professionnels.

En conclusion, cette proposition de loi apporte enfin des solutions concrètes aux difficultés rencontrées en matière de prescription civile, qui suscitaient de nombreuses critiques. Elle consacre le volet civil de la réforme proposée par notre mission d'information sur le régime des prescriptions, et ne peut que faire l'objet d'un large consensus politique et doctrinal, en attendant qu'un travail législatif de qualité équivalente aborde les autres domaines du droit des obligations dans l'esprit des travaux remarquables conduits sous l'autorité du professeur Catala.

La proposition de loi examinée aujourd'hui, que le groupe UMP soutient bien sûr sans réserves, montre non seulement que, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, l'harmonisation des droits nationaux des États européens est nécessaire, mais surtout qu'une action anticipatrice de la France est souhaitable. Le droit français ne doit pas se contenter de rattraper son retard sur le droit des autres États européens. Il doit être capable d'innover et de constituer à son tour la référence fédérant le droit des autres États, comme ce fut le cas il y a deux siècles avec le code civil et comme ce n'est malheureusement plus le cas aujourd'hui !

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