Intervention de Yann Gaillard

Réunion du 12 octobre 2005 à 21h45
Règlement définitif du budget de 2004 — Débat sur les crédits du ministère de la culture et de la communication

Photo de Yann GaillardYann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Je ne vais pas reprendre les propos tenus par tous les orateurs qui se sont exprimés sur cette loi de règlement et sur la novation importante, voulue par le président de la commission des finances, qui consiste à prendre en compte l'importance de la loi de règlement au sein de la discussion budgétaire en anticipant l'application de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances. En cela, Sénat prend une sorte « d'avance à l'allumage » par rapport à l'Assemblée nationale, qui en est restée à la méthode traditionnelle.

Le ministre de la culture, comme deux de ses collègues, a accepté de participer à cette nouvelle expérience et je l'en remercie vivement, sachant que l'exercice n'est facile ni pour lui ni pour nous.

Mon propos s'articulera autour de deux axes : premièrement, je traiterai des difficultés qui, à la lecture de la loi de règlement, ont affecté le budget du ministère de la culture en 2004 ; deuxièmement, je porterai une sorte de jugement global sur l'attitude du ministère de la culture vis-à-vis de la LOLF. Si la première partie comportera quelques épines, la seconde ne sera que douceur et confiture... (Sourires.)

L'exécution du budget 2004 du ministère de la culture s'est caractérisée par trois crises : le financement du patrimoine monumental, ce que l'on appeler le « krach financier » de l'Institut national des recherches archéologiques préventives, l'INRAP, et la crise des intermittents, qui n'a d'ailleurs que peu de conséquences budgétaires directes.

Ces trois crises ont eu des répercussions financières inégales, mais elles témoignent toutes d'un certain décalage entre l'autorisation donnée par le Parlement en loi de finances initiale et la gestion des crédits en cours d'année budgétaire. La loi de règlement démontre d'ailleurs ici toute son utilité : il s'agit d'étudier plus précisément la portée de ce décalage, qui en l'occurrence n'est d'ailleurs pas le fait du seul ministère de la culture, car il tient également un peu aux circonstances.

La crise du patrimoine monumental permet de mettre en relief l'importance d'un débat politique sur la loi de règlement.

L'année 2004 a été marquée par une crise de paiement dans le secteur du patrimoine monumental, qui a ému les élus locaux comme les parlementaires et qui reste malheureusement, cette année encore, d'actualité.

Le ministère de la culture s'est longtemps vu reprocher, que ce soit au travers du rapport de M. Rémi Labrusse ou par moi-même dans mes fonctions de rapporteur spécial, l'insuffisance des taux de consommation des crédits des titres V et VI de son budget destinés au patrimoine monumental et l'importance des reports de crédits.

Sous la pression de la représentation nationale - il faut bien le dire -, il a engagé une action de sincérité budgétaire, qui remonte d'ailleurs aux prédécesseurs de M. Donnedieu de Vabres, en réduisant les crédits qu'il demandait au titre du patrimoine afin qu'ils correspondent à sa capacité de consommation.

Le ministère a été, en quelque sorte, victime de son succès en la matière et, compte tenu des efforts accomplis dans les conservations régionales des monuments historiques, les dotations pour 2004 en crédits de paiement se sont révélées insuffisantes, au point de déboucher sur des crises de paiement dans de nombreuses régions et sur l'arrêt des travaux entrepris.

Les impayés du ministère de la culture dans ce domaine s'élevaient à 70 millions d'euros le 1er juillet 2004. Un redéploiement à hauteur de 20 millions d'euros des crédits de l'administration centrale vers les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, a été décidé à l'automne 2004 pour pallier les conséquences les plus graves de ce manque de crédits.

Cet effort n'a cependant pas permis de régler la situation et, en loi de finances rectificative pour 2004, une ouverture de crédits de près de 31 millions d'euros a dû être demandée. Les 70 millions d'euros impayés n'ont ainsi été couverts qu'à hauteur de 20 millions d'euros plus 31 millions d'euros, soit de 51 millions d'euros. Il restait donc un report de charges de 19 millions d'euros.

Examinons plus précisément les dotations du chapitre budgétaire 56-20, « Patrimoine monumental », pour l'exécution de 2004.

La dotation prévue par la loi de finances pour 2005 s'élevait à 122 millions d'euros, et l'on constate, en fin de course, que le total net des crédits de ce chapitre en 2004 s'est élevé à 301, 8 millions d'euros. Cela signifie donc que l'autorisation parlementaire n'a porté que sur 40, 5 %, soit moins de la moitié, des crédits de ce chapitre.

Comment expliquer le décalage entre la dotation initiale votée et les dépenses nettes ? Les 31 millions d'euros votés en loi de finances rectificative pour 2004, que j'évoquais précédemment, n'y suffisent pas. Il faut y ajouter 3, 6 millions d'euros de transferts de crédits en répartition; des reports de crédits de la gestion précédente, à hauteur de 80, 5 millions d'euros, et un abondement en fonds de concours de 64, 6 millions d'euros.

L'importance des reports de crédits est un héritage long à expurger mais dont nous avons déjà longuement discuté. En revanche, le montant des fonds de concours est édifiant : il représente près de la moitié de la dotation votée par le Parlement et nous montre - ce que nous savions déjà par notre expérience sur le terrain - que, lorsque le ministère de la culture finance à hauteur de 2 millions d'euros la restauration d'un monument, les collectivités locales renforcent cette action et apportent une contribution de 1 million d'euros.

Il me semble essentiel que la LOLF prévoie dorénavant l'inscription des fonds de concours en loi de finances initiale : l'information du Parlement s'en trouvera complétée et la sincérité du budget accrue.

Si l'on se réfère maintenant aux dépenses nettes du chapitre budgétaire 56-20, on constate qu'elles sont plus de deux fois supérieures à la dotation initiale votée par le Parlement et qu'elles atteignent 262, 9 millions d'euros. La différence entre le montant total des crédits et les dépenses nettes correspond aux reports de crédits à la gestion suivante, soit 38, 85 millions d'euros.

Notons au passage que le ministère, fidèle aux engagements pris, réduit peu à peu le montant des reports de crédits et le « matelas » des réserves de crédits non consommés accumulés au cours des années, puisque le montant des reports de 2003 attribués à l'année 2004 est deux fois moindre que celui qui a été constaté en 2004 pour l'année 2005. Cet effort doit être salué, car il est conforme à l'esprit de la LOLF visant à limiter les reports de crédits d'une année sur l'autre.

Une question s'impose toutefois : comment expliquer un tel montant de reports de crédits alors que les travaux ont été arrêtés en 2004, que des factures sont restées impayées et que les responsables des entreprises du groupe des monuments historiques, le GMH, ont attiré mon attention sur les risques de faillite et de suppressions d'emplois - notamment d'emplois de compagnons, véritables trésors vivants - liés à la réduction du nombre et du montant des marchés, estimant que 100 millions d'euros supplémentaires étaient nécessaires pour garantir la bonne santé économique de ce secteur ?

Ces 100 millions d'euros correspondent à peu près aux dotations en capital pour les investissements patrimoniaux que M. le ministre a obtenus dans le cadre de l'affectation spéciale des cessions d'actifs, c'est-à-dire des privatisations. Y a-t-il correspondance point par point ? J'en doute ! Quoi qu'il en soit, le Sénat observera certainement avec beaucoup d'attention l'affectation de ces 100 millions d'euros miraculeux.

Aujourd'hui, le Parlement ne peut prendre la mesure de l'ampleur de la crise que connaît le patrimoine monumental. Qui faut-il croire ? Les services, qui assurent qu'il n'y a pas de factures impayées à ce jour ? Les conservateurs régionaux des monuments historiques, qui arrêtent les travaux dès juillet faute de crédits ? Les entreprises spécialisées, qui tirent la sonnette d'alarme peut-être exagérément ?

Qui est aujourd'hui capable de dire avec précision le montant des crédits alloués en 2005 au patrimoine monumental ? En tant que rapporteur spécial, je ne peux que faire preuve de prudence dans ce domaine, car je suis conscient du caractère limité des informations que donnent les documents budgétaires de « l'avant-LOLF ».

Venons-en au deuxième « krach », celui de l'Institut national des recherches archéologiques préventives, l'INRAP.

Le déficit cumulé de l'INRAP atteignait 39 millions d'euros en 2003. En 2004, alors qu'aucune dotation initiale n'était prévue par la loi de finances, le solde des déficits antérieurs, soit 11, 5 millions d'euros, a dû être couvert par le redéploiement de 3, 3 millions d'euros pris sur le chapitre 36-60, « Subventions aux établissements nationaux », et par l'ouverture de 8, 2 millions d'euros en loi de finances rectificative pour 2004.

L'INRAP, pour des raisons que j'ai détaillées dans mon récent rapport d'information intitulé Pour une politique volontariste de l'archéologie préventive, a encore connu un déficit de 12, 3 millions d'euros en 2004. Comme le note la Cour des comptes dans son rapport annexé à la loi de règlement, le ministère de la culture a donc dû lui verser près de 25 millions d'euros, soit environ 1 % de son budget, alors que le Parlement n'avait voté aucun crédit pour subventionner ainsi cet établissement public.

Ce montant de 25 millions d'euros correspond aux mesures nouvelles votées en loi de finances pour 2004 pour les chapitres budgétaires 43-20, « Interventions d'intérêt national », 43-30, « Interventions déconcentrées », et 43-92, « Achats d'oeuvres et commandes aux artistes ». Il faut donc croire que certains sacrifices ont été consentis en compensation.

Je souhaite que M. le ministre de la culture puisse nous dire quels sont les projets qui, inscrits sur ces chapitres, n'ont ainsi pas pu être financés.

Notons que la crise qu'a subie l'INRAP en 2004 s'explique en partie par la modification de la redevance d'archéologie préventive prévue par l'article 17 de la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 pour le soutien à la consommation et à l'investissement, qui a certes permis de résoudre les cas aberrants en supprimant l'unité foncière, mais qui a aussi réduit l'assiette de cette redevance et qui a entraîné un retard conséquent de perception en permettant aux redevables de choisir jusqu'au 3l décembre 2004 entre la redevance 2003 et sa version réformée de 2004. A cela, il convient d'ajouter des problèmes de recouvrement dans les directions régionales des affaires culturelles ainsi que dans les trésoreries générales.

Le ministère de la culture a pleinement conscience des difficultés de l'INRAP, et le directeur de l'architecture et du patrimoine a pris des engagements vis-à-vis de la commission des finances et de son rapporteur spécial, dont le plus important est sans doute la mise en oeuvre d'une politique volontariste de l'archéologie préventive. Cette politique devra être fondée sur des critères scientifiques validés par le Conseil national de la recherche archéologique, qui est présidé par le ministre de la culture, et par les commissions interrégionales.

« La recherche archéologique ne présente un intérêt par rapport à la préservation des vestiges archéologiques que si elle permet de valider ou d'infirmer une hypothèse technique ou scientifique nouvelle. L'archéologie doit donc être définie et non réalisée au coup par coup à l'occasion de chaque nouveau chantier. » Ce n'est pas moi qui le dit, mais le directeur de l'architecture et du patrimoine.

Je suis par ailleurs convaincu qu'une audition de suivi du contrôle budgétaire devra être organisée au premier trimestre de 2006, sur le modèle de celles qui ont déjà été réalisées au premier semestre de 2005, afin de maintenir une utile attention sur un dossier complexe.

J'évoquerai enfin rapidement la troisième grande crise qui a caractérisé l'année 2004, car elle n'a pratiquement pas eu de conséquence sur le budget du ministère de la culture, celle des intermittents du spectacle.

La crise consécutive à la réforme du régime d'indemnisation du chômage des intermittents du spectacle avait durement frappé les festivals. Le ministre a réagi avec maestria, et la prise en charge des congés maladie et des congés maternité des intermittents ainsi que la création du fonds spécifique provisoire ont occupé une part importante des débats sur les crédits du ministère de la culture lors de l'examen de la loi de finances pour 2004.

Ce sujet est essentiel pour l'avenir du spectacle vivant en France, mais il convient de rappeler que ses répercussions sur les crédits du ministère de la culture sont limitées. En effet, tout cela passe par des avances périodiques qui sont versées par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

J'en viens au deuxième point de mon intervention pour faire l'éloge de la façon dont les fonctionnaires du ministère de la culture ont pris en main le dossier de la LOLF. Le budget de la mission « Culture » est ainsi structuré en trois grands chapitres : patrimoine, création et transmission des savoirs et démocratisation de la culture.

Les remarques de la commission des finances sur la définition des programmes, sur la nécessaire adaptation des structures du ministère aux programmes et sur l'amélioration de certains indicateurs ont été entendues, et je m'en félicite. Certaines directions du ministère ont d'ores et déjà été réformées dans ce sens et l'articulation des différents objectifs entre eux, comme l'adaptation des indicateurs, sont bien avancées.

Enfin, il convient de noter que, dès 2004, sur le plan régional, le ministère de la culture a conduit - avec succès semble-t-il - des expérimentations de fongibilité des crédits qui sont tout à fait dans l'esprit de la LOLF.

Vous semblez bien placé, monsieur le ministre, pour tirer les bénéfices de la LOLF, notamment en ce qui concerne la fongibilité des dépenses de personnel au sein du titre II.

Enfin, la mise en oeuvre anticipée de la LOLF était l'occasion de poser sans tabou la question de l'organisation optimale des services déconcentrés en région et je suis, pour ma part, favorable au rattachement des services départementaux de l'architecture et du patrimoine aux régions. De ce point de vue, vos services et vous même avez bien travaillé, même si vous avez été confrontés à des problèmes que vous n'aviez pas la capacité de régler immédiatement.

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