En toute logique, il aurait fallu que les parlementaires disposent d’une évaluation précise du coût pour se rendre compte de l’absurdité de la chose en ces temps de vaches maigres. Prenons comme exemple la ville de Saint-Étienne, dotée de dispositifs de vidéosurveillance depuis 2001. Si on additionne les coûts d’installations, les coûts d’aménagement d’un centre de supervision, les coûts de maintenance – qui augmentent considérablement en cas de dégradation – et la masse salariale, cela coûte annuellement à la ville la modique somme de…1, 3 million d’euros pour un taux d’élucidation de 1 % des infractions. Ajoutons que la ville ne compte qu’une soixantaine de caméras… Alors 60 000 !
Outre l’absurdité complète de la chose, cette somme représente le traitement de nombreux fonctionnaires de police, mais vous n’en avez cure puisque vous êtes décidés à faire une guerre d’affichage à de vils délinquants présumés, en enrôlant les entreprises les mieux intentionnées pour la prévention de la terreur puisque celles-ci pourront installer des systèmes de vidéosurveillance, y compris sur la voie publique.
En renfort de l’extension des dispositifs du fichage et de vidéosurveillance de la population, vous ouvrez la possibilité du port du bracelet électronique à toute personne condamnée en état de récidive à une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans. Sans surprise, cette mesure concernerait aussi les étrangers assignés à résidence.
Je rappelle que la CNIL, en juillet dernier, a constaté que ce bracelet était également utilisé pour surveiller les salariés dans des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes.
La CNIL a également souligné l’insuffisance de protection des données personnelles et des dispositifs de sécurisation des données largement perfectible. Et voilà que vous voulez à présent l’étendre aux étrangers et à de nombreux ex-détenus. Conjugué à la mise en place de mouchards informatiques à distance sur des personnes présumées cybercriminelles, vous l’avouerez, cela fait beaucoup !
L’installation des mouchards sera contrôlée par le juge d’instruction, qui est indépendant de l’exécutif. Or, de toute évidence, vous voulez vous séparer des juges d’instruction. En ce cas, c’est le procureur de la République, qui, lui, dépend du parquet, qui prendra le relais. Ce serait un beau tour de passe-passe si la manœuvre n’était pas si grossière.
C’est donc à coup de caméras, de bracelets électroniques, de Taser ou autres armes à « létalité réduite », et de fichage massif de la population que le Gouvernement entend rasséréner la France.
En plus de l’atteinte disproportionnée à la vie privée que ce dispositif de fichage amplifié constitue, vous n’êtes pas sans le savoir, monsieur le ministre, l’utilisation de fichiers d’antécédents à des fins administratives peut avoir des conséquences irrémédiables, notamment sur l’emploi des personnes qui y figurent, souvent à tort, car maintenues malgré une décision d’acquittement ou de relaxe.
Les délais d’exercice du contrôle par l’autorité judiciaire, qui interviendra nécessairement a posteriori, ne permettront pas d’éviter les dérives occasionnées par des mentions injustifiées. Autre bizarrerie, le procureur de la République assisté d’un magistrat pourra prendre une décision de maintien dans les fichiers des données relatives aux personnes relaxées ou acquittées. Sachant que les logiciels de rapprochement judiciaire autorisent les services de police à ficher les données personnelles de toute personne visée par une enquête, cela peut faire beaucoup de monde...
Vous contrevenez donc délibérément à deux principes essentiels : la présomption d’innocence et la séparation des pouvoirs.
D’abord, aux termes de l’article 66 de la Constitution, c’est l’autorité judiciaire qui est reconnue comme la gardienne des libertés individuelles.
Ensuite, je rappelle, car cela semble nécessaire, qu’en vertu de la présomption d’innocence un individu est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.
Mais cela ne constitue pas l’essentiel des innovations de la droite en matière d’indépendance de la justice.
Après la révision de la carte judiciaire, qui s’est aussi faite à coup de « rationalisation », autre terme à la mode du verbiage néolibéral, et qui avait déjà commencé à dépecer le service public de la justice, vous préconisez à présent la généralisation de la visioconférence. Et vous n’en êtes pas à votre première tentative.