Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de la famille, qui, j'en suis certain, y prêtera une écoute plus attentive que son prédécesseur immédiat !
Monsieur le ministre, depuis plusieurs années, l'Etat a donné de nouvelles orientations à sa politique familiale et d'aide à l'intégration des femmes dans le monde professionnel. Il a confié à la Caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF, la mission d'accompagner les collectivités locales et les entreprises dans le développement de l'accueil des jeunes enfants de zéro à trois ans. Il légifère actuellement pour créer un véritable statut des assistantes maternelles libérales.
Cette double orientation aboutira aux résultats suivants.
Tout d'abord, les collectivités locales développeront des formules de multi-accueil collectif afin de recevoir les enfants soit de façon régulière, à temps complet ou à temps partiel, soit de manière occasionnelle.
Ensuite, les assistantes maternelles libérales prendront en charge des enfants dont les deux parents travaillent à temps complet et peuvent payer une garde d'enfant à plein tarif.
Enfin, des entreprises se positionnent sur un nouveau marché, celui de la création et de la gestion de structures d'accueil des jeunes enfants de zéro à trois ans. La CNAF finance tous les projets de la même façon, en investissement et en fonctionnement, qu'ils émanent d'une collectivité, d'une association ou d'une société privée.
Cette politique à moyen terme pose deux types de problèmes aux collectivités locales.
En premier lieu, la création des relais d'assistantes maternelles libérales pour accompagner ces professionnels sur tout le territoire national conduira à la fermeture de nombreuses crèches familiales communales. Dans ces dernières, les assistantes maternelles gardent moins d'enfants que les assistantes maternelles libérales et ont des revenus inférieurs.
En second lieu, les structures d'accueil collectif des collectivités locales, où le montant de la participation des parents aux frais d'accueil est calculé sur les ressources du foyer, vont devoir accueillir encore davantage les enfants des familles qui n'ont pas les moyens de payer un assistant maternel libéral ou une aide à domicile.
Les collectivités locales sont prêtes à remplir ce rôle social d'accueil dans les structures qu'elles ont créées et qu'elles financent, à condition que les règles du jeu en matière de financement par la CNAF soient revues.
Or, la réforme programmée par la CNAF de la prestation de service unique, la PSU, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain, n'est pas adaptée aux modes de fonctionnement actuel et futur des structures d'accueil des jeunes enfants de zéro à trois ans.
Au 1er janvier prochain, la prestation de service unique deviendra le mode de relation conventionnel entre les collectivités locales et la CNAF.
La réforme de la prestation de service unique vise à rendre plus lisibles les financements de la CNAF et à simplifier les démarches des utilisateurs.
Tous les types de structure de la petite enfance sont concernés, que ce soient les crèches familiales, les haltes-garderies ou les centres multi-accueil.
La participation financière des familles sera calculée sur le fondement d'une tarification dans laquelle l'heure devient l'unité de référence pour tous les types d'accueil.
Un engagement contractuel sera formalisé pour l'année entre la structure d'accueil et la famille, qui paiera en fonction de son utilisation. Cela obligera chaque utilisateur à prévoir et à planifier ses besoins annuels en mode de garde.
Ainsi, à partir du 1er janvier prochain, toutes les structures de petite enfance devront organiser un accueil « à la carte ».
De ce fait, si la PSU permet a priori une meilleure adaptation des structures aux besoins des familles, cette réforme pose un problème financier majeur aux collectivités territoriales.
Optimiser l'utilisation des structures d'accueil nécessite de pouvoir maintenir les taux d'occupation des crèches. Pour cela, une parfaite adéquation entre les horaires de garde des structures d'accueil et les besoins réels des parents sera nécessaire. Or ceux-ci pourront être modifiés en permanence sur simple information des familles.
Il paraît presque impossible, dans ces conditions, de maintenir le taux d'occupation actuel des crèches. Il en résultera donc mécaniquement une baisse de l'activité des structures d'accueil, alors même que les personnels, eux, seront toujours présents, d'où une augmentation pour la collectivité des charges liées à la petite enfance, la PSU ne prenant en compte que les temps où les enfants sont présents, et non plus le temps d'ouverture de la structure.
Ce nouveau mode de fonctionnement entraînera par ailleurs, pour les services de la petite enfance, une forte augmentation de l'activité administrative, car chaque famille sera signataire d'un contrat d'utilisation individualisé et destinataire d'une facturation spécifique.
La CNAF s'est engagée à maintenir pendant trois ans les recettes des collectivités locales, afin que celles-ci intègrent progressivement la réforme. Cette garantie s'opérera cependant sur le fondement d'une activité constante, qui, nous l'avons vue, sera extrêmement difficile à maintenir.
Enfin, on peut également s'interroger sur la place qui sera laissée aux enfants dans cette nouvelle organisation, les familles risquant en effet de calculer au plus juste le temps de garde au détriment des temps d'échanges avec les professionnels.
Monsieur le ministre, les structures d'accueil de la petite enfance qui se sont développées sur l'initiative des collectivités territoriales sont unanimement reconnues comme étant les plus performantes en Europe. La réforme engagée de façon unilatérale par la CNAF, organisme paritaire national doté d'un pouvoir réglementaire qui s'impose aux collectivités territoriales, risque de mettre à mal la qualité du service public, de mettre en cause la politique familiale des communes, d'accroître lourdement le budget enfance de ces collectivités, tout en creusant les inégalités entre les familles en fonction de leurs revenus.
A l'heure actuelle, du fait de la menace qui pèse sur elles à court terme, les communes, tout en protestant contre cette réforme, tentent d'en contourner l'application en mettant en oeuvre des systèmes de calcul qu'elles empruntent aux plus habiles. Mais il ne s'agit là que d'un pis-aller provisoire.
Une révision de la réforme qui s'imposera le 1er janvier prochain est urgente, et c'est à l'autorité de tutelle de la CNAF, c'est-à-dire l'Etat, et donc le Gouvernement, de l'imposer afin de revenir à un mode de calcul respectueux du rythme de vie des familles et de la qualité du service public local.
Un tel dysfonctionnement pose la question de la légitimité d'un organisme qui, au nom d'un pouvoir financier qu'il détient de l'Etat, va à contre-courant des politiques publiques d'accueil de la petite enfance que les collectivités territoriales ont définies, mises en place et financées majoritairement et dont elles assument la responsabilité face aux usagers et aux personnels.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, que devront faire les maires le 1er janvier 2005 ?