Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il n'y a pas, d'un côté, les bons Européens et, de l'autre, les mauvais Européens, et je trouve que le débat de grande qualité que nous avons eu ces derniers jours a évité tout ostracisme.
Il y a treize ans, au moment du référendum sur le traité de Maastricht, on nous avait promis le chaos ou le nirvana. Nous n'avons pas eu le chaos, puisque le « oui » l'a emporté. Malheureusement, nous n'avons pas eu la corne d'abondance de la prospérité que l'on nous avait promise : moins de chômage, plus d'indépendance vis-à-vis du dollar. Nous avons plus de chômage, moins de pouvoir d'achat, et nous n'arrivons pas aujourd'hui encore à nous extraire de l'utopie pour essayer de confronter la réalité aux résultats.
Je ne voterai pas, bien entendu, ce projet de révision ; je ne voterai pas non plus le traité pour plusieurs raisons.
Premièrement, nous allons nous engager de façon irréversible dans un processus de création d'un Etat central supranational. Tout y est : la Constitution, quoi que l'on en dise - le terme est cité plus de cent cinquante fois dans le traité - le principe de la primauté du droit européen - la jurisprudence tranchera rapidement le débat - la question de la majorité qualifiée étendue à un plus grand nombre de compétences et un transfert de souveraineté plus important.
J'observe du reste que le traité comporte de nombreux mécanismes conduisant à transférer toujours plus de compétences sans contrôle des peuples, mais pas un seul, sauf l'article 60 relatif au droit de sécession, qui permette de revenir en arrière.
Deuxièmement, nous allons aggraver le déficit démocratique qui a été malheureusement sanctionné lors des dernières élections européennes. Le principe de la séparation des pouvoirs n'est pas respecté, il y a même une confusion totale entre les pouvoirs législatif et exécutif. La Commission européenne incarne l'intérêt général de l'Union qu'elle doit promouvoir. C'est donc un organe non élu qui est dépositaire de l'intérêt général. C'est antidémocratique et, surtout, on éloigne la responsabilité. Je suis un fervent partisan de la décentralisation dont le Gouvernement a fait la mère de toutes les réformes, considérant que plus on rapproche les décisions, plus le citoyen peut être impliqué. Le processus européen fait tout l'inverse. On éloigne les décisions, on déresponsabilise les élus et, bien entendu, les citoyens se détourneront de cette belle idée que reste la construction de l'Europe.
Mes chers collègues, peut-on aujourd'hui, après le XXe siècle, construire une puissance sans démocratie ? Bien sûr que non !
Troisièmement, je voterai « non », parce que ce traité constitutionnalise le principe d'un libre échange excessif. Il constitutionnalise le principe de l'orthodoxie monétaire qui est en train de saigner la France, de la vider de son industrie et de ses entreprises. Il constitutionnalise aussi cette idée que, moins il y a de protection, mieux on se porte. L'Europe est la zone de libre échange au monde la moins protégée.
M. Guillaume Sarkozy, industriel du textile, rappelait qu'un industriel français qui exporte en Inde acquitte 60 % de droits de douane alors qu'un industriel indien du textile qui exporte en France ou en Europe ne paie que 7 % de droits de douane. Il y a deux poids, deux mesures, ce n'est pas bon pour l'emploi.
Par ailleurs, il y a, bien sûr, la question de la Turquie. Elle est intimement liée au mécanisme du traité qui indexe le pouvoir sur la population. Or il n'est pas indifférent d'avoir ou de ne pas avoir la Turquie demain dans l'Europe.
Après ce que j'ai entendu, je pense que jamais les Français ne seront à même de voter sur l'entrée de la Turquie. Il aurait fallu qu'ils le fassent maintenant. On leur promet peut-être demain un référendum. En cas d'alternance, la gauche supprimera, par la voie parlementaire du Congrès, le recours au référendum pour l'adhésion de la Turquie.
Pour toutes ces raisons, je voterai « non ». Je pense intimement que l'Europe telle qu'on la construit aujourd'hui n'est pas la bonne voie : on ne peut pas imposer une discipline de fer à trente pays aussi différents. Un centralisme antidémocratique est absurde dans ce cas-là.
Mes chers collègues, tant que le sentiment européen ne sera pas assez vigoureux, assez fort pour relayer nos vieilles démocraties nationales, il sera bien dangereux de vouloir dépasser la figure de l'Etat nation qui était le lieu naturel de l'exercice de la souveraineté et de la démocratie.