Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis, au nom de notre groupe, de la qualité du débat ouvert aujourd'hui.
Dans l'enceinte du Sénat, le 1er mars dernier, a été solennellement prononcée l'ouverture de la quatrième année polaire internationale.
Les années polaires internationales n'ont pas seulement une valeur symbolique : elles permettent d'engager des actions scientifiques déterminantes. Elles sont nées du constat que l'observation du milieu polaire ne peut se faire efficacement que par le biais d'une coordination internationale.
Ainsi, en 1882, la première année polaire internationale fut consacrée à l'étude du climat et de la géophysique aux pôles. En 1932, la deuxième année polaire internationale permit d'accomplir des progrès dans les domaines de la météorologie, du magnétisme et de l'ionosphère. La troisième édition, en 1958, appelée « année géophysique internationale », impliqua soixante et un pays et fut probablement l'une des plus grandes expériences de coopération internationale dans le domaine scientifique.
Elle rencontra un tel succès qu'elle déboucha sur la signature du traité sur l'Antarctique, en 1959, qui réserve le continent antarctique à la science et aux seules activités pacifiques, dans l'intérêt de l'humanité tout entière.
La recherche en milieu polaire a donc bénéficié de la dynamique impulsée par les trois dernières années polaires internationales. Mais l'année polaire internationale qui vient de s'ouvrir est certainement d'une nature différente des précédentes.
Dorénavant, les travaux menés dans les régions polaires ont un enjeu majeur : comprendre l'actuel réchauffement climatique pour lui trouver des solutions. Les années à venir seront déterminantes pour la lutte contre le réchauffement climatique. Or les régions polaires sont les seules au monde qui peuvent nous raconter de manière précise l'histoire climatique de notre planète.
Les minuscules bulles d'air qui sont enfermées dans les glaces polaires nous racontent quand, comment et pourquoi l'environnement de la Terre a fluctué au fil des siècles et des millénaires. Elles sont les témoins des changements majeurs de climat et de la biodiversité, même s'il faut bien sûr y ajouter les pétoncles. On peut ainsi remonter à près de 850 000 ans dans le passé grâce aux informations contenues dans la glace de l'Antarctique.
Nous avons donc la chance de disposer sous les blanches étendues des pôles d'un patrimoine scientifique exceptionnel. Les forages en Antarctique ont démontré le lien extrêmement fort existant entre la température et deux gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone et le méthane. Ils ont montré que les concentrations actuelles de ces deux gaz sont survenues plus brutalement et sont supérieures à celles qui sont constatées dans les phases de réchauffement précédentes, ce qui laisse supposer l'impact de l'action de l'homme.
La recherche climatique dans les régions polaires doit être soutenue et développée, car elle conduira à de nouvelles découvertes importantes.
Les pôles sont également les témoins privilégiés du présent. Les températures moyennes arctiques ont crû près de deux fois plus vite que la moyenne mondiale au cours des cent dernières années. En trente ans, la superficie de la calotte glaciaire arctique a ainsi diminué d'un tiers.
Le pôle Nord subit donc déjà sévèrement les conséquences du réchauffement dans sa biodiversité et dans l'organisation des sociétés humaines qui l'habitent. La glace se faisant moins épaisse, la pêche et la chasse sur la banquise du Groenland ne se pratiquent plus aussi longuement qu'auparavant : deux mois à peine, contre six il y a encore une dizaine d'années.
Les modes de vie des populations autochtones s'en trouvent affectés. Les changements climatiques, en rendant plus accessibles les ressources des sous-sols, risquent de favoriser une course internationale aux richesses énergétiques et minérales dans ces régions, ce qui remettrait en cause les modes de vie et la culture de leurs habitants et entraînerait des conséquences géopolitiques non négligeables.
Aussi était-il important que la quatrième année polaire internationale inscrive pour la première fois dans ses objectifs de recherche l'étude des menaces pesant sur les populations autochtones.
Sur le plan de la biodiversité, plusieurs populations d'animaux ou de mammifères marins font l'objet d'un suivi sur le long terme, afin d'étudier leurs réactions aux variations de leur environnement. Les programmes abordent aussi la question de l'effet de la pollution sur l'écosystème fragile des pôles.
Je suis convaincu que nous devons absolument soutenir ces recherches et que notre implication passée nous y oblige. La France a en effet une très belle et très longue tradition de recherche dans les régions polaires depuis le xviiie siècle. Grâce à ses expéditions scientifiques et à ses explorateurs célèbres, tels que Dumont d'Urville, Charcot, ou, plus récemment, Paul-Émile Victor, la France peut se prévaloir d'une présence privilégiée dans les pôles et notamment au sud, en Antarctique.
La France y dispose de plusieurs bases scientifiques menant une activité d'observatoire mondialement reconnue, aussi bien dans les sciences de la vie que dans les sciences de l'univers. Nous devons nous montrer fiers de cet héritage et fidèles à cette tradition d'exploration.
Car si la présence française dans les terres polaires est l'héritage d'une histoire, elle confère également à notre pays la responsabilité de préserver ces écosystèmes uniques. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a pris sa place dans la préparation de l'année polaire en demandant à notre confrère Christian Gaudin de rendre un rapport sur les enjeux de la recherche aux hautes latitudes.
Je me fonderai sur les propositions de cet excellent rapport pour exprimer, madame la ministre, notre souhait de voir renforcer la position de la France dans ses activités de recherche polaire. Je ne reprendrai pas l'ensemble des propositions qui viennent d'être exposées, mais je soulignerai certains points qui me semblent essentiels.
Tout d'abord, j'insisterai sur la nécessité de développer notre présence en Arctique, tout en maintenant un positionnement fort au sud. En effet, il existe une logique imposant à certains thèmes d'être traités dans les deux pôles et, de plus, certains partenariats demanderaient à être poursuivis au nord. J'ajouterai surtout que les principaux enjeux politiques et économiques liés au changement climatique se situent en Arctique.
Au sud, il faut renforcer notre soutien financier aux équipes de recherche, qui doivent rester au plus haut niveau international alors que la concurrence se fait plus forte. Ce soutien doit notamment prendre en compte les besoins logistiques de nos équipes, car on peut constater une faiblesse de nos bases en matière d'équipements, notamment pour ce qui est des moyens de déplacement et des locaux.
La rénovation de la base Dumont d'Urville devient urgente, et il est globalement nécessaire d'accroître les moyens financiers de l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor. Je pense que celui-ci pourrait se voir confier la mission de définir les grands axes de recherche.
J'ai évoqué tout à l'heure l'importance d'une coopération internationale en matière de recherche. Je souhaiterais, madame la ministre, connaître votre point de vue sur le développement d'une coopération au niveau européen, et notamment sur la constitution d'un triangle France-Italie-Allemagne sur les questions polaires.
Au coeur de l'Antarctique, la station Concordia bénéficie de conditions d'observation de l'espace uniques au monde, qui en font potentiellement l'un des meilleurs sites astronomiques sur terre. Il faut donc définir une stratégie de développement lui permettant, dans un premier temps, de démontrer ses capacités, avant de développer un projet de plus grande ampleur. Le rapport de Christian Gaudin souligne la nécessité de réfléchir à sa complémentarité avec la base Dumont d'Urville, située sur la côte. Je souhaiterais savoir quelle est la stratégie envisagée sur ce point.
Je conclurai en soulignant la nécessité de communiquer davantage sur la recherche en milieu polaire. Une meilleure compréhension des phénomènes et de leurs causes doit mener à une réelle prise de conscience du rôle de la recherche, bien sûr, mais aussi et surtout des changements de comportement et de société nécessaires pour relever le véritable défi qui nous est aujourd'hui lancé.
Il faut encourager nos jeunes à entreprendre des études scientifiques. La recherche polaire, qui permet de découvrir un monde fascinant et extrême, est le sujet idéal pour susciter des vocations.
Je souhaite saluer la communauté des chercheurs, explorateurs et scientifiques qui étudient avec passion et rigueur les régions polaires et unissent leurs voix pour nous alerter depuis des années sur les risques que nous courons. Sachons les écouter et pensons aux générations futures en donnant à ces personnes les moyens de poursuivre leurs recherches.