Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l'intérêt de la réforme des délais de prescription est évident. L'existence de plus de deux cent cinquante délais créait une situation inextricable et l'unification des règles relatives à la prescription devenait nécessaire.
Plusieurs propositions ont été formulées par la Cour de cassation, en 2001, 2002, 2004 et un projet de réforme a été lancé par le ministère de la justice. C'est dans ce contexte que, le 22 septembre 2005, un avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, élaboré par des professeurs de droit sous l'égide de Pierre Catala, a été présenté au garde des sceaux de l'époque. À l'instar de ce que préconisait la Cour de cassation, il prévoyait de réduire le délai de droit commun de la prescription civile à dix ans.
Cet avant-projet de réforme du droit de la prescription est pourtant resté lettre morte jusqu'en février 2007, date à laquelle notre commission des lois a constitué une mission d'information, ce qu'on ne peut lui reprocher : je défends bien sûr tout particulièrement le travail législatif quand il est possible et conséquent !
La mission d'information a rendu son rapport en juin 2007 et a rédigé des recommandations : sept en matière pénale et dix en matière civile. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, s'est inspiré de ces recommandations en matière civile, mais également des propositions formulées dans l'avant-projet de réforme de 2005, pour rédiger une proposition de loi. Cette proposition, entièrement réécrite par le rapporteur, a abouti au texte examiné aujourd'hui, qui abaisse à cinq ans le délai de prescription de droit commun.
Cette nouvelle rédaction me pose quelques problèmes. La proposition de loi initiale prévoyait également une modification des règles relatives au cours de la prescription : la négociation de bonne foi entre les parties, y compris le recours à la médiation, et la citation en justice devenaient des causes de suspension de la prescription et non plus d'interruption, s'agissant de la citation en justice. Elle consacrait les solutions jurisprudentielles aux termes desquelles la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de sa créance ou tant qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir.
Enfin, la rédaction initiale de la proposition de loi tendait à autoriser, sous certaines conditions, un aménagement contractuel de la prescription.
La commission des lois a entièrement réécrit le texte, mais en a conservé le fond, à deux exceptions près : elle maintient l'effet interruptif de la demande en justice et laisse inchangées les règles relatives à la prescription des dettes des personnes publiques. Elle propose également d'instaurer un délai butoir de vingt ans en matière de prescription extinctive, ce que ne prévoyait pas initialement la proposition de loi.
Ce qui posait apparemment le plus problème était le délai de trente ans applicable à la prescription extinctive, délai qui serait, selon le rapporteur, « inadapté au nombre et à la rapidité croissants des transactions juridiques ».
Il n'est guère étonnant de constater que ces propos rejoignent plus ou moins ceux qui ont été tenus par certains professeurs de droit ayant activement participé aux travaux d'élaboration de l'avant-projet de 2005. Ils étaient même favorables à un délai de droit commun de la prescription de trois ans. Cette durée a certes été retenue en Allemagne, mais il ne s'agit pas d'une référence absolue puisque d'autres pays ont fixé des délais plus longs.
Je citerai simplement, à cet instant, Philippe Malaurie, professeur émérite, qui préconisait un délai de droit commun de trois ans, afin d'apporter « le stimulant dont a besoin l'activité économique », « la concurrence internationale », ou encore afin de retrouver « notre vitalité, condition de la croissance ».
Étrangement ou non, le Président de la République et vous à sa suite, madame la ministre, avez tenu il y a peu des propos identiques s'agissant de la dépénalisation du droit des affaires : tous deux avez dénoncé le « risque pénal excessif qui entrave l'activité économique ».
Cette convergence de motivations me paraît désagréable. Le droit de la prescription serait-il devenu un enjeu économique ? Il y a tout lieu de le croire, et c'est pourquoi nous sommes vigilants quant au contenu de cette proposition de loi. Ce texte amorce-t-il une réforme de la prescription en matière pénale, nécessaire certes, mais dont l'orientation doit être discutée ? Sert-il à préparer le terrain, afin de faciliter le travail de la commission chargée précisément de réfléchir à la dépénalisation du droit des affaires ?
De manière générale, il me semble que le délai de droit commun de cinq ans prévu par la proposition de loi est trop court. La prescription répond, de l'aveu général, à l'impératif de sécurité juridique. Pour ma part, j'aurais tendance à considérer que faire passer le délai de droit commun de trente ans à cinq ans ne permet pas nécessairement d'assurer cette sécurité juridique.
En effet, la prescription est censée sanctionner la négligence du titulaire d'un droit qui serait resté trop longtemps inactif : or cinq ans, cela peut passer très vite, sans que l'intéressé ait forcément fait preuve de négligence. Ce délai de cinq ans pourrait être ressenti comme injuste par une personne titulaire d'un droit qu'elle n'aurait, de fait, pas eu le temps d'exercer. De ce point de vue, un délai de dix ans me semble plus raisonnable.
Je voudrais d'ailleurs faire remarquer que nous sommes confrontés à une situation paradoxale. En matière civile, l'évolution du droit de la prescription tendrait vers un raccourcissement des délais, alors que, en matière pénale, depuis une vingtaine d'années, les multiples dérogations apportées par le législateur aux règles régissant la prescription concourent à l'allongement des délais de celle-ci.
C'est pourquoi nous sommes également sceptiques quand nous constatons que la proposition de loi, dont l'auteur est suivi sur ce point par la commission, prévoit d'abaisser de dix ans à cinq ans le délai de droit commun applicable en matière commerciale. Même fixé à dix ans, comme c'est le cas depuis le vote de la loi du 18 août 1948, ce délai apparaît encore trop long à la majorité des acteurs économiques. Étant donné les propos que j'ai relatés à ce sujet, une telle position n'est guère étonnante. En ce qui nous concerne, nous proposerons néanmoins de maintenir à dix ans le délai de droit commun de la prescription.
Nous proposerons de fixer également à dix ans le délai au-delà duquel les sommes issues des contrats d'assurance vie non réclamés sont affectées au Fonds de réserve des retraites. Nous avions déjà déposé un amendement à cette fin lors du débat sur la proposition de loi permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés. Il nous avait alors été répondu que cet amendement aurait toute sa place dans l'examen de la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui : nous l'avons donc à nouveau déposé sur ce texte.
Enfin, nous voulions proposer d'allonger le délai de prescription s'agissant des personnes victimes de maladies professionnelles, mais notre amendement a malheureusement subi le couperet de l'article 40 de la Constitution. Cela est bien dommage, parce que cette question est tout à fait importante. On voit très bien, en la matière, que la situation des plus faibles de nos concitoyens n'est pas le point central du débat...
En conclusion, votre proposition de loi, monsieur Hyest, appelle donc de notre part des réserves. J'attends de savoir quel sort sera réservé à nos amendements : s'ils devaient ne pas être retenus, nous nous abstiendrions.