Avec le paragraphe II de l'article 3, monsieur le ministre, vous faites entrer le droit du travail français dans une ère nouvelle.
Ainsi, dans une entreprise de vingt salariés au plus, et dans l'attente d'un accord mettant en place un compte épargne-temps, le salarié pourra, en accord avec le chef d'entreprise, décider de renoncer à des jours ou à des demi-journées de repos prévus dans le cadre d'un accord de réduction du temps de travail.
Cette disposition sera valable également pour les salariés dont le temps de travail est fixé en forfait horaire ou en forfait jours : dix journées ou soixante-dix heures pourront ainsi être travaillées, toujours pour une majoration de 10 %, sans que ces heures s'imputent sur le contingent d'heures supplémentaires.
Par cette formule, vous mettez fin aux 35 heures dans les petites entreprises où a été mis en place un accord de réduction du temps de travail, et ce alors que ces entreprises pouvaient bénéficier d'un régime transitoire.
Il est vrai que, dans ces entreprises, la carence en représentants du personnel a conduit à ce qu'il soit précisé dans la loi relative à la réduction du temps de travail que les accords de branche sont d'application directe.
Mais cette absence de représentants du personnel, si appréciée des employeurs les plus rétifs au dialogue, se retourne aujourd'hui contre eux, puisqu'elle les empêche de mettre en place sans tarder le compte épargne-temps.
Nous avons déjà dit tout le bien que nous pensons du compte épargne-temps revu et corrigé par les tenants de l'ultralibéralisme : c'est une formidable escroquerie à l'encontre des salariés, dont la rémunération pourra prendre un caractère virtuel, et un crédit gratuit consenti à l'employeur, doublé d'exonérations fiscales et sociales !
Il faut donc, en attendant que les employeurs de ces petites entreprises puissent aussi bénéficier de la manne du compte épargne-temps, mettre en place un système qui leur permette de faire réaliser par les salariés des heures supplémentaires choisies, l'équivalent des heures choisies créées par l'article 2 de la proposition de loi.
Car, nous y insistons, il s'agit bien d'heures supplémentaires : le temps légal, qui est aussi en l'espèce le temps conventionnel, est de 35 heures.
Les salariés qui renoncent à des heures ou à des jours de repos effectuent des heures supplémentaires. Vous le reconnaissez d'ailleurs, monsieur le ministre, en prévoyant un droit à majoration, fût-il de 10 %. Mais votre volonté d'abroger sans le dire ouvertement la loi de réduction du temps de travail vous conduit à refuser l'imputation sur le contingent d'heures supplémentaires.
Dans ces petites entreprises, donc, pas d'accord possible, sauf à voir apparaître un représentant du personnel, même sous la forme d'un salarié mandaté pour la circonstance !
Selon votre rhétorique, ce sont là des complications, des pertes de temps, que dis-je, des entraves à la compétitivité qu'il faut à tout prix éviter !
La solution est venue de l'extérieur et vous permet de faire « d'une pierre deux coups », si j'ose dire. Vous résolvez le problème pratique immédiat : un accord direct employeur-salarié va permettre de réaliser ces heures supplémentaires. Vous employez en effet le même artifice juridique et de vocabulaire qu'à l'article 2 : le salarié est sensé aller demander à l'employeur la faveur de renoncer à ses jours de repos et de réaliser des heures supplémentaires, et l'employeur va se précipiter pour les lui accorder, surtout s'il n'a pas de travail à lui fournir !
Tout cela est un non-sens absolu et ne parvient pas à masquer un retour autoritaire aux quarante heures d'avant 1982. Vous introduisez la flexibilité à 10 % dans les petites entreprises, dont les salariés vont se voir obligés de renoncer à leurs jours de RTT et de réaliser des heures supplémentaires au gré de la volonté patronale, comme cela a toujours été le cas.
Mais, surtout, vous placez une redoutable innovation dans le droit du travail français : l'accord direct salarié-employeur, cet accord pouvant contredire un accord collectif.
Il ne s'agit même plus d'une modification de la hiérarchie des normes entre la loi et les accords collectifs, ou entre les accords collectifs de différents niveaux ; il s'agit de la suppression pure et simple de l'accord collectif, puisque l'objet de l'accord individuel est précisément de le rendre inopérant !
Nous ne manquerons pas de revenir sur la gravité de l'introduction d'une disposition totalement étrangère, et même contraire, à la philosophie de notre droit.
Dans l'immédiat, nous demandons la suppression de l'article 3.