Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 1er décembre 2007 à 9h30
Loi de finances pour 2008 — Action extérieure de l'état

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Je tiens à le faire observer également aux deux vice-présidents du Sénat qui, l'un au fauteuil de la présidence, l'autre au banc de la commission, sont aujourd'hui présents dans l'hémicycle.

La construction européenne demeure bien sûr, aux yeux de notre groupe - c'est à la base même de l'existence de ce qui fut l'UDF -, l'impératif majeur de notre politique étrangère. Le compromis obtenu par le Président de la République à Lisbonne, qui est vraiment un grand succès de la diplomatie française et même, je le crois, un succès personnel du Président Sarkozy, permettra l'adoption rapide, en quelques jours à peine, d'un traité européen simplifié.

M. Giscard d'Estaing lui-même a souligné que l'essentiel des travaux de la Convention européenne, qu'il a présidée, avait été préservé. Aussi, le projet de loi de ratification du traité devra être examiné avec bienveillance par la Haute Assemblée et mon groupe demeurera vigilant et attentif dans ce débat, qui fera avancer la cause de l'Europe.

Devant le développement des grands ensembles continentaux, nous devons veiller, mes chers collègues, à préserver ce bien précieux qu'est l'Europe. À juste titre, le Président de la République a proposé d'approfondir l'Union des vingt-sept avant qu'elle ne procède à quelque autre élargissement, même si les efforts de la Croatie doivent être regardés avec sympathie. Pour ma part, je plaide en faveur de l'intégration dans l'Union européenne des pays de l'Espace économique européen : la Norvège, la petite Islande - qui me tient particulièrement à coeur, puisque je préside le groupe interparlementaire d'amitié -, la Suisse et le Liechtenstein.

Comme mon groupe, je souhaite une Europe de la défense, dans l'esprit de la conférence de Saint-Malo qui, en 1998, avait réuni le Royaume-Uni et la France : les propositions formulées à l'époque par Tony Blair gardent toute leur valeur.

Mais je me souviens également des enseignements de mon maître en politique, Jean Lecanuet, qui fut dans notre Haute Assemblée un exemple et une exigence. L'Europe a une monnaie commune et unique. Elle n'est pas chère, elle est forte, et elle nous met à l'abri de tout retour de l'inflation : un moyen commode pour se soustraire à la dette - et nous sommes bien tentés par ce genre de chose !

Avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel, l'euro est le garant de l'Union européenne et un passeport pour une véritable union politique.

Cette union politique se fera un jour, nous l'espérons, mais elle ne se fera qu'à la condition que nous gardions les yeux grands ouverts vers l'est, vers notre partenaire naturel, la Russie.

Dans un rapport récent sur les relations entre la Russie et l'Europe, j'avais mis l'accent sur l'indispensable partenariat stratégique qui doit se nouer entre les deux entités. J'y rappelais que jamais au cours de son histoire la Russie n'a été un État-nation : elle fut toujours un empire, et elle n'a pas encore fait le deuil de la perte de son « étranger proche ». Elle pourra donc être tentée par la constitution d'un ensemble eurasiatique, ou par un rapprochement avec l'Europe.

Il faudra naturellement l'encourager à aller dans le sens de l'Europe et oeuvrer pour cette politique dans l'Union européenne. Le nouveau Premier ministre polonais, M. Donald Tusk, peut à cet égard jouer un rôle essentiel dans le rapprochement des points de vue sur la question russe, notamment entre la nouvelle Europe et la Russie.

Face à la Russie, il est indispensable que l'Union européenne parle d'une seule voix. Pour autant, nous ne devons pas réduire ce dialogue à une simple sécurisation de notre approvisionnement énergétique : bien au contraire, il nous faut appeler la Russie, grand pays européen, à une communauté de destins avec notre continent. Ce grand pays vit mal sa rivalité avec la Chine et s'interroge sur l'immigration chinoise : ses responsables nourrissent une réelle inquiétude à l'égard de Pékin et de sa démographie. Par ailleurs, le gouvernement russe ressent comme une agression la politique des États-Unis en Ukraine, en Géorgie et en Azerbaïdjan, et s'irrite de leur présence en Asie centrale.

Il y a également l'affaire des droits de l'homme. La Russie, qui fut toujours un empire - l'empire des tsars, puis l'empire soviétique - découvre à peine cette démocratie que nous avons, nous, mis deux siècles à construire. Il est tout à fait nécessaire que les Européens rappellent et défendent les principes des droits de l'homme ; cependant, je voudrais y insister, si l'on a assurément raison de rappeler fermement que la démocratie doit exister aussi en Russie, on doit également tenir compte du fait que c'est un pays jeune, en pleine évolution, où la démocratie est encore balbutiante et fragile.

La politique atlantique doit être, du point de vue de mon groupe, le deuxième pilier de notre politique étrangère. Trop longtemps, la Ve République a mené une politique de méfiance à l'égard de nos amis américains. C'est une ingratitude incompréhensible pour eux, qui ont tant fait pour l'Europe durant les deux guerres mondiales et ont tant dépensé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour ramener la prospérité.

Le Président de la République a eu raison de réchauffer les liens qui nous unissent avec l'Amérique, notre amie et notre alliée de toujours, et il l'a fait dans des conditions équilibrées en n'oubliant pas de venir saluer le Congrès et sa majorité politique nouvelle. Cependant, ce réchauffement ne nous interdit pas de dire publiquement que nous ne pouvons plus accepter des décisions unilatérales comme celle de déployer en République tchèque et en Pologne le système de missiles antimissile sans concertation préalable avec l'Europe, sous prétexte que cette décision relève des relations bilatérales entre les intéressés. Où en est-on, monsieur le ministre ? Le fait que les Russes aient récemment suspendu leur participation au traité sur les forces conventionnelles en Europe n'était pas de bon augure, et je souhaiterais entendre votre avis là-dessus.

Mais l'Amérique est un continent qui ne se limite pas aux États-Unis : l'Amérique latine a été trop longtemps oubliée dans notre politique étrangère, et les efforts déployés par la France depuis quelques années vont dans le bon sens. Notre pays avait esquissé en 1964 une grande politique avec les pays du continent lors de deux tournées présidentielles, au printemps et à l'automne. Nos amis latino-américains attendent beaucoup de notre part. Sachons leur répondre.

Car un défi nous est lancé : le défi de la francophonie, celui de la vitalité de cette belle langue qu'est la langue française. Monsieur le ministre, je citerai un seul exemple pour illustrer mon propos. En 1989, c'était au moment de l'élection du président Aylwin, je me suis rendu au Chili avec votre ami Bernard Stasi ; la langue française était à l'époque très présente. Quand j'y suis retourné quelques années plus tard - et l'on m'a indiqué récemment que la tendance s'était confirmée -, l'anglais avait remplacé le français comme langue de culture chez les élites chiliennes. C'est bien le signe que nous devons faire des efforts, car le problème est important.

À cet égard, ne soyons pas arrogants et sachons rester pénétrés d'humilité. La langue française se parle sur le continent américain : au Canada bien sûr, en Haïti - je caricaturerais à peine en disant qu'à New York tous les chauffeurs de taxi parlent français -, en Louisiane et partout où les étudiants se nourrissent de notre culture. Elle se pratique aussi, bien sûr, sur le continent africain, où elle est préservée et souvent mieux parlée que dans notre pays. Mais la politique française en Afrique doit être réformée.

J'ai fait allusion tout à l'heure, en tant que rapporteur pour avis, au rapport qu'André Dulait, Robert Hue et moi-même avons cosigné. Il nous est apparu clairement que, si elle veut être plus efficace, la politique menée en Afrique doit rassembler, singulièrement, tous les pays qui ont eu des responsabilités sur le continent : la France, le Royaume-Uni, la République fédérale d'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Belgique.

Nous devons parvenir à une mutualisation de nos efforts, source d'économies dans nos représentations diplomatiques et consulaires. C'est peut-être d'ailleurs là, monsieur le ministre, la meilleure façon de résister à l'emprise de la Chine sur ces pays-là.

Ces efforts permettront à nos amis africains de progresser dans la démocratie et d'atteindre les portes d'un codéveloppement indispensable à leur avenir. Et je voulais dire à ce propos que la France devrait envier les taux de croissance de certains pays africains, qui sont quelquefois de 6 % ou 7 %. Donc, n'ayons pas d'arrogance à ce sujet.

Parce que « l'Afrique de grand-papa » a vécu, nos relations avec nos partenaires doivent être empreintes de sérénité et de transparence au service des peuples qui souffrent de peu recueillir le fruit de leurs efforts.

Plus près de nous, il y a le bassin méditerranéen. Au début des années soixante-dix, Georges Pompidou avait initié une politique méditerranéenne de la France. Elle avait soulevé à tort du scepticisme. La Méditerranée est une mer intérieure entre l'Afrique et l'Europe. Elle nous a marqués, elle a marqué notre civilisation. Sur son pourtour se sont forgées de grandes civilisations, la nôtre mais d'autres aussi. Le Président de la République reprend l'ouvrage, et il a raison de le faire. Les plus grands malheurs peuvent venir de cette mer intérieure si l'on n'y prend garde.

Nous souhaitons, bien sûr, que le Sénat soit associé au développement de cette politique et je souhaite aussi, à titre personnel et au nom du groupe Union centriste-UDF, que nous ayons un débat sur ce sujet.

Il y a deux jours était célébré le soixantième anniversaire du plan de partage de la Palestine. Si les hommes de paix avaient été écoutés à l'époque, le Proche-Orient et le Moyen- Orient n'auraient pas vécu soixante ans de conflit. Aussi, je n'évoquerai pas ce sujet délicat, qui doit être résolu dans le secret et dans la discrétion des chancelleries. Mais nous souhaitons tous, mes chers collègues, qu'une paix juste et durable s'instaure entre Israël, qui a un droit sacré à son existence, et la Palestine, laquelle doit prendre une juste place dans le concert international.

Mais la paix ne se gagne pas seulement dans ces contrées. Quand la Chine s'éveillera, avait écrit Alain Peyrefitte en 1973 et notre génération avait été marquée par ce livre. Elle s'est éveillée - le voyage du Président de la République nous l'a confirmé -, mais je voudrais attirer votre attention sur le fait suivant : la Chine, comme la Russie, n'est pas un État-nation. Il y a les Han majoritaires dans l'Empire du Milieu, mais ils ne sont pas les seuls : le Tibet demeure depuis 1959 une épine douloureuse dans le pied chinois, les Ouïghours et les minorités musulmanes constituent eux aussi un mélange explosif.

Et le xixe congrès du parti communiste chinois a démontré que la croissance économique trop rapide forgeait des déséquilibres sociaux préoccupants à terme. Les voisins immédiats de la Chine - la Corée du Nord, le Pakistan et l'Afghanistan - sont des détonateurs puissants pouvant à tout moment provoquer un conflit, nous le savons bien.

La tâche du Gouvernement au côté du Président de la République est immense. Je voudrais y apporter nos encouragements, et tout particulièrement à votre égard, monsieur le ministre, vous qui portez si haut, si clair, si fort la voix de la France et la voix de l'Europe, même si l'on n'est pas toujours d'accord avec vous.

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