Ce renoncement à l'aventure de l'utopie autonomiste pourrait prendre la voie d'un renforcement accru des liens transatlantiques. Notre groupe parlementaire se souvient que l'une de ses figures historiques, Gaston Doumergue, eut pour ministre André Tardieu, qui fut en son temps un chaud partisan d'un tel rapprochement. Encore faut-il se garder des appréciations hâtives. La ligne d'action franco-américaine peut fort bien se concevoir non comme une politique d'alignement bilatérale, mais comme un projet de multilatéralisme.
Que recouvre une telle conception ? On oppose schématiquement une ligne atlantiste portée par les pays anglo-saxons, incarnée ces dernières années par l'axe « Bush-Blair », à une ligne multilatérale marquée par le geste gaulliste.
Gare aux simplifications, car le multilatéralisme n'est plus seulement aujourd'hui une technique diplomatique. Il prend aussi les traits d'un projet politique qui vise à encourager les liens d'interdépendance entre les États.
Sous cet angle, la politique américaine est éminemment multilatérale. On rappellera que la Société des nations fut impulsée par le président Wilson ; et les États-Unis, loin de renier le multilatéralisme, savent tantôt l'utiliser comme ressource d'ajustement, là où leur intérêt les porte à associer des partenaires à leurs projets, quand ce n'est pas à assurer le leadership au sein d'instances internationales telles l'OTAN ou l'OMC, tantôt le rejeter, dès lors que les contraintes des conventions internationales entraveraient leur marge d'action.
Face à ce « multilatéralisme à la carte », pour l'Europe - pour ne pas dire pour la France -, le multilatéralisme se vit généralement, a contrario, comme une contrainte, comme un pis-aller destiné à contrer le leadership. Dès lors, ne nous trompons ni d'objectif ni de combat : si elle ne veut pas s'engouffrer dans un bilatéralisme par défaut, la France doit promouvoir des initiatives.
La question de la représentativité des instances de régulation internationale, que celle-ci soit économique, avec le G8, ou politique, avec le Conseil de sécurité des Nations unies, mérite d'être posée. Je me souviens que le candidat à l'élection présidentielle Nicolas Sarkozy, dans un discours de politique internationale prononcé le 28 février 2007, avait clairement engagé le débat. Quelles que soient les solutions envisagées et les instances concernées, il faudra immanquablement en passer par l'association aux pays développés d'une représentation équilibrée des continents, des puissances émergentes et des pays les plus pauvres. Les critères et les modalités de la pondération, tels que le produit intérieur brut, le nombre d'habitants, etc., restent bien sûr à définir.
Ce « multilatéralisme bien entendu » se conçoit également au travers d'une redéfinition du champ de compétence des institutions et organisations internationales, qui doivent incarner la prise en compte par les leaders nationaux des défis apportés par le nouveau siècle, notamment les défis environnementaux. Le cadre d'ententes régionales - telle l'union euro-méditerranéenne - apparaît comme le niveau adéquat, dès lors que la politique de rapprochement est souhaitée par nous et par nos partenaires, et dans le même temps tient compte de nos fondamentaux.
Un tel redéploiement passe par la fixation d'un cadre à notre diplomatie, défini par le Président de la République et porté par vous-même, monsieur le ministre. Dans ce cadre, la représentation parlementaire doit rappeler l'importance des nouveaux enjeux et oeuvrer à réaffirmer ces fondamentaux : défendre les valeurs des droits de l'homme ; assurer un libéralisme politique et économique progressiste, orienté, si ce n'est dirigé, en faveur de l'homme ; conduire l'aggiornamento intellectuel et la pratique de la promotion de l'économie durable.
Notre groupe sera ainsi attentif à ce que la promotion de l'Europe sociale soit effectivement l'un des principaux axes de l'Union européenne. D'ores et déjà, le maintien dans le prochain cadre institutionnel des objectifs fixés en matière de relations sociales et d'amélioration des conditions des salariés nous paraît un acquis indéniable. La France devrait défendre l'idée d'un relatif élargissement des partenaires sociaux afin que le sommet social tripartite pour la croissance et l'emploi soit bien représentatif de l'ensemble des secteurs et des dimensions d'activités.
La logique de défense des intérêts sociaux et économiques européens, français, n'est par ailleurs pas illégitime dès lors que le protectionnisme se fonde sur la lutte contre les méfaits liés aux conditions de travail des pays tiers et aux dégradations de l'environnement face au dumping social et qu'il promeut les valeurs de ce que l'on pourrait appeler un « corridor socio-environnemental ».
L'idée française d'introduire une taxe - telle la taxe carbone - sur les importations de marchandises industrielles en provenance de pays où les normes environnementales sont moins strictes qu'en Europe a d'ores et déjà fait l'objet de discussions formelles des ministres européens lors du Conseil « Compétitivité » des 22 et 23 novembre derniers. Est clairement mise en exergue la nécessité de redéfinir les règles dans le cadre de l'OMC. Autant d'impératifs qui, je me permets de le rappeler, figurent au nombre des propositions formulées dans le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques rendu en juin dernier, relatif aux exigences et aux enjeux du développement durable.
Ce cadre fixé à notre diplomatie met en acte la conception du « multilatéralisme bien entendu » que j'évoquais à l'instant. Ainsi, point de suivisme dans le choix éventuel d'un accroissement des forces françaises présentes en Afghanistan, à partir du moment où la contribution militaire française s'effectue dans le cadre des actions internationales de l'OTAN, mandatée par l'ONU, et que, parallèlement, la mission d'assistance politique se réalise en vue de la promotion et de la protection des droits de l'homme, comme l'énonce clairement la résolution 1746 du Conseil de sécurité.
Les discours de politique extérieure du candidat à l'élection présidentielle ne doivent pas demeurer de vains mots : il appartient à la représentation nationale de l'énoncer haut et fort, alors même que doit être fêté très prochainement l'anniversaire de la signature de la Convention européenne des droits de l'homme de 1948, parmi les rédacteurs de laquelle figure, cela mérite d'être rappelé, un Français : le grand juriste René Cassin.
Enfin, on peut sans doute déplorer que la ligne budgétaire relative à l'intervention française dans le cadre de l'opération conjointe EUFOR, qui permettra de garantir la sécurité dans l'est du Tchad, n'intervienne que dans la loi de finances rectificative. Pour autant, nous pouvons louer une initiative française qui s'inscrit pleinement dans le cadre d'action ainsi défini.
Mes chers collègues, sur la base des lignes directrices que je viens de développer devant vous, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, dans sa majorité, votera la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2008.