Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, longtemps taboue, la question des régimes spéciaux de retraite est aujourd'hui au centre du débat politique et social, grâce à la décision du Président de la République de mettre fin au statu quo sur ce sujet ultrasensible.
Lors du débat organisé au Sénat le 2 octobre dernier, la commission des affaires sociales a fait valoir les réflexions et les propositions que lui inspire ce dossier. La consultation du Parlement venait alors clore une première phase de concertation avec les organisations syndicales.
Une seconde phase de négociation a maintenant débuté entre l'État, les partenaires sociaux et les grandes entreprises publiques concernées. Pour autant, le Parlement ne peut rester passif au cours des prochaines semaines, et je saisis l'occasion de l'examen de cette mission budgétaire pour revenir sur le sujet.
Pour la troisième année consécutive, notre commission renouvelle ses demandes pour que la présentation générale et surtout les indicateurs de cette mission soient entièrement reconsidérés.
Certes, quelques progrès ont été accomplis récemment dans la mesure où le « bleu budgétaire » a été légèrement modifié : deux pages d'explications sur la SNCF et la RATP ont été ajoutées, dans lesquelles apparaissent l'âge moyen du départ à la retraite, le rapport entre la durée moyenne de cotisation et celle de la retraite des assurés sociaux, ainsi que le niveau des engagements de retraite.
Toutefois, les indicateurs de performance demeurent inchangés et restent exclusivement consacrés aux dépenses de gestion, soit entre 1 % et 3 % des dépenses, ce qui représente, vous en conviendrez, un intérêt très limité. J'en conclus qu'il reste encore beaucoup à faire pour améliorer l'information du Parlement !
C'est la raison pour laquelle, dans mon rapport écrit, je me suis efforcé de présenter de nombreuses données statistiques inédites qui illustrent la pertinence de nos demandes. Mais je maintiens qu'il convient d'améliorer la présentation de la mission.
Il faudrait, par exemple, connaître, dans chacun de ces régimes, la proportion de départs à la retraite des personnes en service actif et la répartition de ces départs par tranches d'âge, avant cinquante-cinq ans et entre cinquante-cinq et soixante ans.
Il faudrait également disposer de données sur la durée moyenne de perception et sur le montant moyen des pensions, ainsi que sur l'espérance de vie à soixante ans de ces assurés sociaux. On pourrait alors établir des comparaisons objectives avec les assurés sociaux des autres régimes, privés ou publics.
Je pense aussi à des éléments sur le niveau des engagements à long terme des sept principaux systèmes de retraite spéciaux, la décomposition entre les « droits de base » qui correspondent à ceux du secteur privé et les « avantages spécifiques » de ces régimes.
Je suis d'autant plus attaché à ces propositions que les informations sur les retraites des grandes entreprises publiques sont rarement publiées, ou très difficilement accessibles, y compris pour les commissions parlementaires.
Mais l'examen de cette mission interministérielle nous amène surtout à analyser la réforme des régimes spéciaux lancée par le Président de la République et mise en oeuvre en ce moment même par le ministre du travail.
La commission des affaires sociales, vous le savez, attendait cette réforme de longue date et la soutient avec détermination. Mon propos se limitera donc à trois aspects prioritaires.
Tout d'abord, nous devons non seulement faire prévaloir le principe d'équité entre les assurés sociaux pour quelques critères « clés » tels que la durée de cotisation, mais surtout limiter le coût des régimes spéciaux. Il faudrait, pour cela, réaliser un maximum de mesures d'économies par une mise en oeuvre rapide de la décote, accompagnée d'un relèvement de l'âge de cessation d'activité et d'une réduction des bonifications dont bénéficient les affiliés des régimes spéciaux.
Ensuite, nous plaidons aussi pour que l'on « arrime » solidement les grands régimes spéciaux à la réglementation de la fonction publique en matière de retraite, sans oublier pour autant que les règles du code des pensions civiles et militaires sont elles-mêmes fort coûteuses et devraient être remises à plat à court terme...
Enfin, s'il ne fait aucun doute que le processus de négociation en cours avec les organisations syndicales est indispensable, cette démarche comporte néanmoins des risques. Nous sommes préoccupés par les contreparties qui pourraient être accordées par les directions des grandes entreprises nationales et qui aboutiraient à vider la future réforme d'une partie de sa substance. Le seul sujet des avantages familiaux, par son fort potentiel de dépenses supplémentaires, représente une véritable « grenade dégoupillée » dont il convient de mesurer les conséquences.
Je pense aussi à la création de nouveaux avantages ayant pour objet de compenser strictement ceux qui ont été supprimés, ou à la mise en oeuvre de mécanismes de cessation précoce d'activité fondés sur une définition extensive de la notion de pénibilité.
Par leur importance, les thèmes renvoyés à la négociation d'entreprise sont susceptibles d'avoir un impact majeur sur l'équilibre financier de la réforme. Cela nous conduit à appeler l'ensemble des acteurs de la négociation à faire preuve d'une grande prudence.