L'article 3 comporte deux catégories de dispositions sur lesquelles nous sommes totalement en désaccord.
Tout d'abord, vous prolongez une nouvelle fois l'exception qui avait été consentie par la loi relative à la réduction du temps de travail en direction des entreprises de vingt salariés au plus et qui permettait un mode de calcul différent de celui qui a été retenu pour la durée du temps de travail afin de faire commencer le décompte des heures supplémentaires à l'issue d'une durée hebdomadaire de travail de trente-six heures.
Dans un premier temps, sur initiative parlementaire, vous avez prolongé ce régime d'exception jusqu'en 2006. Vous décidez maintenant une nouvelle prolongation jusqu'au 31 décembre 2008.
Cela conduit à maintenir dans ces entreprises le nombre d'heures supplémentaires hors contingent et limite d'autant l'effet du repos compensateur.
Permettez-moi deux observations sur ce point.
Tout d'abord, le Conseil constitutionnel, saisi par les parlementaires de gauche, n'a validé la prolongation de cette exception qu'à la condition que la limite dans le temps soit fixée. Il sera intéressant de connaître son opinion sur cette nouvelle prolongation de trois ans ! Cela nous conduit, en effet, à un régime transitoire d'adaptation d'une durée de huit ans. C'est beaucoup !
N'êtes vous pas en train de sous-estimer les capacités d'adaptation et de réactivité de nos petites entreprises, capacités que vous vantez si souvent par ailleurs ?
C'est d'ailleurs ce qui a conduit le Premier ministre, assez flou au départ sur le délai de prolongation, à fixer une date limite.
Notre deuxième observation, c'est que cette prolongation ne fait pas l'unanimité dans les rangs de la majorité. Déjà, à l'Assemblé nationale, Hervé Morin a manifesté sa réticence et, au Sénat, nous allons examiner les amendements déposés par Michel Mercier et ses collègues centristes.
La seconde prolongation que vous nous proposez en direction des petites entreprises est celle de la majoration de 10 % des heures supplémentaires.
Cette mesure est en réalité très inquiétante si on la relie aux dispositions que vous avez introduites dans le code du travail avec la loi de 2003 portant réforme de l'organisation du temps de travail et qui s'appliquent à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Désormais, un accord collectif pourra fixer un taux de majoration de 10 %.
Devons nous dès lors considérer que ces 10 % sont appelés à se généraliser ? Ce serait d'ailleurs une manière de régler définitivement cette question de l'exception, tout simplement en encourageant sa généralisation.
Combiné avec l'affectation de la rémunération sur un compte épargne-temps, la question de la majoration des heures supplémentaires sera donc rapidement réglée.
La deuxième série de dispositions contenues dans cet article 3 concerne également les entreprises de vingt salariés au plus. Elle vise à contourner le fait que les comptes épargne-temps sont encore une rareté dans les petites entreprises, faute des moyens de les mettre en place et faute également de représentants du personnel qui pourraient éventuellement signer des accords collectifs.
Il est vrai aussi, comme nous avons eu l'occasion de l'indiquer, que la formule du compte-épargne temps, surtout avec la transformation radicale que vous réalisez, ne saurait provoquer l'enthousiasme des salariés. Heureusement pour les institutions financières et de prévoyance que les employeurs en auront désormais la maîtrise et décideront souverainement d'y affecter la rémunération des heures supplémentaires !
Mais la rédaction que vous défendez va juridiquement très loin, monsieur le ministre, et vous ne pouvez l'ignorer, puisque vous avez forcément connaissance de la législation du travail de nos voisins. Avec ce texte, vous introduisez en droit français la dérogation individuelle par un prétendu accord entre l'employeur et le salarié.
C'est une dérogation non seulement à l'accord collectif, mais aussi à la loi, puisque vous citez expressément les articles du code du travail auxquels un tel accord pourra déroger.
Bien entendu, cette dérogation individuelle ne sera pas dans l'intérêt du salarié. Dans les faits, c'est une évidence quand on voit le temps de travail qui pourra être effectué, la majoration de 10 % et l'absence d'imputation sur le contingent d'heures supplémentaires, donc l'absence de repos compensateur. C'est tout simplement inadmissible !
Mais c'est juridiquement aussi que se pose le problème. C'est une question de principe : quel que soit le sujet, il est absolument scandaleux qu'un ministre du Gouvernement de la République vienne devant le Parlement proposer un tel déni de droit, à savoir une dérogation individuelle à des dispositions légales d'ordre public social.
C'est une véritable révolution par rapport à la philosophie qui sous-tendait jusqu'à ce jour notre droit du travail.
C'est une attaque frontale, non plus seulement contre la hiérarchie des normes en matière sociale, mais contre l'existence même de dispositions générales, pas seulement conventionnelles mais légales.
C'est l'expression la plus aboutie de la volonté du MEDEF et des autres organisations patronales en France et en Europe de voir détruire les fondements du droit du travail.