Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité débattre aujourd’hui de la question des retraites, qui est au croisement de trois enjeux fondamentaux pour notre société : le vieillissement de la population – c’est une chance pour chacun d’entre nous, mais aussi un véritable défi pour la pérennité financière de nos régimes ; le travail bien sûr, notamment la question de l’emploi des seniors ; enfin la solidarité et la justice, qui ont justifié notre effort en faveur des retraités les plus modestes et devront trouver un prolongement dans une meilleure prise en compte de la pénibilité.
J’ai conscience de l’ampleur du sujet, de son urgence et de son importance aux yeux des Français. Ce débat n’est d’ailleurs pas franco-français : tous nos voisins européens sont confrontés à cette question ; il s’agit même d’un enjeu mondial, le vieillissement de la population étant une réalité que chaque société a désormais l’obligation d’accompagner.
J’ai parlé d’urgence car la question du financement des retraites concerne directement la génération qui vient d’entrer dans la vie active et qui verra, année après année, s’accroître le poids de la charge qui pèse sur elle. Nous avons, à l’égard de cette génération, une lourde responsabilité, à laquelle nous nous sommes peut-être trop souvent dérobés. Il nous faut à présent y faire face en agissant, certes sur le déficit annuel, mais également sur la capacité du système à tenir ses engagements à long terme.
Vous connaissez les chiffres du Conseil d’orientation des retraites. Ils ont été rappelés par les différents orateurs et, il y a encore un instant, M. Nicolas About les mentionnait. Nous comptons aujourd’hui 1, 8 cotisant pour un retraité. Dans une dizaine d’années, nous passerons à 1, 5 cotisant pour un retraité et, en 2050, à 1, 2 cotisant pour un retraité. Or, dès aujourd’hui, avec un rapport de 1, 8 cotisant pour un retraité, une retraite sur dix n’est pas financée.
C’est conscient de cette urgence que le Président de la République a souhaité que nous engagions cette réforme dès 2010. En qualité de ministre du travail, des relations sociales, de la solidarité et de la ville, je suis chargé de préparer ce rendez-vous capital. J’attache naturellement une grande importance à cette mission, ainsi qu’à la réflexion que nous pourrons conduire ensemble.
Je m’y engage avec deux objectifs : sauvegarder notre système par répartition, la crise ayant montré à la fois son caractère irremplaçable pour nos concitoyens et la nécessité d’agir pour assurer sa pérennité ; veiller à l’équité, ce qui nous conduira à aborder sans faux-semblants la question, si souvent écartée, de la fonction publique. Le Président de la République l’a dit en juin dernier devant le Congrès, toutes les questions seront mises sur la table.
Cela est d’autant plus nécessaire que le régime des fonctionnaires connaît lui aussi une situation financière délicate, situation masquée par le mécanisme d’équilibrage automatique du compte d’affectation spéciale « Pensions ». En effet, le taux de cotisation de l’État-employeur est fixé de façon à en équilibrer toujours le solde : il est passé de 44 % en 2000 à 62 % aujourd’hui, chiffres qu’il faut comparer aux 16 % environ que paient les employeurs privés. Cette augmentation enregistrée depuis l’année 2000 représente un déficit « furtif » de près de 10 milliards d’euros, soit autant que celui du régime général.
Si nous n’agissons pas, c’est donc l’ensemble des contribuables qui continueront de supporter la dérive financière du régime de retraite des fonctionnaires.
La réforme des retraites doit nécessairement être une réforme globale, car on ne pourra demander des efforts seulement à certains et toujours aux mêmes. En se saisissant de cet enjeu national, le Gouvernement veut se montrer à la hauteur des efforts que certaines majorités, avant celle-ci, ont eu le courage d’entreprendre. Je pense naturellement au travail mené par le gouvernement d’Édouard Balladur en 1993, mais aussi à la réforme courageuse que François Fillon a portée en 2003 et aux avancées décisives réalisées par mon prédécesseur Xavier Bertrand sur la question des régimes spéciaux. Tous ont cherché à concilier deux logiques qui sont, aujourd’hui encore, les mots d’ordre : la responsabilité et l’équité.
Je regrette d’ailleurs que le bon sens et le courage n’aient été par le passé que d’un seul côté. Il faut bien constater que sur un sujet qui devrait faire consensus, le bilan de l’actuelle opposition est inexistant.
J’ai parlé de bon sens, car personne n’échappera à cette évidence : si nous voulons sauvegarder le système des retraites par répartition, nous serons confrontés au choix de devoir allonger la durée de cotisation, diminuer le montant des pensions ou augmenter celui des cotisations.
Diminuer le montant des pensions – je le dis clairement, à l’instar de tous les orateurs – serait inacceptable. Quant à l’augmentation des cotisations, j’observe que nous avons déjà le niveau de cotisation le plus élevé d’Europe. Accroître la pression qui pèse sur les salariés serait le moyen le plus sûr de nuire à la compétitivité de notre économie, ainsi qu’au pouvoir d’achat des salariés.
Je le dis donc sans ambages : dans un pays dont l’espérance de vie s’accroît d’un trimestre chaque année, nous n’avons d’autre solution que de travailler plus longtemps.
Un principe fort a été posé lors de l’adoption de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, dite loi Fillon, celui d’un rapport de deux tiers pour un tiers entre la durée d’activité et la durée de retraite. C’est un équilibre sain qui peut guider notre réflexion.
Ce principe a déjà trouvé à s’appliquer avec le passage progressif à 41 annuités de cotisation à l’échéance de 2012.
Mais travailler plus longtemps, c’est aussi augmenter l’emploi des seniors. Les deux sujets sont bien liés, comme en témoigne, mesdames, messieurs les sénateurs, l’intitulé du débat que vous avez souhaité engager.
Je veux en finir avec cette exception française qui fait de nous le plus mauvais élève des pays européens en la matière, avec 39 % seulement de seniors en emploi, quand la moyenne de l’Union européenne est de 44, 7 % et quand l’objectif fixé par la stratégie de Lisbonne était d’atteindre 50 % en 2010. Ce n’est pas seulement un véritable gâchis humain ; c’est aussi une charge absurde pour nos finances publiques.
Je veux donc mettre un terme à cette injustice, qui conduit à évincer des salariés en raison de leur âge, alors que l’espérance de vie à 60 ans est de 22 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes. Au lieu de chercher par tous les moyens à diminuer le temps consacré à la vie active, je voudrais que nous misions sur les valeurs qui sont les nôtres, en particulier sur l’idée d’un travail qui crée de la richesse collective grâce à la mobilisation de toutes les compétences, celles des plus jeunes comme celles des plus âgés.
C’est la raison pour laquelle je poursuis, avec Laurent Wauquiez, le secrétaire d’État chargé de l’emploi, la politique volontariste du Gouvernement pour augmenter l’emploi des seniors, politique qui a déjà fait ses preuves.
Ainsi, le taux de la surcote a été porté à 5 % pour les années accomplies au-delà de 60 ans et du taux plein. Au premier trimestre de 2009, le taux de recours à la surcote a atteint 12, 5 %, soit une hausse de près de 50 % par rapport à l’année précédente.
Citons également la libéralisation totale du cumul emploi-retraite pour les salariés âgés de plus de 60 ans et bénéficiant du taux plein ou pour les salariés âgés de plus de 65 ans ; le report à 70 ans de l’âge limite des mises à la retraite d’office ; la suppression programmée de la dispense de recherche d’emploi, véritable trappe à inactivité pour les salariés les plus âgés, comme l’a signalé M. Dominique Leclerc.
Enfin, les entreprises de plus de 50 salariés sont tenues, à partir de cette année, d’être couvertes par un accord de branche ou d’entreprise relatif à l’emploi des seniors, faute de quoi une pénalité de 1 % de la masse salariale leur sera appliquée.
Cette obligation est entrée en vigueur et le succès de la démarche est d’ores et déjà au rendez-vous. Plus de 80 branches, représentant 12 millions de salariés, ont conclu ou sont sur le point de conclure un accord en faveur de l’emploi des seniors, alors que seules 4 branches avaient décliné le précédent accord national interprofessionnel relatif à l’emploi des seniors, datant du 9 mars 2006.
Plus important encore, le contenu de ces accords ne se borne pas à un respect formel des obligations posées par la loi, mais fait apparaître un certain nombre d’innovations, telles que l’augmentation de l’offre de formation dans les industries chimiques, la prévention de la pénibilité dans la grande distribution, le développement du tutorat dans la métallurgie ou la création d’un droit au temps partiel dans de nombreuses branches.
Pour travailler plus, il faut travailler mieux et travailler équitablement. C’est pourquoi, monsieur Fischer, il faut aussi poser, sans tabou, la question de la pénibilité.
Cette question doit être abordée avec précision et en distinguant deux éléments. S’agissant, d’une part, de ce qui relève de la prévention, c’est-à-dire de l’amélioration des conditions de travail, une action spécifique est menée par mon ministère, notamment dans le cadre du deuxième plan de santé au travail que je présenterai, vendredi matin, au Conseil d’orientation sur les conditions de travail. D’autre part, la question de la compensation suppose que l’on tienne compte de la pénibilité propre à certains secteurs particulièrement éprouvants. Il ne faut pas se tromper de combat.
Nos longues discussions avec les partenaires sociaux ont déjà permis des avancées sur cette question difficile et je suis déterminé à aller plus loin pour réfléchir, avec eux, aux meilleures réponses à apporter. Par ailleurs, comme l’a rappelé M. Gilbert Barbier, la cessation anticipée d’activité n’est pas nécessairement toujours la meilleure réponse possible.
Enfin, d’autres sujets seront évidemment abordés. Je pense notamment à la prise en charge de la dépendance, puisque, comme l’a souligné Mme la présidente de la commission, les questions du vieillissement et de la retraite sont liées.
Le Président de la République l’a dit lors de ses vœux du 31 décembre, le défi de la dépendance sera, dans les décennies à venir, l’un des problèmes les plus douloureux auxquels nos familles seront confrontées. Je salue à cet égard le travail très utile qui a déjà été réalisé par la mission d’information conjointe des commissions des affaires sociales et des finances de votre assemblée, conduite par les sénateurs Philippe Marini et Alain Vasselle.
L’objectif de la réforme que nous mettrons en œuvre sera de rendre effectif le principe du libre choix entre le maintien à domicile et le départ en maison de retraite, et nous devons, dans cette perspective, envisager toutes les réponses et toutes les pistes de financement possibles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat que nous avons sur ces sujets est au cœur de la réflexion sur l’avenir de notre démocratie sociale. Le Gouvernement ne négligera aucune piste afin de concilier la diversité des situations avec les impératifs de l’intérêt général. Naturellement, il sera aussi attentif à vos remarques et à vos propositions.