Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 7 septembre 2010 à 16h00
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Discussion d'un projet de loi

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

… qui avaient refusé de constater la baisse des chiffres de la délinquance.

Mais le « ministère de la vérité » – je l’entends bien évidemment au sens du roman 1984 de George Orwell – aura eu raison des plus sceptiques.

Après neuf ans de hausse ininterrompue, la délinquance avait brusquement, ou miraculeusement, baissé de 1 %, et ce grâce à une « mobilisation accrue des policiers » et des gendarmes mais aussi « des entreprises de la sécurité privées » : on comprend maintenant mieux pourquoi elles deviennent de fidèles auxiliaires de la protection publique grâce à ce projet de loi.

Selon vous, il suffisait donc d’un simple surcroît de volonté politique, dont vous avez le secret, bien sûr, pour obtenir de meilleurs résultats que votre prédécesseur.

Mais cette baisse ne concernait en réalité que, d’une part, les infractions commises par de « petits voyous », comme vous vous plaisez à les appeler, à savoir celles qui sont liées aux voitures, aux deux-roues ou à leur dégradation et, d’autre part, la délinquance économique et financière, c'est-à-dire celle qui est commise par de grands voyous, comme vous refusez à les appeler, ceux mêmes que l’actualité nous conduirait légitimement à dénoncer.

Mais c’est toujours la petite délinquance que la droite préfère viser alors que, de l’autre côté du prisme, la délinquance en col blanc est soigneusement écartée des débats, confortée par la dépénalisation du droit des affaires.

La vérité est que, globalement, la délinquance n’a pas baissé. Les violences faites aux personnes ne cessent de croître – augmentation de 2, 8 % en 2009 –, les forces de police – auxquelles je rends hommage moi aussi – dénoncent publiquement la dictature du chiffre, qui les empêche d’accomplir leurs véritables missions, les juridictions françaises et européennes épinglent tour à tour notre procédure pénale en raison de la négation croissante des droits de la défense, en particulier dans le cadre du placement en garde à vue.

En témoigne d’ailleurs la récente décision du Conseil constitutionnel, rendue le 30 juillet dernier, qui vient abonder nos préoccupations en la matière, en pointant l’utilisation abusive de la procédure de la garde à vue de la part des autorités, sans garanties nécessaires pour le respect des droits de la défense.

En plus d’ouvrir la porte à de nombreuses dérives, la réponse systématiquement répressive donnée aux problèmes de sécurité est, on ne peut qu’objectivement le constater, un échec cuisant à tout point de vue.

Et pourtant, force est de le constater, vous insistez et vous persistez dans cette voie, en ajoutant à l’invraisemblable arsenal des lois votées depuis 2002 une énième loi de surenchère.

Malgré le ton et la philosophie martiale du texte qui souligne les menaces en tous genres pour justifier les mesures mises en place, police et gendarmerie n’échappent pas à l’arbitraire arithmétique de la RGPP.

Les deux précédentes lois avaient lancé l’offensive : 3 500 postes de gendarmerie supprimés d’ici à 2012, suppression de 4 829 équivalents temps plein dans la police au cours des trois ans à venir, sans oublier le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire 2009-2014 qui supprime encore plus de 50 000 postes.

C’est ainsi que le rapport que l’on nous demande d’adopter évoque les nécessaires « économies d’échelle » et autres « synergies » pour justifier le dégraissage des « emplois de soutien techniques et administratifs des deux forces ».

Ainsi que le soulignait le directeur de la police nationale, Frédéric Péchenard, lors de son audition à l’Assemblée nationale, la totalité des postes créés ultérieurement dans la police se voient détruits ou redéployés à l’orée de 2010.

À la bonne heure, la LOPPSI a trouvé des solutions pour pallier cette baisse drastique des effectifs. Elles sont toutes articulées autour d’une externalisation dramatique des pouvoirs de police, qui sont pourtant des compétences régaliennes par excellence.

La première consiste à faire du directeur de la police municipale d’une ville comptant plus de quarante agents un agent de police judiciaire. En plus des nombreuses compétences qui lui sont dévolues, ce que nous regrettons, il ne viendra cependant pas renforcer les chiffres de la garde à vue car il n’aura pas ce pouvoir…

Néanmoins, en ouvrant grand la porte du pénal à un fonctionnaire de l’administration territoriale qui, à la différence d’un policier ou d’un gendarme, n’a reçu aucune formation en la matière – ce que souligne d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue à propos de la garde à vue –, on peut s’interroger sur l’objectif visé.

La seconde « astuce » que vous avez trouvée est l’institution d’un corps de volontaires de la police nationale et d’un autre corps de civils affiliés à la police nationale, conformément au souhait exprimé à maintes reprises par Nicolas Sarkozy.

Si ces vœux devenaient concrets, sachez-le, ils auraient des relents tout à fait nauséabonds, qui devraient être impérativement dissipés. S’il s’agit effectivement d’un corps de citoyens mandatés pour effectuer les basses œuvres de la police nationale en faisant régner l’ordre sans habilitation, je suis désolée, mais il vaudrait mieux parler de milice !

Le flou du texte à ce sujet ne nous éclaire en rien sur les missions qui seront confiées à ces escadrons. Les lacunes de la politique sécuritaire du Gouvernement ne justifient pas d’en arriver à de telles extrémités et ne justifient pas non plus à ce jour – si on s’accorde en effet pour dire que le métier de policier n’est effectivement pas un métier comme les autres – d’octroyer des pouvoirs de police à de simples citoyens. Soit c’est un aveu de faiblesse, soit c’est une entreprise des plus condamnables.

Une autre mesure phare, qui a aussi trait à l’accélération de la suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux, est l’extension de la vidéosurveillance. En effet, je continuerai de la désigner ainsi, tant est dérisoire la tentative de jouer avec la sémantique pour ancrer dans les esprits le bien-fondé de la vidéosurveillance.

Si les mots ont effectivement encore un sens, la vidéosurveillance n’a rien de protecteur et ne peut en aucun cas être assimilée à une forme de protection. La plupart du temps, elle intervient seulement a posteriori, une fois que les infractions sont commises, pour en éclairer le déroulement ou éventuellement permettre l’identification des auteurs.

À l’aune du fiasco que constitue la vidéosurveillance outre-Manche – je ne m’étendrai pas sur le cas de Londres –, il nous paraît tout à fait exagéré de prétendre qu’il s’agirait d’une protection. Monsieur le ministre, tous les pays qui en ont fait l’expérience font état d’une inutilité de ces systèmes

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