Nous étudions actuellement la dernière proposition qu'a formulée, vendredi 28 octobre, la Commission européenne et qui semble, vous le savez, aller bien au-delà du mandat confié à cette institution. C'est donc avec quelque inquiétude quant au contenu que nous nous livrons à cet examen.
Cet accord à l'OMC exige un rééquilibrage des négociations, d'abord en ce qui concerne le dossier agricole. Nos partenaires, notamment les Etats-Unis, doivent faire les mêmes efforts que ceux qu'ils exigent de nous : il leur faut réformer réellement leur loi agricole et accepter - ils s'y refusent pour l'instant - des disciplines sur leurs subventions, directes ou indirectes, aux exportations.
En outre, rien ne justifie que l'agriculture soit la variable d'ajustement de ces négociations. Il faut un rééquilibrage entre d'éventuelles concessions sur le dossier agricole et celles, significatives, que nous attendons dans les secteurs des biens et des services, en particulier de la part des grands pays émergents.
Il serait tout de même paradoxal que ce cycle consacré au développement, au service des pays les plus pauvres, se transforme en cycle d'ultralibéralisation, dont seuls les grands pays émergents, déjà développés, profiteraient, alors que les pays les plus pauvres, qu'ils soient d'Afrique ou d'ailleurs, n'en retireraient aucun bénéfice ! C'est la raison pour laquelle la France sera à la fois très attentive et très ferme, dans les semaines qui nous séparent de la conférence de Hong Kong, au mois de décembre prochain. Pour l'instant, les propositions avancées ne nous semblent pas à la hauteur des enjeux.
Si les négociations à l'OMC constituent un dossier important, celui de la politique agricole commune est tout aussi stratégique.
La France a fait, voilà quarante ans, le choix de la PAC, et c'est l'honneur des gouvernements successifs de l'avoir confirmé. Nous devons conforter ce choix, car la politique agricole commune s'est construite sur des principes qui sont toujours d'actualité : la création d'un grand marché intérieur unifié, la préférence européenne, la solidarité financière.
Qui peut contester que ce choix a entraîné une modernisation remarquable de notre agriculture et que, sans la PAC, l'agriculture française ne serait pas aujourd'hui ce qu'elle est ? Nous devons donc continuer à appuyer le développement d'une politique agricole commune désormais à vingt-cinq - c'est évidemment plus difficile qu'à six -, en rappelant quelques éléments simples.
Grâce à la politique agricole commune, l'agriculture française bénéficie d'un marché intérieur de plus de 450 millions d'habitants. En d'autres termes, lorsque nous négocions à l'OMC, nous le faisons non pas au nom de 60 millions d'habitants, mais pour un ensemble de 450 millions d'habitants.
En outre, la PAC apporte chaque année 10 milliards d'euros à l'agriculture française. La pérennité des financements est assurée jusqu'en 2013, quoi qu'en disent certains, grâce à l'accord obtenu par le Président de la République en 2002. Un tel accord a été possible, car la France a accepté la réforme de la PAC en 2003, ne serait-ce que pour rendre cette dernière compatible avec les règles de l'OMC.
La politique agricole commune est un choix d'avenir pour notre société. Elle a été - qui peut le nier ? - le véritable ciment de la construction communautaire et a su continuellement s'adapter aux nouvelles exigences de la société. Elle est en phase avec les préoccupations relatives à l'environnement et à la sécurité sanitaire des aliments.
Il s'agit donc d'un cadre pertinent que nous voulons et devons consolider, en particulier dans la perspective des négociations sur l'avenir financier de l'Union européenne. La France défend avec détermination le budget tel qu'il résulte de l'accord de 2002.
Pour autant, nous devons développer une stratégie d'initiative pour préparer l'après 2013. Comme me l'a demandé le Premier ministre, je présenterai à la Commission, avant la fin de l'année, un mémorandum sur les perspectives de la PAC.
Ce mémorandum soulignera les enjeux pour la profession agricole d'une meilleure régulation des marchés et il avancera des propositions.
La régulation des marchés doit passer par des voies nouvelles s'appuyant davantage sur les interprofessions, la contractualisation et des systèmes de péréquation. Elle requiert un examen approfondi, y compris en termes de droit de la concurrence. Cette initiative française aura également pour but de conforter notre vision de l'agriculture en gagnant l'adhésion de nos partenaires les plus proches de notre position.
Dans ce cadre international - OMC, PAC -, le projet de loi d'orientation que j'ai l'honneur de vous présenter fait le choix d'accompagner l'effort nécessaire d'adaptation et de modernisation de l'agriculture française
Il vient compléter l'action menée sur le plan international et communautaire, en essayant de donner à notre agriculture les moyens d'être plus performante et plus efficace
Nous devons baliser un chemin pour les exploitants, en particulier pour les plus jeunes qui veulent savoir où ils vont -et ils ont bien raison de poser cette question -, étant entendu que nous avons l'assurance qu'apporte, jusqu'en 2013, le double accord européen de 2002 et de 2003 pour préparer l'avenir.
Ce projet de loi affiche avec conviction son dessein, qui est de consolider l'activité économique agricole et de conforter la vision positive de la fonction productive de l'agriculture.
Il sort du principe du modèle unique de l'agriculture, que nous avons tous connu, fondé sur l'exploitation familiale à deux unités de travail homme, ou UTH, et propose différentes voies pour l'agriculture. Aux agriculteurs de les choisir.
Ce projet de loi souligne la multifonctionnalité de l'agriculture et sa contribution à des services non marchands en termes d'occupation des espaces et de préservation de l'environnement.
Enfin, il prend en compte les attentes de la société en matière de sécurité sanitaire, d'environnement et de qualité des produits.
Il s'agit de redonner des marges de manoeuvre à notre agriculture pour lui permettre de conserver son efficacité économique, afin qu'elle reste présente sur nos territoires et continue à créer des emplois.
Le présent projet de loi d'orientation agricole est donc fondé sur un triple impératif économique, environnemental et sanitaire. Le Gouvernement est déterminé à aller le plus loin possible.
J'aborderai en premier lieu l'impératif économique. La défense de notre modèle agricole, de nos industries agroalimentaires et de notre indépendance alimentaire nécessite des entreprises efficaces et performantes
Nous voulons des entreprises puissantes fondées sur la valorisation de la démarche d'entreprise
Vous le voyez bien dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs, les formes d'exploitation se sont diversifiées, en faisant place de plus en plus souvent aux formes sociétaires.
La nécessité se fait sentir, par ailleurs, d'appréhender globalement l'ensemble des facteurs de production, en tant qu'entité économique capable de dégager un revenu. Ce projet de loi vise à encourager la formation d'exploitations organisées autour d'une démarche d'entreprise, en conservant la responsabilité personnelle et la spécificité familiale.
C'est pourquoi il tend à créer un fonds agricole et à introduire la cessibilité du bail rural. Le bail cessible permettra à un exploitant de transmettre globalement une exploitation hors cadre familial. Cette possibilité supposera le libre choix entre les parties ; naturellement, elle ne se substitue pas au bail rural classique.
Le fonds agricole - c'est l'une des innovations de ce texte - permettra, quant à lui, de mieux reconnaître la valeur du travail agricole et de mieux distinguer la valeur patrimoniale de la valeur économique de l'exploitation agricole. Cependant, et j'insiste sur ce point, il ne vise pas à renchérir le coût des cessions. En effet, il ne tend à créer aucune valeur nouvelle, mais identifie les éléments de la valeur économique de l'exploitation existant aujourd'hui sans reconnaissance juridique, tout spécialement dans les exploitations individuelles.
Les députés, par amendement, l'ont rendu optionnel et, sur l'initiative de la commission des finances, lui ont donné une fiscalité favorable : les cessions seront soumises à un droit forfaitaire.
Pour promouvoir la forme sociétaire, le projet de loi permet aux associés d'exploitations agricoles à responsabilité limitée, ou EARL, de conserver leur statut fiscal de type personnel en dehors du cadre familial. Le Premier ministre a annoncé, le 13 septembre, la suppression de la cotisation de solidarité pour les associés non exploitants.
Tenant compte de l'évolution des structures d'exploitation, le projet de loi introduit deux dispositions qui sont à souligner.
Le contrôle des structures est maintenu, mais simplifié. A la suite de discussions avec l'ensemble des partenaires du monde agricole, nous avons trouvé - et cela n'a pas été facile -un point d'équilibre entre les différentes parties, en permettant d'exonérer du contrôle uniquement les opérations portant sur des liens de familles et en relevant les seuils d'opérations soumises à contrôle.
Ensuite, un mécanisme fiscal d'incitation à la transmission progressive est instauré, pour faciliter l'installation des jeunes agriculteurs.
Les débats à l'Assemblée nationale ont permis de répondre à certains défis relatifs au foncier, qui ont été soulevés récemment par le rapport du Conseil économique et social.
Les conflits d'usage entre culture et autres activités sont assez vifs - vous les vivez sur le terrain, mesdames, messieurs les sénateurs. Le débat parlementaire a permis de renforcer la prise en compte de l'agriculture dans les documents d'urbanisme.
Enfin, le projet de loi tend à apporter une réponse aux difficultés d'exercice du métier agricole : il favorise par un crédit d'impôt - Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, l'avait annoncé au Mans, lors du Congrès de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA - le remplacement pour congé des agriculteurs dans le cas où leur activité nécessite une présence quotidienne sur l'exploitation, comme c'est le cas des éleveurs.
Le Gouvernement souhaite également que, sur les marchés, l'équilibre entre les producteurs et l'aval soit mieux assuré.
Il s'agit, vous le voyez bien, de sécuriser le revenu des exploitants. C'est une nécessité absolue à un moment où les instruments communautaires de régulation sont profondément modifiés pour répondre aux nouvelles règles du commerce international. A l'intérieur des marges de manoeuvre autorisées par le cadre communautaire, le Gouvernement privilégie dans le texte qui vous est soumis le renforcement de l'offre, la gestion des risques et la baisse des charges.
Sécuriser les revenus, c'est souvent renforcer l'organisation économique des filières.
Ainsi, dans le présent projet de loi d'orientation, les missions des interprofessions sont étendues de manière à leur permettre d'intervenir dans la promotion de nouveaux débouchés ou la gestion des crises.
La contractualisation est encouragée, dans la mesure où elle permet une relation plus équilibrée entre l'amont et l'aval.
Enfin, la coopération agricole - je sais que beaucoup d'entre vous y sont attachés - a un rôle essentiel à jouer et est dotée d'un statut modernisé. Les relations financières avec les adhérents coopérateurs sont améliorées et des responsabilités nouvelles sont confiées à un Haut conseil de la coopération, conformément à l'amendement déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale et inspiré du rapport de François Guillaume.
Sécuriser les revenus, c'est encore développer les outils de gestion des risques, qu'ils soient climatiques ou conjoncturels. Nous voyons bien la terrible sécheresse qu'ont vécue et que vivent encore un grand nombre de régions de notre pays.
Ce projet de loi favorise le développement de l'assurance récolte - je sais que la commission des affaires économiques du Sénat y est très attachée - et revalorise les plafonds applicables à la déduction pour investissement et à la dotation pour aléas.
Enfin, sécuriser les revenus, c'est baisser les charges. Conformément à la volonté du Président de la République exprimée dans son discours de Murat, le Premier ministre a décidé la diminution progressive de la taxe sur le foncier non bâti pour les exploitants agricoles.
J'indique tout de suite, parce que je sais que le Sénat est très attaché à l'indépendance financière des collectivités territoriales et aux ressources des petites communes, que cette baisse de 20 %, qui vous sera proposée dans le projet de loi de finances pour 2006, sera compensée à l'euro près aux communes par l'Etat.
La commission des finances de l'Assemblée nationale a trouvé un système simple, qu'elle proposera à votre commission des finances ; ce système n'implique pas la mise en oeuvre de dispositifs complexes entre l'Etat et les communes. Il permet également, quand l'agriculteur n'est pas le propriétaire, que cette baisse bénéficie à l'exploitant et que ce dernier puisse la répercuter comme une baisse de charges dans son exploitation.
Enfin, et ce n'est pas à la Haute Assemblée que je l'apprendrai, le monde agricole est trop administré. Nous ajoutons même parfois des règles françaises aux règles communautaires, complexifiant ainsi davantage encore l'environnement administratif de nos exploitations. Il nous faut donc aller vers une simplification.
Simplifier, c'est non pas déréglementer systématiquement, mais faire en sorte que les exploitants se concentrent sur l'essentiel, à savoir sur l'action de production.
A titre d'exemple, le présent projet de loi crée l'agence unique de paiement pour les aides du premier pilier, celles du second pilier étant versées par le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, le CNASEA. Il prévoit la modernisation du dispositif de développement agricole.