Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi de modernisation de l’économie avait été une véritable épreuve parlementaire pour tous les groupes politiques. Nous avions travaillé sérieusement, procédant à plus d’une centaine d’auditions sur plusieurs mois, sous la houlette du président de la commission spéciale, Gérard Larcher. Mais le texte a été débattu dans l’urgence, et dans des conditions difficiles. Alors que le projet de loi comptait, au départ, une trentaine d’articles, nous en avions, à l’arrivée, plus de cent vingt, de nature fort disparate.
Dix-huit mois nous séparent de ce vote et de l’entrée en vigueur des plus importantes dispositions de ce texte. Un premier bilan était indispensable. À cet égard, les travaux du groupe de travail d’évaluation de la LME ont été conduits, sous la direction de Mme Élisabeth Lamure, dans la sérénité nécessaire au contrôle parlementaire ; soyez-en, madame le rapporteur, très sincèrement et très chaleureusement remerciée.
Le rapport délivré est fidèle aux auditions qui ont été menées. Des recommandations importantes ont été faites, et c’est avec honnêteté que les dysfonctionnements de la LME y ont été consignés.
Ce travail d’évaluation, fait à la demande du groupe socialiste par notre collègue Nicole Bricq, est d’autant plus nécessaire que le premier bilan gouvernemental de la loi, datant de juillet dernier, manquait sérieusement de nuances.
Toutefois, le groupe socialiste n’a pas souhaité voter en faveur du rapport tant les objectifs initiaux de la loi, « créer des emplois et faire baisser les prix », ont manqué au rendez-vous.
Je tenais, quoi qu’il en soit, à remercier Mme Lamure de la manière dont elle a dirigé ce groupe de travail et à saluer le rapport qui en est résulté.
Les principaux objectifs de cette loi, générer de la croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat, n’ont donc pas été atteints. Cela ne constitue en rien une surprise pour nous : nous l’avions dit, répété, martelé !
En revanche, lors des débats, le groupe socialiste avait soutenu l’objectif de réduction des délais de paiement. C’est le point positif relevé à juste titre par notre rapporteur. Des difficultés liées à la compétitivité de nos entreprises demeurent en matière d’application des délais de paiement à l’international. Par ailleurs, l’application des accords dérogatoires temporaires peut parfois être fastidieuse. Il n’en demeure pas moins que, dans sa globalité, cette mesure était attendue et bien venue.
J’avais, à l’occasion de nos débats, évoqué la situation particulière des librairies et souligné l’inadaptation de cette mesure au monde de l’édition, en particulier, mais aussi à certains autres secteurs de l’économie. Le secteur du livre devrait prochainement bénéficier d’une mesure dérogatoire permanente, fidèle à l’esprit de l’exception culturelle française, et je m’en réjouis. Je m’interroge toutefois sur le sort des trente-sept autres branches professionnelles dont le régime dérogatoire est temporaire.
La dérogation permanente prévue pour le livre par la proposition de loi de M. Hervé Gaymard doit-elle relever de l’exception ? Pour Mme le rapporteur, « afin de ne pas nuire à la portée de la LME, aucune autre dérogation à la loi ne doit être accordée ». Je pense, au contraire, qu’il est important que la réglementation s’adapte aux spécificités des secteurs économiques, qui ne sont pas uniformes et nous examinerons avec attention l’analyse de la DGCCRF consacrée aux délais de paiement dans les secteurs concernés par l’accord dérogatoire.
Si, au regard de ce bilan d’étape, d’autres dérogations doivent être prolongées, il me semble qu’il serait néfaste de les écarter d’emblée, par pur esprit de système.
Le crédit interentreprises s’était fortement développé, se substituant pratiquement au crédit bancaire. Les sommes en jeu étaient considérables. Au moment de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, l’Observatoire des délais de paiement les chiffrait à 600 milliards d’euros, ce qui représentait un « mode de financement privé » à intérêt zéro dont le montant est égal à quatre fois celui qui est prodigué par les institutions bancaires.
Ces chiffres nous permettent de mesurer l’ampleur du problème, car la longueur des délais de paiement révèle un déséquilibre du rapport de force entre parties prenantes ou, pour le dire autrement, des comportements abusifs. Il faut donc continuer dans cette voie et se féliciter qu’un tel effort ait été engagé, même si les obstacles et résistances demeurent nombreux.
Il me semble également urgent de s’attaquer aux contreparties abusives exigées lors des accords de réduction des délais de paiement. Ces pratiques risquent d’être, au final, contre-productives si elles conduisent à faire peser de nouvelles contraintes sur ceux qui bénéficient de la réduction des délais de paiement.
En effet, certains distributeurs demandent, contournant ainsi l’esprit de la loi et ses objectifs, des remises en échange de l’application des dispositions relatives aux délais de paiement. Le rapport, bien qu’il fasse état de ces pratiques, a néanmoins tendance à les nuancer.
D’après une enquête de la Fédération des industries mécaniques, 70 % des entreprises du secteur ont fait l’objet de pratiques abusives. La proportion n’est pas anecdotique. Ces pratiques abusives ont été recensées par l’Observatoire des délais de paiement et, en la matière, l’action des brigades LME de la DGCCRF est essentielle, mais les capacités d’intervention de celle-ci sont sapées par la mise en œuvre de la RGPP : la réorganisation des services de l’État, couplée à la réduction des effectifs, aboutit, dans cette administration comme dans toutes les autres, à une limitation de l’action de contrôle de l’État, laissant le champ libre aux pratiques illicites, au détriment des TPE-PME et des consommateurs.
L’action de la DGCCRF, qui a assigné plusieurs enseignes dernièrement, est à saluer. Toutefois, pour que cette mise en garde ne se résume pas à un coup d’épée dans l’eau, il est primordial que ce service de l’État bénéficie des ressources nécessaires et que la moulinette de la RGPP ne réduise pas à néant le nécessaire rééquilibrage des relations commerciales.
En effet, les articles 92 et 93 de la LME visaient à accorder plus de liberté aux partenaires pour négocier, en contrepartie d’un renforcement du contrôle et des comportements abusifs. Or il apparaît que, dix-huit mois après l’application de la loi, cette réforme des relations commerciales se révèle être un marché de dupes pour le consommateur : certes, la pratique des fameuses marges arrière a diminué, mais, en rayon, le prix des produits suit encore une tendance haussière.
La crise du lait est une parfaite illustration d’un mécanisme défaillant : entre septembre 2007 et septembre 2009, le prix du lait payé à l’éleveur a diminué de manière significative, tandis que le consommateur achète sa bouteille de lait plus cher. Pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, le lien entre le prix agricole et le prix en rayon ne jouerait-il jamais à la baisse ?