Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, près de deux ans après le vote de la loi de modernisation de l’économie, je me réjouis que nous puissions en faire un premier bilan.
Afin de ne pas disperser mon propos, je ne le consacrerai qu’à deux points précis.
Le premier concerne les délais de paiement. Ramenés à quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours calendaires à compter de la date d’émission de la facture, ces délais sont globalement respectés. Nous ne pouvons que nous en féliciter et saluer le fait qu’une plus grande équité ait pu être ainsi imposée aux différents partenaires. Cependant, selon le rapport d’Élisabeth Lamure, 20 % de l’économie y dérogent au travers d’accords spécifiques permettant d’opérer une transition en douceur vers cette procédure.
Ces jours gagnés sur les délais de paiement moyens s’avèrent un atout pour le fonctionnement de l’ensemble des PME fournisseurs de la grande distribution. Sur ce point précis, la LME a atteint son but et il convient de le souligner clairement.
Il en va tout autrement pour les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Si les marges arrière ont été effectivement réduites, passant de 32 % à 11 % des prix entre 2008 et 2009, cette loi est loin d’avoir atteint son objectif à cet égard. Ces relations restent fortement déséquilibrées au profit des trois à quatre grandes enseignes qui monopolisent les échanges commerciaux nationaux.
Fournisseurs et distributeurs divergent quant à l’interprétation de la loi. Un certain nombre de conventions ont été contrôlées et toutes, je dis bien toutes, contenaient au moins une disposition significativement déséquilibrée, pour reprendre, là encore, les termes du rapport d’Élisabeth Lamure. Cela est inacceptable !
L’État n’est pas resté inactif face à une telle dérive puisque, par l’intermédiaire de la DGCCRF, il a assigné devant les tribunaux de commerce neuf enseignes. C’est une première ! Ces mêmes enseignes ont fait part bruyamment de leur incompréhension, imaginant sans doute que « les choses pouvaient continuer comme par le passé ». Eh bien, non ! Le législateur tout comme les fournisseurs ne peuvent être ainsi mis devant le fait accompli. Une loi est élaborée et votée pour être respectée.
Monsieur le secrétaire d’État, ma première série de questions concerne précisément le contentieux entre l’État et ces enseignes. Où en sommes-nous ? Quand peut-on imaginer obtenir, éventuellement par le biais des jugements des tribunaux de commerce saisis qui feront ainsi jurisprudence, une interprétation unique et non ambiguë de la LME ? Les effectifs de la DGCCRF sont-ils suffisants pour diligenter autant de contrôles nécessaires à une moralisation de ces rapports ?
Le second point, qui a été évoqué par plusieurs intervenants, a trait au partage de la valeur ajoutée, de l’amont à l’aval, de certaines filières agricoles.
L’année 2009, au travers de la filière laitière, a fait clairement apparaître un profond déséquilibre. Si l’on se reporte au document élaboré par Christiane Lambert, membre du Conseil économique social et environnemental, on ne peut qu’être choqué de constater que, au début de 2008, lorsque le lait était payé 0, 32 euro le litre au producteur, la marge brute du distributeur s’élevait à 0, 40 euro pour un lait de grande marque. Au passage, le transformateur, quant à lui, prélevait 0, 18 euro. En Grande Bretagne, toujours en 2008, lorsque le litre de lait était payé 25, 82 pence le litre, la marge brute du distributeur s’élevait à 13, 16 pence…
Entre producteurs, transformateurs et distributeurs, le partage de la valeur ajoutée est fortement déséquilibré au profit de ces derniers.
Même si, au travers des négociations au sein du CNIEL, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, les producteurs de lait parviennent à trouver bon an, mal an des accords de prix, les transformateurs font régulièrement état des pressions exercées par la grande distribution pour fixer un prix du lait, qui, à certaines périodes, est en deçà du prix de revient du producteur. Là encore, c’est difficilement acceptable.
La filière laitière française est fragile. Soyons objectifs : elle devra faire l’objet d’une restructuration si elle veut rester compétitive, c’est-à-dire tout simplement, si elle veut rester sur les marchés.
Nos voisins allemands et ceux d’Europe du Nord ont conduit d’importantes réformes que, en France, nous avons toujours repoussées, car particulièrement délicates, en raison de notre politique d’aménagement du territoire, un territoire riche de sa diversité, mais également de sa complexité.
Si j’aborde cet aspect de la question ici, c’est pour souligner que nous connaîtrons, sur cette filière agricole comme sur d’autres, des périodes de forte volatilité des cours dans les années à venir, car nous sommes très clairement dans une internationalisation des marchés.
Dès lors que l’on est conscient de cette évolution des marchés, il convient de réagir et d’anticiper. Au-delà des observatoires des prix et des marges, qui sont autant d’outils d’analyse, mais d’analyse seulement, et sans revenir à un encadrement total des prix – pratique d’un autre âge –, il me semblerait judicieux, voire moral, que certaines fluctuations brutales puissent être encadrées.
Au-delà de certains seuils, les pouvoirs publics doivent pouvoir interpeller les partenaires concernés. En clair, l’État doit pouvoir clairement inviter ces mêmes partenaires à établir rapidement un dialogue sans pour autant « glisser » vers l’entente, qui serait, elle, illégale et contraire au traité de Rome. Ce dialogue permettra d’éviter tout mouvement de réaction, voire des dégradations et des manifestations violentes des producteurs, telles celles que nous avons récemment connues et que nous regrettons tous.
Cela étant, vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons que comprendre ces mêmes producteurs quand on constate qu’ils ne pourront survivre longtemps en vendant en dessous de leur prix de revient.
J’aimerais donc connaître votre analyse et entendre une réponse sur ces différents points précis, en particulier sur celui concernant le partage de la valeur ajoutée au sein des filières agricoles.