Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar des orateurs précédents, je vais intervenir sur le statut de l’auto-entrepreneur, premier article de la loi de modernisation de l’économie que nous évaluons aujourd’hui.
Face à une situation économique et sociale profondément dégradée et à un chômage qui oscille autour de 10 %, toute mesure créant de l’activité est une avancée. Elle le demeure si, et uniquement si elle ne génère pas des effets pervers, contraires à l’objectif déclaré. Or, ainsi que le rappelait notre collègue Nicole Bricq durant l’examen de la dernière loi des finances rectificative, « lorsque le statut d’auto-entrepreneur a été intégré à la loi de modernisation de l’économie, en 2008, le groupe socialiste s’est exprimé contre, pour des raisons générales, mais aussi au nom du risque de concurrence déloyale que ce régime suscite au regard de l’artisanat et du commerce ».
Aussi, après une année de mise en œuvre et conjointement à la tenue d’un comité d’évaluation convoqué par le M. le ministre du budget, il nous est apparu essentiel de dresser un bilan de la mise en application de l’un des articles phares de la loi de modernisation de l’économie.
Le statut d’auto-entrepreneur est porté tel un étendard par la majorité et le Gouvernement. Prototype de décision qui fait la fierté des thuriféraires du libéralisme économique, il devait permettre à nos concitoyens de découvrir la création d’entreprise sans entrave administrative. C’est dans cet esprit que, à l’occasion de l’examen de la dernière loi de finances rectificative, M. le ministre du budget déclarait : « Je veux dire au Sénat que le succès du régime de l’auto-entreprise est incontestable. »
Les données fournies par l’ACOSS au mois de novembre dernier, correspondant aux comptes d’auto-entrepreneurs créés auprès de l’URSSAF au 31 octobre 2009 et aux échéances acquittées au titre des trois premiers trimestres, nous permettent de dresser un portrait-robot de l’auto-entrepreneur : il s’agit d’un demandeur d’emploi âgé de quarante-quatre ans et qui facture peu.
Quantitativement, sur les 240 000 auto-entrepreneurs susceptibles d’acquitter des montants au titre de leur chiffre d’affaires réalisé au cours du troisième trimestre – soit les cotisants immatriculés avant le 1er avril – ou du deuxième et du troisième trimestre de 2009 – soit les cotisants immatriculés au deuxième trimestre –, 47 500 ont déclaré, selon le rapport de Mme Lamure, avoir réalisé un chiffre d’affaires, après 35 800 à l’échéance précédente, soit une fraction équivalente à un peu moins de 20 % du total de l’existant.
Le total des chiffres d’affaires des auto-entrepreneurs au cours des neufs premiers mois de 2009 a progressé, comme Mme Dini vient de le rappeler, pour atteindre 383 millions d’euros. Le chiffre d’affaires moyen par auto-entrepreneur ayant déclaré aux URSSAFF avoir réalisé un chiffre d’affaires s’élève à près de 4 000 euros par trimestre, soit un revenu mensuel de 1 330 euros, à peine supérieur au montant du RSA. Chapeau pour ceux qui ont une activité professionnelle !
Dès lors, comment qualifier de « réussite » un dispositif qui se caractérise par 68 % d’activités dormantes, ainsi que le met en exergue Élisabeth Lamure dans son rapport ? Comme elle, nous nous interrogeons quant aux chances de développement de plus des deux tiers des auto-entreprises créées avant le 30 juin qui n’avaient réalisé aucune opération quatre mois plus tard.
Nous nous interrogeons également sur la pertinence de l’extension de douze mois à trente-six mois de la durée pendant laquelle une auto-entreprise peut rester dormante, c’est-à-dire ne réaliser aucun chiffre d’affaires, sans être contrainte de renoncer au régime de l’auto-entreprise. N’y a-t-il pas là un véritable risque d’inciter à l’exercice d’activité illégale ? Pour notre part, nous le pensons.
Au-delà des statistiques, deux problèmes majeurs se posent.
Le premier, qui a déjà été évoqué, a trait à la concurrence déloyale instaurée sciemment par le Gouvernement. Il suffit de se rendre dans les régions et de lire la presse quotidienne régionale pour le constater : partout, les fédérations professionnelles d’artisans protestent contre la concurrence nouvelle qu’ils subissent de la part des auto-entrepreneurs.
Le rapport de notre collègue précise que le « Gouvernement a fait réaliser des simulations [] qui ne feraient pas apparaître un avantage systématique au profit des auto-entrepreneurs ». Dans les faits, les présidents des Unions professionnelles artisanales territoriales ont déjà interpellé M. le secrétaire d’État au mois de juillet et, dernièrement, à l’occasion de l’assemblée générale de l’Assemblée permanente des chambres de métiers, l’APCM. Comment pourrait-il en être autrement face à une telle distorsion de concurrence ?
Très concrètement, c’est dans le secteur du bâtiment, qui rassemble 12 % du nombre total des auto-entrepreneurs, que le problème est le plus crucial. Un peu partout, des artisans à la retraite ou de simples bricoleurs proposent aux particuliers de refaire leur salle de bain ou de repeindre leur cuisine à des tarifs inespérés. En raison du niveau des cotisations sociales et des impôts, limités à 20 % pour un auto-entrepreneur, et des charges fixes, les devis des auto-entrepreneurs sont inférieurs de 20 % à 50 % à ceux des entreprises du secteur du bâtiment. Cette situation est identique, à des degrés divers, dans tous les secteurs du commerce et de l’artisanat, aussi bien dans les domaines de la coiffure, de la plomberie, les métiers liés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, que dans l’édition, comme le rappelait Daniel Raoul tout à l’heure.
J’en viens à une autre illustration des effets pervers qui se font jour, et que Mme le rapporteur a relevés : « Un certain nombre d’employeurs peuvent […] être incités à substituer des auto-entrepreneurs à des salariés ». La réalité démontre que tel est bien le cas. Ainsi, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, a observé que certaines entreprises ont tendance à fortement inciter leurs propres salariés à s’installer comme auto-entrepreneurs pour effectuer des tâches qu’ils réalisaient en tant que salariés de l’entreprise.