Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je circonscrirai mon propos à la sécurité sanitaire du médicament, en évoquant certains aspects du fonctionnement de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
Je remercie M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales d'avoir souligné que le mode de financement actuel de l'Agence n'était pas satisfaisant, car il ne lui permettait pas d'être totalement indépendante de l'industrie pharmaceutique. Il reste en cela fidèle aux conclusions de la mission d'information qu'il présidait, ce dont je ne peux que me réjouir.
En effet, la subvention de l'État n'a cessé de décroître au fil des années et ne représente plus, en 2008, que 8 % du budget de l'Agence. Ce n'est même pas à la hauteur du coût des missions qu'elle doit mener à bien pour le compte de l'État.
Ce désengagement a pour conséquence un autofinancement de l'Agence, ce qui ne va pas sans risque. On peut en effet redouter que la recherche d'une augmentation des ressources par la multiplication des dossiers d'autorisations de mise sur le marché, les AMM, ne conduise l'AFSSAPS à en négliger les effets sur la santé des patients et ne nuise à la mise en oeuvre d'activités qui, quoique moins rentables, sont néanmoins nécessaires à la préservation de la sécurité sanitaire.
En ce qui concerne la transparence, je suis d'accord avec vous, monsieur Barbier, pour considérer que des progrès ont été accomplis. Il est vrai que l'AFSSAPS y était tenue par la loi puisque, enfin, la directive adoptée en 2003 par le Parlement européen a été transposée, en février dernier, dans le droit français.
Pourtant, si les publications des comptes rendus de la commission d'AMM sont à jour, ceux de la commission nationale de pharmacovigilance ne le sont pas. On n'en compte que trois pour 2007, dont le dernier remonte au 29 mai. Cette observation vaut aussi pour la commission chargée du contrôle de la publicité et de la diffusion de recommandations sur le bon usage des médicaments, qui se réunit en principe une fois par mois et pour laquelle seuls trois comptes rendus sont disponibles en ligne.
Ne vous en déplaise, monsieur Barbier, je ne suis pas du tout d'accord avec vous en ce qui concerne l'expertise. En effet, le contrôle des conflits d'intérêts des experts auxquels l'AFSSAPS fait appel n'est pas mieux assuré que par le passé. Certes, nous disposons cette année, annexé au rapport d'activité, d'un magnifique fascicule vert de 235 pages, presque luxueux, très bien présenté, dédié aux déclarations d'intérêts des membres des conseils, des commissions et des groupes de travail ayant siégé en 2006. Cependant, les données qu'il contient n'apportent pas de changement notable par rapport à la situation qu'a eu à connaître, en son temps, la mission sénatoriale que vous présidiez.
Pour un nombre d'experts référencés inchangés, à savoir 1 170, la part de ceux qui ont un lien d'intérêts est passée de 68 % à 73 %, tandis que la part de ceux qui sont en retard dans la mise à jour de leur déclaration est passée de 40 % à 35 % ; près de 10 % d'entre eux n'ont fait aucune déclaration. Et l'on peut regretter que les experts n'ayant aucun lien d'intérêts soient toujours aussi peu nombreux, soit 20 %.
Dès lors, il est permis de s'interroger sur l'attitude qu'a adoptée l'Agence face aux experts en infraction avec la loi sur les conflits d'intérêts, question à laquelle ne répond pas le directeur général de l'AFSSAPS dans son propos introductif au rapport.
Faut-il rappeler que, en cours de mandat, les déclarations doivent être actualisées, sur l'initiative des experts nommés, au moins une fois par an, et que l'Agence doit, en cas d'absence de dépôt de déclaration d'intérêts, suspendre provisoirement la participation aux travaux des commissions de l'expert défaillant ?
Il y a quelques raisons de craindre que l'AFSSAPS ne fasse pas respecter la loi et continue de s'adjoindre la collaboration d'experts qui n'ont pas actualisé leur déclaration d'intérêts ou, tout simplement, ne l'ont pas faite.
Ce laxisme ne peut pas ne pas avoir de conséquence sur le travail et les avis des commissions. Il ne peut que nourrir les suspicions qui pèsent sur l'indépendance de l'expertise à l'égard de l'industrie pharmaceutique et sur la rigueur scientifique des décisions prises par l'AFSSAPS.
La sécurité sanitaire en matière de médicaments n'est pas optimale, loin s'en faut. On estime en effet que 134 000 personnes sont hospitalisées chaque année à la suite d'un accident lié à la prise de médicaments. En 2003, le professeur Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé, écrivait ceci dans son livre Canicule : « Chaque année, en France, 18 000 personnes environ meurent de l'effet secondaire d'un médicament. » C'est considérable ! Un tel fléau mériterait, au même titre que d'autres, la mise en oeuvre d'un plan d'action, d'autant que 40 % à 60 % de ces accidents pourraient être évités.
Il est instructif, à cet égard, de consulter le bilan d'activité national de l'AFSSAPS depuis 1999, présenté dans son rapport d'activité pour 2006. On y constate que le nombre de médicaments retirés chaque année du marché non seulement est très faible, mais encore qu'il a tendance à décroître depuis 1999, alors que le nombre de notifications d'effets indésirables lors de la prise de médicaments ne fait qu'augmenter.
Ainsi, depuis 2002, le nombre de retraits est resté stable, en dépit d'une augmentation importante des notifications. Cela tend à démontrer que les mesures prises par l'AFSSAPS, qui découlent de ces notifications, sont inadaptées. Elles sont souvent timides et tardives. Il en va ainsi du retrait de spécialités à base de fluor, quatorze ans après les premiers signaux d'alerte. Il en va ainsi du retrait du Desuric, un médicament contre la goutte, huit ans après le signalement d'hépatites parfois mortelles.
Je pourrais multiplier les exemples ! Est-il compatible avec le principe de précaution que le Celebrex, médicament de la famille du Vioxx, dont on se souvient dans quelles conditions il fut retiré de la vente, soit encore commercialisé ? Est-il normal que de nombreux médicaments interdits pour des raisons sanitaires dans de nombreux pays européens ne le soient pas en France ?
La commission d'AMM de l'AFSSAPS prend très rarement l'initiative d'un retrait. Elle défend systématiquement le principe d'un meilleur encadrement de la prescription du médicament incriminé au lieu d'un retrait, alors que l'on sait que cette prescription est fortement influencée par les visiteurs médicaux et les revues financées par l'industrie pharmaceutique, dont la fonction est non pas de dispenser une information neutre et objective sur le médicament, mais d'en assurer la promotion. Et vous savez que, pour ce faire, l'industrie mobilise des crédits considérables : 3 milliards d'euros par an !