Il ne s'agit pas de remettre en cause le droit de chacun à profiter de quelques années paisibles après une vie de labeur. Il convient d’être réaliste et cohérent devant l'écart grandissant entre la durée de la vie et la durée de l'activité professionnelle.
Certains de nos voisins européens ont fixé à soixante-cinq ans, voire à soixante-sept ans l'âge de départ à la retraite. La France se distingue déjà par la durée hebdomadaire de travail la plus courte. Aura-t-elle longtemps aussi la durée de la retraite la plus longue ? Les Français seraient-ils moins endurants, vivraient-ils moins vieux que les Allemands ou les Scandinaves ? J'en doute !
Cela dit, un tel choix suppose évidemment d’avancer préalablement sur l'emploi des seniors et la pénibilité au travail, objet de la présente discussion. En effet, toutes ces problématiques sont liées.
Or, avec un taux d'emploi des seniors de 39 %, contre 46 % en moyenne dans l'Union européenne, la France est à la traîne, et se situe en deçà des objectifs assignés par la stratégie de Lisbonne.
Durant des décennies, notre pays a exclu de l'emploi les salariés les plus âgés pour, soi-disant, laisser la place aux jeunes. Cette politique de partage du travail pouvait éventuellement se justifier il y a trente ans, compte tenu du contexte démographique et économique de l’époque, mais elle a laissé une culture délétère encore bien présente.
Le licenciement d'un senior est en effet trop souvent utilisé comme une préretraite déguisée, payée par l'assurance chômage. Il en résulte un échec sur tous les tableaux. Notre système de protection sociale est menacé, les entreprises se sont privées de salariés à l'expérience et aux compétences précieuses, le chômage des jeunes a continué de croître et les seniors n'ont souvent d'autre horizon qu'une retraite au rabais...
Le Gouvernement n'est certes pas resté inactif. Surcote plus incitative, assouplissement du cumul emploi-retraite, suppression des clauses « couperet » et des mises à la retraite d'office, ce sont là des mesures concrètes. De plus, vous avez souhaité mobiliser les entreprises afin qu’elles prennent leurs responsabilités. Ainsi, plus de 8 000 d’entre elles et quatre-vingts branches ont finalisé un accord ou un plan d'action en faveur du travail des plus de cinquante-cinq ans.
Soyons francs, nombre de ces systèmes ont été bâtis en urgence pour permettre aux entreprises d'échapper à la sanction financière applicable au 1er janvier. Il reste à démontrer qu'ils ne se limiteront pas à des déclarations d'intention mais auront, malgré un contexte défavorable, une réelle capacité à produire des résultats. Avez-vous, monsieur le ministre, des retours de l'enquête qualitative que vous avez lancée sur ce sujet ?
Quoi qu'il en soit, gardons-nous d'instaurer des quotas de seniors et de pénaliser les PME. D’ailleurs, le délai de trois mois accordé me paraît insuffisant pour leur permettre de régler ce problème.
Enfin, cette évolution attendue sur l'emploi des seniors ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la pénibilité au travail. Comment, en effet, maintenir un salarié âgé sur un poste de maintenance en chaudronnerie, un poste exposé aux intempéries ou supposant un port journalier de charges lourdes, comme dans le bâtiment et les travaux publics ?
La négociation interprofessionnelle sur la pénibilité, prévue par la réforme de 2003, s'est soldée par un échec. À vrai dire, cela ne m'étonne guère, car cette notion est difficile à appréhender tant les acceptions sont nombreuses et fragmentaires.
Qu’en est-il exactement ? S'agit-il d'un travail dangereux qui induit un risque professionnel particulier, d’un travail non dangereux source d’une fatigue préjudiciable à la santé ? S'agit-il d'une situation de travail dans laquelle l'intégrité physique ou mentale du travailleur serait altérée à plus ou moins longue échéance ?
Du fait de l'intensification des tâches, due notamment aux 35 heures, il faut bien le dire, mais aussi d'un management défaillant ou d'une organisation du travail inefficace, de nombreux salariés souffrent au travail. Le stress, le mal-être au travail seront-ils, demain, des critères de pénibilité ?
Le premier enjeu est donc bien de définir cette notion. C’est une tâche complexe, car la pénibilité met en jeu la perception par l’individu de son emploi. Le stress lié à de fortes contraintes de temps peut être bien vécu. De même, le travail de nuit peut être choisi. Il n'y a pas de correspondance évidente entre la pénibilité ressentie et la pénibilité effective.
En réalité, la définition de la pénibilité dépend de l'objectif visé. Si l’objectif est la prévention, tous les facteurs de risque ayant une incidence sur la santé des salariés doivent être pris en compte. Si l’objectif est la compensation, c’est le caractère durable, identifiable et irréversible des dégâts physiques ou psychiques qui ont pu intervenir pendant la durée du travail qu’il faut retenir. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que ce point a été abordé lors des négociations ? Quels ont été les facteurs de pénibilité retenus pour ouvrir le débat sur la compensation ?
Il s’agit là du deuxième enjeu et c’est sans doute celui qui cristallise les divergences.
Personnellement, je ne suis pas sûr de vouloir partager ces conceptions. La retraite anticipée peut se justifier pour certains cas, mais elle n'est pas la solution pour beaucoup d'autres. De surcroît, elle ne concerne pas les travailleurs non salariés, également susceptibles d’exercer des métiers pénibles : je pense en particulier aux agriculteurs.
Les personnes ayant acquis une certaine expérience peuvent travailler autrement. Il convient de ne pas négliger d'autres pistes, comme le reclassement, s'il est mis en œuvre avant que les effets sur la santé ne se manifestent ; le temps partiel peut également être une solution en fin de carrière.
Il faut aider les entreprises, notamment les PME, à mieux gérer les aspects les plus délétères du travail et à accompagner les carrières.
Ainsi, dans certains secteurs, les salariés pourraient être mis sur des postes « plus doux » dès l’âge de cinquante ans, comme cela se pratique en Europe du Nord. Il faut réfléchir aux incitations de carrière et cibler la formation professionnelle sur les transitions de carrière.
Oui, du point de vue de l’équité, on peut envisager des départs anticipés ou des retraites bonifiées pour ceux dont on sait qu’ils sont aujourd’hui prématurément usés. Mais cela ne doit pas devenir la règle. Pour l’avenir, l’accent doit être mis avant tout sur la prévention, par l’amélioration des contraintes techniques et des organisations du travail et sur la formation tout au long de la vie, qui est un élément capital pour envisager une seconde carrière ou un reclassement.