Il est bien difficile encore de croire que la commission ait pu mener à bien une telle expertise, bien qu’elle ait profondément remanié le texte. En effet, sans vouloir remettre en cause la rigueur et l’ampleur du travail effectué, je rappelle que Mme le rapporteur a avoué elle-même avoir dû se plonger dans le sujet en quelques semaines.
Par ailleurs, si la proposition de loi était votée, il serait possible de tout mettre aux enchères : une simple déclaration, qui se substituera à l’agrément, suffira pour organiser des ventes, alors qu’à présent, il faut respecter des règles strictes afin de former une société dont l’agrément est soumis au Conseil des ventes volontaires, autorité de régulation. Désormais, personne ne vérifiera les assurances, et les opérateurs ne seront plus tenus de s’adjoindre un commissaire aux comptes.
La multiplication des acteurs et l’amoindrissement des règles de contrôle engendreront très certainement un grand nombre de dérives, alors même que la majorité n’est pas capable de s’entendre sur les prérogatives dont sera doté le Conseil des ventes volontaires. Il est toutefois curieux que, après avoir voulu mettre fin à une sorte de monopole, on crée délibérément une concentration du marché dans les mains de quelques-uns.
À notre sens, ce texte, qui prétend vouloir relancer le marché de l’art en France en dérégulant le fonctionnement des mises aux enchères, provoquera l’effet inverse en se calquant sur le modèle anglo-saxon et en niant les spécificités culturelles de notre pays.
Les marchands d’art, à la différence des salles de ventes, ne sont pas que l’interface entre le vendeur et l’acheteur : ce sont des professionnels investis dans un champ particulier qu’ils connaissent bien. Ils ne sont pas soumis à des exigences de rentabilité immédiate, bien au contraire : leur travail est un long processus consistant à repérer des artistes, même méconnus, à acheter leurs œuvres, à les valoriser, à informer les clients, à conseiller les collectionneurs. Au-delà de cette activité apparemment mercantile, les marchands d’art remplissent un rôle éducatif et culturel auprès du public ; ainsi, c’est grâce à quelques marchands français que Paris est devenu la capitale du dessin.
Le fait de placer le marché sous le contrôle des grandes maisons de ventes tendra, au contraire, à une uniformisation des goûts et au lancement d’artistes éphémères, considérés uniquement en tant qu’objets de pure spéculation.
Par conséquent, même si la commission a décidé de revenir sur certaines dispositions du texte initial, comme la suppression des commissaires-priseurs judiciaires, cette proposition de loi est une application doctrinale de la directive européenne « services » et dérégule un marché spécifique au profit d’une poignée de grosses sociétés. Nous ne pouvons donc que voter contre !