Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote relatif au budget exécuté a toujours connu un certain désintérêt, car il était considéré comme une formalité annuelle.
La LOLF crée les conditions d'une revalorisation importante de la loi de règlement. La commission des finances du Sénat a souhaité, dès l'examen du projet de loi portant règlement définitif du budget de 2004, prendre le temps d'évoquer la situation de trois ministères. Je salue cette démarche engagée par le président de la commission des finances, Jean Arthuis.
Il m'a semblé utile de saisir cette opportunité pour évoquer, à mon tour, la question de la sincérité du budget de la culture.
Yann Gaillard a rappelé l'historique de ce budget. Auparavant, le ministère de la culture avait la tentation d'inscrire à son budget des crédits plus importants qu'il ne pouvait consommer, s'agissant notamment de la restauration du patrimoine. On a alors observé un phénomène de dégradation du taux de consommation des crédits d'investissement et un report de ceux-ci.
Depuis 2003, date à laquelle le ministère a lancé une « opération vérité » sur les crédits de paiement qui n'étaient pas immédiatement nécessaires, le phénomène inverse s'est produit, avec une certaine tension sur les crédits, dans un contexte où leur annulation constitue désormais le principal outil de régulation budgétaire.
Le budget de 2004, nous en convenons tous, présente un point d'équilibre par rapport à ces deux tendances. On ne peut pas en dire autant de l'année 2005, au cours de laquelle il semblerait, sans qu'il soit possible de chiffrer précisément la tendance, que d'importantes annulations de crédits ou des redéploiements de crédits soient intervenus.
Sur le terrain, en Alsace comme dans toutes les autres régions, les annulations de commandes se sont multipliées, de nombreux chantiers ont été annulés, les directions régionales des affaires culturelles ont supprimé des programmes.
Le tarissement des crédits concerne au premier chef la programmation des travaux de restauration de monuments historiques classés dont l'Etat assure la maîtrise d'ouvrage ; vous l'avez d'ailleurs évoqué vous-même tout à l'heure, monsieur le ministre. Mais ces travaux n'ont pas été les seuls touchés.
Les crédits de soutien à la création, secteur qui vous est cher, monsieur le ministre, et à la diffusion de spectacles vivants, ainsi que les importants crédits de soutien consacrés à l'éducation artistique sont également affectés.
Vous le savez, monsieur le ministre, en Alsace, la DRAC a fait une croix sur des crédits d'un montant de 440 000 euros, dont certains étaient destinés à abonder le budget de fonctionnement du Conservatoire national de région de Strasbourg, celui de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, celui de l'Ecole supérieure des arts décoratifs, et à faciliter un certain nombre d'expositions et manifestations organisées par les musées ou les bibliothèques. Il s'agit d'un véritable problème pour ces structures, ces annulations intervenant à un moment où elles ont très largement engagé les dépenses nécessaires. Ces annulations ou redéploiements de crédits posent une question importante non seulement sur le fond, mais également sur la forme.
Pour ce qui est de la forme, le Parlement est trop souvent réduit à constater a posteriori l'appréciation du Gouvernement dans la mise en oeuvre des dépenses. Bien sûr, la loi de finances ne crée pas une obligation de dépenser. On peut même souligner que la LOLF renforce les marges de manoeuvre des responsables de programme - les vôtres aussi, monsieur le ministre -, responsables qui peuvent désormais redéployer leurs crédits.
Toutefois, nous pouvons également nous interroger sur les moyens de mieux concilier l'efficacité de la gestion publique et les prérogatives parlementaires.
Nous le savons, les annulations de crédits sont devenues une pratique régulière de réajustement en cours d'exécution. Si l'on peut comprendre le souci de régulation budgétaire, on peut aussi s'interroger sur les effets négatifs du procédé au regard même du principe d'efficacité de la gestion publique : incertitude des services quant à la disponibilité des crédits votés, phénomène de report de charges sur l'exercice suivant, segmentation des engagements de crédits. C'est finalement une gestion à court terme qui est conduite, un pilotage à vue en quelque sorte, alors même que les projets que les crédits sont censés financer concernent souvent plusieurs exercices budgétaires. Or c'est bien une vision à long terme qui devrait être privilégiée.
Je veux insister sur cette réelle difficulté que nous vivons très concrètement. Il est tout à fait inhabituel de changer de règles en milieu d'exercice. En effet, des institutions importantes ou des structures culturelles ayant établi leur programmation en fonction d'un budget prévu et annoncé en début d'année ne sont pas en mesure de procéder instantanément aux ajustements nécessaires.
Pour l'anecdote, monsieur le ministre, on me demande de supprimer deux contrebasses au sein de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, qui en compte normalement huit, le nombre des musiciens étant la seule variable d'ajustement dont nous disposons !
S'agissant du programme patrimonial, je veux, à mon tour, souligner les incidences des arbitrages non seulement pour les monuments eux-mêmes, dont l'état est, nous le savons tous, préoccupant, mais également pour les entreprises spécialisées, au savoir-faire reconnu et à la main-d'oeuvre très qualifiée, mais qui sont confrontées à de vraies difficultés.
Les collectivités locales, de leur côté, n'ont pas hésité à engager d'importants moyens dans la restauration du patrimoine. Ainsi, aujourd'hui, la ville de Strasbourg, par le biais d'une fondation historique qui a huit siècles, investit plus que l'Etat en faveur de sa cathédrale, alors même que ce bâtiment hautement symbolique est la propriété de l'Etat. Pour moi, c'est une source de fierté, mais aussi d'inquiétude.
Les collectivités ont trop souvent l'impression que l'Etat se désengage ; elles s'inquiètent du fait que l'Etat leur restitue la maîtrise d'ouvrage des travaux de conservation alors qu'elles n'ont pas toujours les compétences techniques et humaines pour l'assumer.
S'agissant du développement économique, on ne soulignera jamais assez à quel point la richesse de notre patrimoine historique et culturel contribue à faire de la France et de ses régions la première destination touristique au monde.
Nous connaissons bien les problèmes auxquels se heurte la politique de restauration du patrimoine : l'insuffisance chronique des crédits et la priorité trop souvent accordée aux constructions nouvelles de prestige se traduisent par une dégradation accélérée des monuments historiques laquelle engendre des charges croissantes au titre de restaurations ultérieures.
La Cour des comptes dans son rapport relatif à l'exécution du budget de 2004 souligne une fois encore cet état de fait récurrent. Mon collègue Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, a évoqué tout à l'heure, au sein même de l'action « patrimoine », le problème du financement de l'INRAP, l'Institut national de recherches archéologiques préventives, qui prend une place de plus en plus importante dans les budgets. Monsieur le ministre, vous pourriez peut-être préciser quelles sont vos perspectives en la matière et quel est notamment l'impact de la loi de 2004 modifiant le régime de la redevance d'archéologie préventive.
Enfin, je vous rappelle pour mémoire, mes chers collègues, que le projet de loi de finances pour 2006 contient une mesure très sensible, à savoir le plafonnement global à 8 000 euros par foyer des économies d'impôts générées par les différents dispositifs existants.
Cette mesure risque de neutraliser fortement le dispositif Malraux, qui constitue aujourd'hui le principal outil de valorisation du logement en secteur sauvegardé et en zone de protection du patrimoine architectural urbain et paysager, ou ZPPAUP. Il est important que nous en débattions.
Puisque je cite Malraux, je propose que nous nous inspirions des grands plans quinquennaux qu'il a jadis déployés en faveur de la sauvegarde du patrimoine, à une époque où il s'agissait d'une grande cause d'intérêt national et où les Français se rassemblaient derrière leur téléviseur pour suivre avec passion une émission qui s'intitulait Chefs-d'oeuvre en péril.
Pour toutes ces raisons, je forme le voeu que l'ambition du Gouvernement pour la culture et le patrimoine nous permette de progresser ensemble sur les moyens qu'il convient de mettre en oeuvre pour mieux informer le Parlement. S'agissant de l'exécution de votre budget, monsieur le ministre, vous pouvez certainement nous donner des assurances à ce sujet.